samedi 25 avril 2009

Deity Guns / A Recollection


Annoncé depuis quelques mois, A Recollection, coffret compilant l’intégralité des enregistrements studio ainsi que quelques live de Deity Guns est enfin disponible (et oui, de nos jours même les vieux groupes fantômes ont droit à un monospace). On ne peut pas dire que le label Ici D'Ailleurs se soit foutu de la gueule du client : contrairement à The Acoustic Machine, anthologie publiée en 2003 et compilant les années Bästard (le groupe d’après de quelques uns de ces jeunes gens), la présentation est ici soignée, dans un joli petit coffret avec pochettes intérieures cartonnées, un livret très fourni en photos du groupe (c’est dingue comme à l’époque on portait encore le cheveux un peu long), en reproductions d’affiches (c’est celle du concert à l’E.N.T.P.E. de Vaulx-En-Velin avec Elmer Food Beat qui vaut le plus de points) et avec les habituels détails techniques qui permettent de s’y retrouver. Il y a également quatre autocollants reprenant quelques uns de ces visuels, dont un de Marie-Claire Cordat -l’une des futures têtes pensantes du Pezner- pour le mini LP Stroboscopy.
Tous les enregistrements présentés ici ont été remasterisés par Ivan Chiossone (Narcophony, Zëro), on ne sort donc pas de la famille. Les deux premiers disques proposent les enregistrements studio dans un ordre à peu près chronologique tandis que le troisième est consacré au live.
Le premier CD attaque avec Stroboscopy (parution en 1991 chez Black & Noir), premier véritable enregistrement studio de Deity Guns que les lyonnais étaient partis effectuer à Angers en compagnie de Gilles Théollier (l’homme de Seconde Chambre). C’est de loin l’enregistrement le plus punk du groupe, rythmiques rapides flirtant à l’occasion avec le speed, tandis qu’il y a déjà l’embryon de tout le travail à venir avec les guitares -pendant que l’une récure, l’autre atomise et inversement- sans oublier la basse tenant un rôle dépassant le commun généralement admis, oui dans les mots guitare basse il y a surtout le mot guitare, les Deity Guns n’ont jamais négligé l’importance de cet instrument et d’ailleurs faut il rappeler que le groupe a terminé sa courte carrière avec deux bassistes ? Stroboscopy s’achève avec North Face, long titre chargé d’une grandiloquence dont le groupe saura fort heureusement se débarrasser par la suite.
Suivent trois titres issus de compilations ou de split singles dont un Appointment In Sète pour ma part jamais entendu auparavant et enregistré pour une compilation publié par V.I.S.A. records, un titre qui dévoile toutes les intentions bruitistes des guitares chez Deity Guns, le nappage distordu et acide dont le groupe se servira à l’avenir pour faire éclater ses compositions.
Ce premier disque s’achève avec le Loom EP, quatre titres initialement publiés en CD sur un pseudo label (Rik) qui n’a jamais rien sorti d’autre, ça sent l’autoproduction déguisée tout ça. Loom reprend les bases jetées par Stroboscopy (l’introductif The Opposition Act ou le plus nuancé Blow Up) mais les Deity Guns sont déjà en pleine mutation : le groupe a compris qu’il y avait des moyens moins directs, plus tortueux et au final plus efficaces pour faire passer la fureur et le bruit. Ralentis et névrotiques, Shaman et surtout She Loomed sont les premiers grands titres des Deity Guns.























Le deuxième CD de cette anthologie est presque entièrement consacré à l’album Trans Line Appointment publié en 1993 sur Big Cat (label de Cop Shoot Cop, Foetus ou… Pavement). Pour ce disque les lyonnais se sont déplacés à New York aux studio Fun City de Wharton Tiers et juste au cas où personne n’aurait encore remarqué l’amour immodéré que portent les Deity Guns à Sonic Youth, c’est Lee Ranaldo qui est chargé de produire l’album (le livret de A Recollection propose au passage un court texte de lui se remémorant la période de cet enregistrement et, de son propre aveu, il ne se sentait pas encore très aguerri comme producteur).
Se débarrassant toutefois sans trop de peine d’influences aussi visibles et avouées (Sonic Youth donc, mais aussi en première ligne la no wave new-yorkaise dont Wharton Tiers est un éminent survivant) Trans Line Appointment est purement et simplement un chef d’œuvre. Les envolées punks sont presque oubliées, place aux ambiances, aux climats, à la tension, à l’âpreté -moins de gras rock’n’roll et plus d’aridité noise. Ce disque est le premier grand disque du genre à être publié en France par un groupe français, il va rapidement faire école.
Difficile au milieu des neufs titres de Trans Line Appointment d’en trouver un qui se détache du lot. Certains ont une particularité bien à eux (Cruisin’ Coast Shadows est le plus pop et le seul sur lequel plane franchement l’ombre de Sonic Youth, TV Black Screen encore fortement teinté des enregistrements précédents et avec une très bonne intervention d’Erik Minkkinen de Sister Iodine au chant, Billy Dracks sombre et inquiétant ou Tinnitus et ses accélérations foudroyantes) mais mon préféré reste et restera à tout jamais Desert, clôture magistrale du disque, tout en dissonances et en boucles instrumentales superposées, préfigurant très nettement les futures travaux de Bästard.
Au rayon invités et outre Eric Minkkinen déjà mentionné, notons l’apparition de la voix de K.J. sur deux titres -c’est elle qui tiendra également la deuxième basse à la fin du groupe, auparavant elle a participé à l’une des dernières moutures de Missing Foundation, période Go Into Exile et partira à Londres avec l’autre bassiste Stef Lombard, marquant la fin des Deity Guns. Lee Ranaldo est responsable de quelques boucles sur Bob et a participé beaucoup plus activement au titre Vaccum Vibes (à la guitare et à la voix) enregistré pendant les mêmes sessions mais non inclus sur l’album. On retrouve ce titre sur la fameuse compilation Serial Killer vol 1 (Roadrunner, 1993), l’un des deux disques étendards de l’éclosion noise en France dans les années 90, l’autre disque étant bien évidemment la compilation A Wild State Of Noise And Disorder publiée par Pandemonium records l’année d’après, en 1994.
Reste un troisième CD avec uniquement du live dessus. Les six premiers titres ont été enregistrés dans un squat à Rome en avril 1992 et montrent un groupe en pleine transition. Le son est étonnamment bon et les Deity Guns nuancent leur propos (She Loomed est placé en ouverture). A noter quelques inédits dont un Anyway très Deity Guns période Stroboscopy ou Smile, une reprise de The Fall que le groupe avait initialement enregistrée pour Abus Dangereux. On y trouve également Extra Love On A Parallel World, un titre dont la version studio figure sur un single de 1992 chez La Bande A Bonnot mais non incluse dans la présente anthologie. Ces six titres capturent toute l’intensité des Deity Guns sur scène et constituent un excellent complément et l’une des bonnes surprises de A Recollection.
Les huit titres suivants sont extraits du dernier concert jamais donné par les lyonnais, concert effectué à cinq (donc avec deux bassistes, est ce que vous suivez ?) qui s’était déroulé le 3 décembre 1993 au Transbordeur de Lyon (avec Condense juste avant et Les Thugs juste après, encore un grand souvenir de concert grâce aux Silly Hornets). Ces huit titres -faisant la part belle à Trans Line Appointment et parmi lesquels on trouve une reprise du Hello Skinny des Resisdents- ont déjà été disponibles sur un CDr épuisé depuis longtemps et comprenant lui l’intégralité de ce dernier baroud d’honneur, soit quinze titres au total. Outre l’aspect définitivement poignant d’un tel enregistrement -j’y étais, dégoûté pendant longtemps après de la disparition prématurée de l’un de mes groupes favoris du moment- et en dépit de la qualité très relative de l’enregistrement, ces huit titres restent le témoignage ultime d’un grand groupe profondément en avance sur le reste de la scène locale et parfaitement à sa place sur la scène mondiale underground. Du premier titre The Last Gig Blues (intitulé New Blues sur le CDr) sur lequel la voix de K.J. fait des miracles jusqu’au final -The Desert, bien évidemment- c’est l’émotion pure qui nous étreint une dernière fois. Passionnément.