mercredi 14 novembre 2007

Le Diable Avec Ses Chevaux

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Moins de deux mois après la parution en guise de hors d’oeuvre du EP Psychoïde/Participation Mystic, le mystérieux duo fraternel Maninkari remet ça avec un premier album, toujours chez Conspiracy records : Le Diable Avec Ses Chevaux. Les deux frères, et c’était quand même un pari risqué, ont décidé de jouer la carte de l’opulence puisque cet album est un double CD (dans un sobre mais magnifique digipak) comportant pas moins de onze titres et presque deux heures de musique. La quantité, certes, mais aussi et surtout la qualité.
Pour le reste, les détails biographiques, la tête des deux frangins, leurs mensurations, les dates de leur prochaine tournée européenne, leur numéro de téléphone portable et bien pour tout ça il faut se fier au livret du Diable Avec Ses Chevaux et ça tombe très bien parce que justement il n’y en a pas. Uniquement les noms des titres, le nom de la personne responsable de l’illustration (dont la version originale intitulée Oiseau Fabuleux figure ci-dessous) et la liste des instruments utilisés : violon alto, percussions, cymbalum, santoor, claviers, piano et samples. C’est tout. Et cela paraît bien peu au regard de la richesse chromatique de ce double album -pas chromatique comme la gamme, chromatique parce que la musique présente ici un éventail de sonorités et de nuances qui me font invariablement penser à une palette multicolore où les pigments se mélangent sans fin pour créer des combinaisons sans cesse renouvelées. Ce disque est terriblement beau.






















Je balaie d’un revers de main dédaigneux et méprisant les pensées acerbes qui font dire à certains que Maninkari n’est qu’un groupe pratiquant de la musique hippie et ethnique. Ou plutôt j’affirme que, oui, si ceci est bien de la musique de hippies, c’est dans le bon sens du terme. Je ne veux pas parler de cette transmutation vérolée et typiquement française d’un genre galvaudé, mort et enterré depuis bien longtemps en pauvre imitation spongieuse et gluante, le baba-cool et son gilet en peau de mouton retournée -parmi les autres spécialités locales de transformation génético-musicale on peut également citer le rappeur français en survêtement blanc, le punk à chien tiers-mondiste ou le golgoth indochinois- mais d'un certain état d'esprit lié à des personnalités fortes et marquantes comme La Monte Young, par exemple, ce genre de bonhomme déjà évoqué à propos du premier EP. Pour tout dire, s’il fallait trouver une quelconque filiation avec les musiciens de cette époque, c’est du côté d’Angus Maclise qu’il faudrait peut être aller chercher. Angus Maclise, percussionniste fantasque (et au passage premier batteur historique du Velvet Underground), membre du Dream Syndicate, parti visiter le Moyen Orient, l’Inde pour arriver au Népal afin d’y collecter toutes sortes de nouveaux sons et d’y découvrir d’autres modes de percussions. Mort à Katmandou vers 1979. Mais c’est uniquement pour le côté curieux insatiable, adepte du répétitif en musique et du mystérieux (Maclise pratiquait l’occultisme et était devenu un adepte d’Aleister Crowley -encore un hippie celui-là) que cette comparaison vaut quelque chose.
Une comparaison qui a ses limites, à la différence du Diable Avec Ses Chevaux qui ne cesse de développer ses ambiances, démultiplier les rythmes, flirter avec le sublime, détourner toute activité consciente et réfléchie -alors que j’imagine que cette musique est au contraire le résultat d’une démarche foncièrement pensée voire calculée mais que ce résultat a heureusement fini par échapper à tout pronostic. L’effet de transe -du à la répétition des motifs- continue inlassablement de faire passer au second plan tout rapport avec la matière : les vibrations des percussions, les lignes du violon, les samples de voix, ces curieux instruments que sont le santoor et le cymbalum, tout ce délicat équilibre entre musique savante et musique épidermique se transforme en bulles concentriques d’une éclatante fragilité mais suffisamment brillantes pour assurer à l’auditeur un ailleurs, où qu’il soit. Juste un ailleurs.