mercredi 21 janvier 2009

Fennesz / Black Sea






















Je devrais peut être essayer au moins une fois la chronique lapidaire, celle qui en une seule phrase fait un sort à un disque et qu’on en parle plus. Pour Black Sea, quatrième et dernier album en date de Christian Fennesz cela donnerait quelque chose comme : très beau disque mais très chiant aussi. Cette méthode expéditive a plusieurs avantages. Elle ferait enrager les fanatiques de l’autrichien tout en faisant s’esclaffer ses nombreux détracteurs, je deviendrai un béotien aveugle et sourd pour les uns, un héros malfaisant pour les autres. Surtout cette méthode, elle me laisserait davantage de temps libre pour réécouter pour la milliardième fois Speak English Or Die de Stormtroopers Of Death (le disque que j’ai le plus envie d’entendre en ce moment même). Non mais qu’est ce que j’attends ?
Les choses ne sont évidemment pas aussi simples -l’évidence c’est cette invention humaine, cousine de la vérité, qui permet d’affirmer des choses et de prétendre que l’on a raison souvent dans le seul but d’acquérir un peu plus de pouvoir. N’étant pas de ce genre là (je ne peux vraiment pas grand-chose), je fais uniquement semblant avec mes évidences et mes vérités, comme la plupart d’entre nous, ce qui au passage laisse le champ libre à celles et ceux qui sont visiblement intéressés par l’idée d’ascendance. Il y a donc deux sortes d’évidence : le mensonge et le pouvoir. Mais comme ici nous parlons musique, cela n’a aucune espèce d’importance.
























Cette vision quelque peu pessimiste de monde qui nous entoure est à l’extrême opposé de Black Sea. Un disque sombre, brumeux, abyssal, granuleux mais jamais désespéré. S’il fallait citer un album toutes catégories confondues illustrant le propos ci-dessus, on choisirait Drawings Of Patient O.T. d’Einsturzende Neubauten, Cop des Swans ou Bad Moon Rising de Sonic Youth, ce genre de disques dont la beauté vénéneuse naît de la révolte et de l’horreur moderne, une horreur laissant ses traces directement dans la chair -c’était flagrant à propos des swans. Mais ce sont des disques qui ont plus de vingt cinq ans, de nos jours on ne fait plus que des disques résignés ou nostalgiques des hurlements d’antan alors que le monde n’a pas changé, il est juste pire.
Ce qui frappe avec la pochette de Black Sea (je parle de la version CD) c’est cette étendue avec des bâtiments perdus dans la brune tout au fond et la perspective filante des rails -en fait non, ce n'en sont pas...- à demi effacés par le sable et les flaques d’eau. Un monde qui s’amenuise mais qui n’est remplacé par rien. Surtout cette photo me ferait presque penser à l’entrée d'Auschwitz ce qui est sûrement totalement involontaire, surtout lorsqu’on regarde la photo de la version LP du disque qui évoque plus que tout le naufrage du monde industriel et de ses usines devenues inutiles. Ces images sont tristes, la musique à l’intérieur aussi mais il n’y a aucune révolte là dedans, uniquement une espèce de renoncement fœtal (très agréable à l’écoute du disque) qui s’oublie dès que Black Sea se termine.
Plus formellement, si la musique de Fennesz est ennuyeuse -il faut également bien garder à l’esprit que lorsque le monsieur a commencé, des bidouilleurs armés d’une guitare et d’un laptop cela n’existait pas, aujourd’hui les imitateurs sont légions- c’est parce qu’il ne peut pas s’empêcher de temps à autres de prendre son synthétiseur et d’envoyer la sauce au chocolat, nappage sucré et écoeurant qui gâche les arrières plans dans lesquels Fennesz est depuis longtemps passé maître (accidents sonores, craquements, toute la panoplie quoi). Alors que paradoxalement je voue un certain culte à l’album précédent -Venice, paru en 2004- qui est de loin le travail le plus mélodique et imagé de l’autrichien, je trouve qu’ici l’abstraction sonore construite pas Fennesz est régulièrement amoindrie pour ne pas dire gâchée par ce ou ces synthétiseurs malvenus et distillant des mélodies d’une mièvrerie gênante. Une dernière chose : jusqu’ici le son Fennesz avait cette dualité un peu floue entre analogique et numérique qui lui donnait un caractère étrange venu d’ailleurs. Avec Black Sea j’entends surtout le ronflement du processeur et le grésillement des barrettes mémoire d’un ordinateur, même les cordes de guitare ne sonnent pas.