mercredi 19 novembre 2008

Gafferthon, troisième épisode : Lewis Karloff + Ahleuchatistas
























Honte sur moi. Après un premier épisode des plus convaincants, j’ai lâchement fait l’impasse sur la suite du Gafferthon (avec Sheik Anorak, Magic Barbecue et Ane & Bateaux), tout ça pour des histoires chiantes d’ordre professionnel et je me devais donc de me rattraper en ne ratant surtout pas l’affiche de ce 17 novembre : Lewis Karloff comme groupe maison et Ahleuchatistas, des fous furieux de Caroline du Nord dont on a déjà un peu parlé par ici. Pour être honnête la soirée de ce lundi comprend deux autres groupes, les lyonnais de 12XU et les américains de Des Ark (également de Caroline du Nord). L’explication de cette affiche hétéroclite est très simple, c’est l’éternelle histoire de deux concerts qui tombent le même soir et de deux organisateurs pas cons qui se mettent d’accord pour n’en proposer qu’un seul.
Toujours pour être honnête (c’est déjà la deuxième fois mais promis juré craché ce sera la dernière pour aujourd’hui) mon cœur bondit de joie dans ma maigre poitrine comprimée par un hiver déjà rigoureux lorsque à l’entrée je lis ce bout de papier griffonné qui précise l’ordre des groupes à venir : Lewis Karloff, Ahleuchatistas, 12XU et enfin Des Ark. Ma décision est immédiatement prise, je me casserai au milieu de la soirée puisque les deux groupes que je suis venu voir ont le bon goût de jouer en premier, tant pis pour 12XU dont je ne suis pas client et surtout pour Des Ark que je n’aime pas non plus mais que j’aurais bien aimé goûter en concert. La flemme et la fatigue d’un gros lundi ont fait le reste. Je me mets en mode automatique gros connard.
Avant le concert je jette un coup d’œil sur les distros qui s’étalent au fond de la salle et je fais bien puisque j’y trouve un excellent disque à un prix défiant toute concurrence (comment ils déjà les bouffeurs de shitburgers ? Thanks bro !), un disque que j’embarque ni une ni deux, vive le consumérisme.



















La première fois que Franck Gaffer m’a parlé de ce nouveau projet nommé Lewis Karloff il m’avait dit : j’ai un autre groupe avec deux types qui eux savent vraiment jouer, c’est pas tous les jours facile. Le monospace de Lewis Karloff indique lui de manière très réductrice des appellations telles que jazz et progressif ce qui pour un trio guitare/basse/batterie me fait logiquement froid dans le dos -je suis toujours en mode gros connard. 
Premier titre interprété et premières inquiétudes : le bassiste se lance dans une rythmique funky (mais alors là funky pour de vrai) avec des slaps (cette joyeuse technique que je déteste par-dessus tout, à de très rares exceptions près) et est secondé dans cette sombre besogne par un batteur qui fait des trucs impairs sans jamais avoir l’air de compter et ce avec une décontraction impressionnante. Effectivement il y a des musiciens dans la salle. Je m’apprête déjà et en toute mauvaise foi à soupirer d’ennui lorsque je prête enfin attention à la guitare, une guitare avec un son à la fois aigrelet et tranchant, un son comme je les aime. Le contraste entre la rythmique aux circonvolutions ultra carrées et la guitare qui ferraille sévère est la principale qualité de Lewis Karloff, j’y trouve quelques similitude avec le trio d’Arto Lindsay (pas DNA, l’autre, celui qui a enregistré le monstrueux Aggregates 1-26 pour le label Knitting Factory Works avec justement une rythmique on ne peut plus souple -Melvin Gibbs à la basse et Dougie Bowne à la batterie).
















Plus le concert avance et plus le moteur du trio semble tout simplement être la symbiose, cette spécialité végétale avec un champignon et une algue qui profitent l’un de l’autre dans une entente parfaite pour donner du lichen. Voilà pour la métaphore biologique. Les trois Lewis Karloff ne se contentent pas d’être complémentaires, ils se déteignent dessus : la guitare ose l’alambiqué tandis que la rythmique caresse le fantasme grind sans jamais oser rentrer complètement dedans. La musique du groupe varie donc d’un Guapo sans prétention à un Flying Luttenbachers jazzy et ce avec une bonne dose de funk. Dès qu’un détail me choque les oreilles, un autre vient le contrebalancer. L’adhésion est totale sur le dernier titre interprété et drivé par une ligne de basse sourde et disco (oui c’est facile mais lorsque c’est si bien fait on ne peut pas s’empêcher de remuer les fesses en souriant bêtement), un titre radicalement jouissif qui s’achève sur un beau bordel de n’importe quoi. On applaudit bien fort Lewis Karloff dont les membres semblent un peu surpris par tant d’enthousiasme, et oui les gars, encore bravo. 



















Place à Ahleuchatistas. Pendant longtemps j’ai eu du mal à avoir la confirmation ou non de la bonne tenue de ce concert. L’une des éminences de Grrrnd Zero avait même écarquillé les yeux lorsque je lui avais parlé du groupe -Atchoum Vasistas ? nan je connais pas. Pourtant sur internet le groupe continuait d’annoncer une date lyonnaise pour le 17 novembre, à confirmer. C’est énervant quand même. Ahleuchatistas est également un trio, avec une discographie déjà bien fournie (quatre albums en cinq années c’est vraiment pas mal), et surtout un nouveau batteur depuis cet été. Celui-ci va jouer sur la batterie de Lewis karloff mais il met un temps impensable à la régler à son goût, que je te monte une cymbale par ici, que je te déplace un tom par là, que te dérègle ce que je viens juste de régler et puis que je recommence tout à zéro. Le guitariste et le bassiste du groupe le regarde d’abord d’un air amusé avant que monsieur Gaffer n’intervienne pour expliquer que l’heure tourne et qu’il y a encore deux autres groupes après eux. Tout le monde est enfin en place, ce nouveau batteur (qui joue en chaussettes) ne va pas tarder à démontrer qu’il sait ce qu’il fait -le seul indice tangible de sa présence récente dans le groupe sera lorsque le bassiste lui chantonnera des lalala lala pour lui indiquer le titre suivant à jouer : le trio a énormément de morceaux à son actif, des titres tout compliqués avec plein de chausse-trappes et de tiroirs à double fond, en avoir mémoriser l’essentiel a du être une sacré tache pour le nouveau venu.
















Ça ne rigole pas avec Ahleuchatistas. Ou plus exactement on dépasse tellement les bornes question technique, maîtrise de l’instrument, empilement de breaks improbables, riffs qui déchirent, basse qui bulldoze avec élégance, batterie qui mitraille, que l’on est rapidement au-delà de toute démonstration, de toute notion de fun clinquant, de tout piédestal regarde moi comme je suis beau quand je joue. Le groupe n’a pas besoin de plus d’un titre pour être à l’aise (juste une dernier réglage de la part du batteur, décidément). Ça joue vite et fort, ça joue très bien et surtout ça joue punk. Cette incroyable sensation lorsque on écoute les disques et qui fait dire qu’ Ahleuchatistas est un groupe d’extra-terrestres, un groupe hors catégorie en matière de rock instrumental qui réussit à allier urgence et architecture soignée de sa musique, cette sensation ressort encore avec plus d’éclat en concert.
Le guitariste tente la pointe d’humour en affirmant que puisqu’ils n’ont pas beaucoup de temps pour jour ce soir ils vont faire un maximum de morceaux, très vite. La suite lui donne évidemment raison, le groupe se donne à peine le temps de souffler entre chaque titre, juste ce qu’il faut pour décider de ce qui va être jouer dans la foulée -et donc le fameux lalala lala. Le plus impressionnant des trois est le bassiste, avec ses doigts énormes, un touché puissant et précis, un bûcheron doté de l’élasticité d’un poulpe, arrivant à conjuguer un groove certain avec un débit de notes ahurissant. Je deviens définitivement fan de groupe et après le concert je me dirige vers son stand de marchandising histoire de marquer le coup avec une nouvelle poussée de fièvre consumériste : je ne peux pas acheter un des disques puisque je les ai tous (au passage Ahleuchatistas les vendaient quinze euros, c’est pas donné) et je renonce au t-shirt parce qu’ils sont moches, alors tant pis. Comme prévu je renonce sans aucun remord également aux deux derniers groupes de la soirée, ce sera peut être pour une autre fois. 


 [prochain et dernier rendez-vous de ce Gafferthon 2008 : ce sera le 27 novembre au Rail Théâtre avec Lightning Bolt, Chewbacca et SoCRaTeS, yummy! ]