jeudi 2 avril 2009

Hey! Tonal


Vous détestez Kevin Shea ? Ça tombe bien, moi aussi. Bien sûr je ne parle pas de la personne mais du musicien : j’attends toujours d’assister à un bon concert de Talibam! et je ne parle même pas de Get The People (inintéressant sur disque, déjà un peu mieux sur scène). Désormais il faut aussi que je me fasse violence pour déguster les enregistrements de Storm And Stress de peur d’y retrouver trop de ce jeu de batterie qui me hérisse le poil et me tanne le cortex. Non pas qu’écouter Kevin Shea dans la position du gros pépère avachi dans son salon soit une mauvaise expérience en soi mais l’avoir vu jouer (plusieurs fois) en live me fait toujours me poser les mêmes questions -ce type sait il ce qu’il joue ? est ce qu’il entend l’autre type qui joue à côté de lui ?- et m’amène invariablement à la même réponse : non. Ceci dit j’ai un peu le même problème avec Zach Hill (de Hella). Il y a toujours quelque chose qui me gène avec ces musiciens qui allient déconnade du barouf et musique savante, il y a toujours un truc qui ne colle pas entre la décontraction du branleur et le musicien qui assure sa race (exceptions notoires : Lightning Bolt, Pneu… liste non exhaustive). Passons.
Lorsque le premier album de Hey! Tonal a débarqué j’ai donc eu un peu peur. Kevin Shea y joue de la batterie. On y retrouve également Mitch Cheney -ex Rumah Sakit, ex Sweep The Leg Johnny mais également cofondateur d’African Tape, le label responsable de la sortie de ce disque de Hey! Tonal et dont on a déjà parlé il y a peu à l’occasion de la parution de Oh My Satan, le deuxième album de Passe Montagne. Quant aux trois autres musiciens qui jouent sur ce disque sans titre, je n’en connais aucun -Dave Davison, Alan Mills et Theo Katsaounis- et ne sais vraiment rien d’eux ou n’apprécie pas forcément leurs autres groupes (Joan Of Arc…).




















Cinq musiciens suffisent ils à former un groupe ? Assurément oui, c’est même plus que nécessaire. Pourtant Hey! Tonal n’est pas vraiment un groupe à proprement parler pas plus que ce premier enregistrement n’en est réellement un au sens classique du terme. On parle bien de musique là mais il faut préciser que nos cinq garçons habitent à des (milliers de) kilomètres les uns des autres et que tout le processus d’enregistrement s’est fait à distance, de façon parcellaire par échanges de fichiers informatiques de données et ce sont Mitch Cheney et Alan Mills qui ont mélangé tout ça dans leur shaker, assemblé le bordel et mixé pour un résultat disons le tout de suite étonnant et très réussi. Un vrai disque de studio ou plutôt un disque de laboratoire avec fécondation in vitro en guise de processus et ordinateur comme couveuse. Et c’est là le coup de génie de Hey! Tonal : avoir su créer artificiellement une musique qui se tient et qui surtout tient l’auditeur en haleine.
La principale réussite de l’album c’est surtout d’avoir su utiliser Kevin Shea (encore lui !) à bon escient. C’est lui qui a été enregistré en premier, ses battements ont servi de base à tous les autres musiciens -ce qui n’est pas sans une certaine logique et c’est même une démarche au final assez classique pour un enregistrement- et Mitch Cheney a réussi à magnifier son jeu façon free jazz break beat (et un peu casse-couilles) en une forme de boite à rythmes mi humaine mi robotique, à la fois compulsive et infaillible, chaotique et métronomique.
Ce que l’on entend sur ce disque sans titre est assez indescriptible (tu perds ton temps, cette chronique ne sert vraiment à rien, arrête-toi tout de suite de la lire) parce que bien trop riche au niveau sonore pour arriver à faire le tour de la question en deux ou trois formules bien torchées. Disons qu’il y a du math rock là dedans, du free foxtrot, du post jazz et du neo prog, du paso doble atomique… c’est beau les étiquettes, hein ? Cette musique est -cela me fait mal de l’admettre- à l’image du jeu de Kevin Shea, crépitant sans cesse de mille petites étincelles soniques. Par instant cela fait un peu le même bruit que lorsque on verse quelques gouttes d’eau froide sur une poêle à frire chauffée à blanc. Et les textures de guitares -parce qu’il vaut mieux parler ici de textures que de riffs, le traitement des six codes frisant même parfois la bidouille électronique- vont dans le même sens, celui de micro explosions délurées comme s’éparpillant dans un espace clos, rebondissant les unes contre les autres dans un flipper multidimensionnel pour revenir former un tout, protéiforme, éphémère, insaisissable mais passionnant. Foisonnement des détails et complétude taillée dans la masse. L’écoute au casque de ce disque est proprement vertigineuse et malgré l’ébullition perpétuelle de sa musique, Hey! Tonal installe une ivresse proche du bercement.
Mention spéciale au tout premier titre, If Flash Gordon Was A SK8R, et surtout à son final avec un peu de voix et quelques notes de trompette, à vrai dire l’un des rares moments du disque où Hey! Tonal n’est pas en mode essorage mille tours minute : il y a une douce tension qui plane à ce moment précis, presque de la poésie en suspens et je n’ai pas pu alors m’empêcher de penser au meilleur de Cheer Accident, le groupe de Thymme Jones, qui est peut être la seule chose à laquelle Hey! Tonal pourrait être un peu comparé.