samedi 6 septembre 2008

Alcool, meccano, bayou, moussaka et kétamine

























Changement radical de décor jeudi soir et changement de style pour la rentrée du Sonic, le genre d’endroit où il fait bon boire de la bière (à retardement) et écouter de la musique qui fait peur. Malgré les orages violents et la traditionnelle grève des bus du début du mois de septembre, quelques têtes se sont déplacées, quelques retrouvailles donc et surtout le plaisir d’aller au concert, cette expérience étrange, à la fois sociale et solitaire, qui n’a rien à voir avec écouter de la musique compressée devant un ordinateur. Le programme de la salle pour le mois à venir est plutôt alléchant et quelques prévisions pour les mois suivants me donnent déjà des orgasmes à répétition (Nadja par exemple… et oui !).
Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, place à 300 mA, cela se prononce [trois cents milliampères], l’un des nombreux projets de Damien Grange, l’homme de Chewbacca, Bronzy MC Dada, -1, Rature -j’en ai oublié ?- accompagné de Jean François Plomb et place également à k.a.n.t.n.a.g.a.n.o., le nouveau groupe de Jonathan Parant (de Fly Pan Am et Feu Thérèse) et d’Alexandre St Onge, le dandy québécois de la musique expérimentale. L’orage transperce la surface de la Saône de millions petits cratères de pluie, amis poètes et mélomanes du soir, le concert va pouvoir commencer. 

























Damien Grange, fidèle à ses habitudes, aime bien jouer dans la pénombre. Ce sera donc aussi le cas avec 300 mA, un drôle de duo associant une vision du blues marécageux vraiment roots et des bricolages aux atmosphères déglinguées, proche de la musique expérimentale industrielle, quelques part entre un Zoviet France non ethnique et la micro métallurgie d’un Pierre Bastien ou d’un Pierre Berthet. L’association entre Damien et Jean François Plomb (artiste sonore et plasticien, le genre d’appellation contrôlée à faire fuir toutes les personnes de bon goût mais dans son cas, cela veut réellement dire quelque chose) n’est absolument pas étonnante : elle fonctionne parfaitement, dès le début du concert, avec une petite magie circassienne sans doute due aux valisettes amplifiées et bricolées à l’aide de moteurs et mécanismes automatiques et grâce, également, au souffle d’un cornet au son légèrement déformé.
Damien chante comme un shaman sous peyotl, joue du cornet (donc), de l’harmonica, du banjo, bidouille deux ou trois choses sur une table de mixage placée à sa gauche tandis que Jean François lance ses petits mécanismes, fait des percussions, gonfle des ballons, souffle dans des trucs non identifiés. Le blues microscopique et pointilliste de 300 mA repose sur peu de choses, équilibre précaire et tendu, Tom Waits meets Geo Touvetout, rudesse du chant et sécheresse du banjo contre raclements industriels et esclandres mécaniques. A l’image des toupies qui tournoient sur des plaques de métal ou des baffles, la musique de 300 mA est hypnotique, captivante. Elle est surtout profondément organique, ces machines n’en sont pas tant que ça. J’aurais seulement préféré que le duo joue un peu moins longtemps : certaines redites par ci par là, et avec elles la lassitude de l’auditeur paresseux. Quelques trous font donc leur apparition dans un intérêt qui se fêle, ce concert aurait été vraiment très bon avec une vingtaine de minutes en moins. Lorsque j’ai évoqué avec l’un des deux musiciens le formidable disque de Pierre Berthet avec Frédéric Le Junter (chez Vand'oeuvre) comme l’un des référents possibles à la musique de 300 mA, j’ai essuyé une petite moue (personne n’aime être comparé, ça je le comprends aisément) mais, bien que ce soit forcément restrictif, il y a bien de ça, quelques pistes communes parcourues certes de manières différentes.


















A peine le deuxième album de Feu Thérèse était il publié que l’on apprenait que le groupe avait déjà splitté. C’était d’autant plus énervant que des enregistrements live laissaient deviner de longues tirades hypnotiques influencées par un rock choucroute allemand bien digéré et à l’exact opposé des ritournelles au glucose poppy de l’album. L’annonce d’un nouveau projet monté par Jonathan Parant et Alexandre St-Onge (également dans Shalabi Effects) constituait donc une très bonne nouvelle. k.a.n.t.n.a.g.a.n.o. pouvait éventuellement promettre le même genre de débordement compulsif et répétitif.
C’était sans compter sans le sens de l’organisation des Québécois qui comme beaucoup de groupes/musiciens d’outre-Atlantique profitent de l’opportunité des concerts pour faire un peu de tourisme sur le vieux continent. Une bonne idée en soi mais dont la première conséquence sera que les trois membres de k.a.n.t.n.a.g.a.n.o. (le troisième s’appelle Alexander Wilson) voyagent léger : pas de percus, pas de guitares -juste des laptops, des claviers et des boiboites d’effets. On apprend également que le groupe aurait l’intention de ne pas jouer à la manière de k.a.n.t.n.a.g.a.n.o. mais de réinterpréter une oeuvre solo de chacun de ses membres. En fait nous aurons droit à un seul titre, où tout s’enchaîne. La première moitié du set est catastrophique, sons de synthétiseurs tirés d’un best of the worst de Vangelis, mélodies pour ralentis cinématographiques, voix de castras amphétaminés -barbant et répulsif. Surtout c’est vraiment frustrant de voir Jonathan Parant sur une scène sans sa guitare, planqué derrière un ordinateur portable sur lequel il n’a pas l’air de faire grand-chose (cela me rappelle toujours cette anecdote amusante qui voulait qu’à l’aube de 90’s Alan Wilder passait son temps à envoyer des fax pendant les concerts de Depeche Mode). Les voix s’emballent de plus en plus, montent davantage encore dans les aigus, Nana Mouskouri vient de rejoindre Vangelis sur scène et je ne suis pas loin de me réfugier définitivement du côté du bar.


















Mais c’était sans compter sur ce sacré vieux ferry-boat qui se décide enfin à appareiller pour quitter définitivement Mykonos, ses sandwichs à la grecque et autres plaisirs interdits pour rallier quelques contrées légèrement plus sombres et surtout plus exaltantes. Les sons se durcissent, les voix s’amenuisent, Alexandre St-Onge daigne se servir de la basse qu’il avait jusqu’ici posée sur ses genoux, il ira même après divers gratouillis free jusqu’à nous pondre quelques arpèges que les sourds et les jeunes incultes qualifieraient trop facilement de post rock. La fin voit carrément l’apparition d’un semblant de rythme, digital certes, mais qui fait franchement du bien. Je me suis donc à nouveau rapproché de la scène pour goûter d’un peu plus près à une musique qui sans révolutionner quoi que ce soit (et qui ne m’a surtout pas donné envie de tourner en moi-même aussi vite que les effluves d’alcool me l’auraient permis) devient audible voire bonne. Mais une déception quand même. La prochaine fois les gars il faudra revenir avec un peu plus de matos et de bonnes idées et, promis, je me chargerai de la kétamine.