mardi 8 avril 2008

Neptune / Gong Lake

Plus que pour n’importe quel autre groupe, il faut fermer les yeux lorsque on écoute un nouvel album de Neptune. Ou alors oublier à quoi ça ressemble en concert, oublier les instruments home made, les guitares forgées dans la fonte, les synthés cheap avec composants soudés au chewing-gum. Oublier la théâtralité du groupe sur scène, ses postures outrées qui n’échappent au grotesque que par la grâce d’une élégance discrète, oublier les blagues surréalistes, le fracas du son, les percussions qui s’emballent, les guitares qui décollent hors des sentiers battus. Neptune est un groupe de très (très) grande classe. Alors les découvrir en concert puis écouter leurs disques, c’est forcément un peu frustrant.
En insistant un peu, le précédent album, Patterns, avait réussi à s’imposer. Au sein d’une discographie pléthorique, j’ai toujours entendu dire qu’il était un digne représentant des prestations scéniques du groupe. Peut être. Mais, malgré ses qualités, Patterns n’arrivait pas à rattraper le retard de Neptune en studio, n’était pas assez fort pour inciter à… fermer les yeux. Neptune fait partie de ces groupes prolifiques qui multiplient les enregistrements et surtout leur publication, plein de disques de partout, comme s’il en pleuvait, le risque de se disperser à force de choisir l’option de la surproduction. Des disques souvent bâclés et à disponibilité réduite. Il était donc vraiment temps pour Neptune de recentrer son propos et de marquer un grand coup.
C’est chose fait avec la parution de Gong Lake, album génial publié par Radium, filiale du très sérieux et très estimé label Table Of The Elements. Un éclairage nouveau sur la musique de Neptune, ce label étant distribué dans la plupart des pays civilisés (mais toujours pas disponible en duty free à Dubaï) et suscitant cet engouement assez particulier qui consiste chez certains à se procurer, de quelque façon que ce soit, toutes ses productions -tout comme les puceaux acnéiques achètent n’importe quel disque estampillé Hydra Head, les calvitiens précoces collectionnent les références Table Of The Elements/Radium sans doute à la recherche de l’alchimie musicale parfaite et mystérieuse, la formule suprême qui transforme l’électricité en musique (et inversement).























Cette chronique est donc terminée. Il a déjà été dit plus haut que Gong Lake est un album génial. Tout le reste n’est que descriptifs d’ordre technique et considérations esthétiques. Mais allons-y quand même. Neptune, cela peut faire penser à beaucoup de choses (les premiers Sonic Youth par exemple et encore, de moins en moins) mais surtout cela ne fait penser à rien. La démarche de constructeurs/démolisseurs du groupe rappelle celle d’Einsturzende Neubauten dans le registre as de la soudure improbable et de la customisation des envies. Mais la comparaison s’arrête là également, puisque Neptune (dont le seul défaut est finalement ce nom ridicule) est aussi un vrai groupe noisy.
Alternant morceaux chantés et instrumentaux, le trio sait parfaitement, sur des rythmiques jamais dégoulinantes et bien tendues, installer un parterre de grésillements et de turbulences servant d’écrin à des mélodies imparables se moquant foutrement des canons harmoniques et de la bienséance. C’est ça Neptune, cette capacité de vriller les oreilles tout en caressant la membrane du tympan dans le bon sens. Il y a toujours dans un coin un ou deux zigouigouis qui font semblant de traîner, salissures noisy dont on se demande -mais pas très longtemps- ce que le groupe attend pour les balayer alors qu’elles sont là pour apporter la couleur particulière d’une musique riche et surprises et en émerveillements. Souvent, les salissures, transformées en électrons libres, deviennent à la fois la source du bruit qui gratouille et l’élément mélodique qui chatouille, tout l’art de Neptune consistant en ce subtil dosage. Il y a quelques sommets sur Gong Lake, Grey Shallows ou Blue Grass par exemple, mais il n’y a aucune faiblesse. Décidément un disque excellent d’un groupe qui ne l’est pas moins.