vendredi 20 juin 2008

Visibilité et rentabilité de la politique culturelle
























C’est la deuxième audience pour Barbe à Pop et cela tombe très mal : contrairement aux fois précédentes je n’ai rien pu faire pour me libérer. Je me contente donc d’arriver au palais de justice de Lyon sur le coup des huit heures et demi, histoire de fumer une clope ou deux et de discuter avant de partir travailler. Cela me met d’autant plus en rogne de ne pas pouvoir rester et assister à cette audience qu’il n’y a pas grand monde qui s’est déplacé pour soutenir Barbe à Pop. Les gens arrivent quand même petit à petit, je vois l’heure pour moi d’être obligé de quitter les lieux mais je traîne, de toutes façons j’ai décidé d’être en retard.
Je ne regrette pas ce passage éclair sur le parvis du palais de justice pour une seule et unique raison : l’un d’entre nous exhibe un encart récupéré dans le dernier numéro des Inrocuptibles, dedans on trouve un DVD de concerts filmés et s’étant déroulés à Lyon ainsi qu’un laïus du maire Gérard Collomb expliquant combien il est attaché à la défense des musiques actuelles dans sa ville. Ce magnifique encart à la gloire de notre ville aurait été coordonné par Pierre Bouchard, chargé de mission à la mairie de Lyon. Le contraste est vraiment formidable avec le pourquoi et le comment de procès du jour : qui ne respecte pas la législation en matière de panneaux d’affichage libre ? qui traîne des pieds pour aider financièrement le Sonic ou le Grrrnd Zero ?
Alors que le gouvernement à la tête de l’Etat parle de plus en plus d’allouer ses subventions et aides diverses en matière de culture en fonction de critères de popularité des spectacles (sic) proposés voire même en fonction de leur rentabilité (inversant ainsi la logique d’une politique culturelle neutre et désintéressée), on aurait pu peut être espérer que la mairie de Lyon -d’une couleur politique différente- reste garante d’une certaine pluralité ou au moins ne fasse rien pour entraver les organisations et associations qui elles y croient encore. Avoir un lieu pas trop cher pour y faire des concerts, avoir le droit de coller des affiches pour assurer un peu de promo et bien rigoler ce n’est quand même pas trop demander, non ? Finalement celles et ceux qui continuent vaille que vaille dans leur coin ont sûrement raison -le do it yourself c’est ça le vrai libéralisme, sauf qu’un libéralisme qui ne prône ni l’enrichissement ni l’accumulation ça fait désordre.

[Je relaie ici des extraits du compte rendu écrit par l’un des porte-parole du collectif pour l'affichage libre à propos de cette folle journée :
Pour commencer, un grand merci à toutes celles et tous ceux qui ont pu venir au procès de l'asso Barbe à Pop ce Jeudi 19 Juin !!! Il devait bien y avoir une soixantaine de personnes présentes alors, ce qui est déjà une petite victoire en soi, comme il s’agissait rien moins que de la 4ème comparution ... en seulement 6 mois ! Merci à VOUS !!!
La salle d’audience était bien pleine. Rappelons combien il est important de leur montrer combien ce mouvement de résistance peut mobiliser de gens sur Lyon lors d’un procès. Chose faite, même si on peut toujours regretter la plus grande affluence des audiences du Sonic.
Par contre, la ville avait bel et bien dépêché rien moins qu’une douzaine de policiers (CRS ?!) pour nous, craignant sans doute le pire. « Tremble Lyon, tremble. » Notre avocat a d’ailleurs ironisé là-dessus, sur notre supposée dangerosité revendiquée (quoique) et sur les inutiles dépenses de la ville pour employer ces gens-là lors de l'audience, quand il ne s'agit pas de l'Unité Cadre de Vie verbalisant à tour de bras les petits colleurs d'affiches sauvages. A quoi sert l’argent public ? A ça. Surveiller et punir l’affichage libre.
On a eu droit à 2 autres affaires avant la nôtre. Des choses assez comiques pour ainsi dire, surtout du fait des interventions assez ubuesques du substitut du procureur.
Pour ce qui est de notre affaire, l'intervention du substitut du procureur a été assez directe et courte (très courte), pas très développée ni étayée pour ainsi dire.
Il a dit en substance que, comme Seb de l'asso Barbe à Pop reconnaissait bel et bien avoir commis lesdites infractions (Seb reconnaît avoir collé lui-même ces affiches), vu que son asso n'était pas une asso "à but humanitaire" -"comme on voudrait bien le faire croire aux gens" ou bien "le lui faire croire" !?!-, comme Seb se fait très certainement de l'argent avec ses concerts (concerts à but lucratif, donc), il demandait donc le paiement des amendes, majorées de 15 Euros chacune, soit 50 Euros par affiche collée au lieu des 35 du départ.
Le substitut -dont la pièce manquante, responsable de l’ajournement de la dernière fois, était la surface réelle que la ville de Lyon utilise déjà pour les panneaux d'affichage libre- a aussi mis en avant que la ville de Lyon était presque à la norme, à 20-25 mètres carrés près, surface dérisoire à ses yeux, renforçant donc le caractère illégal desdits collages. Il a enfin argué du fait qu'il n'imaginerait personne content du fait de voir collées de telles affiches sur les murs de son propre immeuble ou dans sa rue un jour.
Après ça, la plaidoirie de notre avocat, Maître Couderc, a été assez longue et argumentée, mettant en avant les contradictions et illégalités commises par la ville elle-même et les grosses structures (collant aussi bien dessus qu'en-dehors des panneaux d'affichage libre, preuves photos à l‘appui), puis se rapportant aux textes de loi, dont l'un très important qui stipule qu'aucune poursuite ni amende ne peut avoir lieu ni être demandée tant que la ville n'est pas à la norme côté surface de panneaux légaux (quelle que soit la surface manquante). Le juge a d’ailleurs demandé que l'avocat lui fournisse cette pièce.
Pour démonter les arguments du substitut : - personne n'a jamais dit que cette asso était humanitaire (!), mais si petite soit-elle elle contribue à la ville culturelle "alternative" lyonnaise - en organisant des concerts à but non lucratif (s'il y a un prix d'entrée, c'est simplement parce qu'il faut payer les groupes qui jouent).
Il a aussi insisté sur le fait que ces affiches étaient vraiment toute petites (et, qu'à ce titre, peut-on raisonnablement parler de pollution visuelle, de "saleté" ?), comparées à celles collées par le Transbo, la ville ou d’autres structures commerciales, lesquelles, autant qu‘il le sache, ne sont pas soumises à de telles poursuites ou procès.
Émettant aussi l'hypothèse que le substitut serait certainement encore moins aise de constater un jour que le mur de son immeuble aurait été recouvert par des grandes affiches de concerts commerciaux ou bien encore par de grandes affiches de la ville de Lyon (Biennale par exemple). Moment de douce hilarité dans la salle. Notre avocat a ainsi essayé de recentrer le débat, expliquant qu'il n'était pas celui de "ville propre versus ville sale", mais qu'il dépassait largement ce cadre-là. Et profitait du soutien de structures officielles s'occupant des musiques actuelles au niveau national. De même, alors que la ville sanctionne à tout va les petites structures associatives, il a rappelé que le collectif s'était créé pour, entre autres, entrer en discussion et faire des propositions à la ville de Lyon, sans pour autant que cette discussion ou que ces propositions soient réellement entamées et suivies d'effets, du côté de la ville.
Il a enfin illustré la contradiction dans laquelle la ville de Lyon se trouve, avec l'exemple de l'exposition consacrée à Keith Harring, artiste américain dont le travail est maintenant reconnu et exposé dans les musées, alors que la plupart de ses oeuvres (tags etc) ont été réalisées dans la rue, dans le métro, illégalement. L’avocat a donc fini par demander la relaxe pure et simple, et que la ville change sa politique pénale à l'égard de l'affichage libre et de ces petites assos organisatrices de concerts.
Le juge a remis les délibérés au Jeudi 18 Septembre ! A quelle sauce sera t’on mangé-e-s ? Que nous prépare t'on ? On le saura le 18. Enfin, rappelons que 2 autres assos ont fait opposition, et que les procès sont en cours, qui auront tous deux certainement lieu à la rentrée. Pour info, il s’agit de ceux de Damien Bronzy et de Pierre Ostrobtonie. La lutte pour la défense l’affichage libre continue, prenant des allures de course de fond. ]