vendredi 10 avril 2009

Nadja / Corrasion


Nous avons déjà parlé de Basses Fréquences, label spécialisé dans les musiques drone/doom/noise/etc et éditant notamment en mode DIY des CDr emballés dans des jolies petites boites métalliques (c’est la série intitulée Digital Duplicated et référencée en 0.1.1). Le label propose également une série Digital Replicated (0.1.2) comprenant la réédition du très bon I Fall Into You d’Aidan Baker et annonçant deux ou trois régalades pour très bientôt (Elemantaural Research Project). Enfin une dernière série -Analog, soit 0.1.3- s’occupe elle uniquement d’édition de vinyles. C’est sur cette dernière que l’on retrouve Letters, encore un album d’Aidan Baker. Basses Fréquences aime le travail du canadien et c’est fort logiquement que le label a également entrepris de rééditer Corrasion, l’un des meilleurs enregistrements de Nadja.
Comme souvent chez Nadja, Corrasion est le réenregistrement d’une première version datant de 2003 et publiée en CDr à l’époque où Aidan Baker était encore seul aux manettes du groupe. Une première édition CD de ces réenregistrements en tant que duo a été faite par le label polonais Foreshadow en 2007 (cette édition ne comprenant pas moins de trois titres bonus tirés de splits ou de compilations). Celle proposée par Basses Fréquences comprend les quatre titres originaux auxquels ont été ajouté un long Numb jusqu’ici uniquement disponible en tant que face B virtuelle du net single Basefluid. La pochette du disque est gatefold, l’artwork a été sensiblement modifié (et rend dix fois mieux) et c’est un tirage limité à cinq cents exemplaires -dont les cent premiers ont été fondus dans un beau plastique bleu électrique et profond.






















Electrique et profond ce sont aussi les meilleurs qualificatifs que l’on pourrait trouver à propos de la musique de Nadja (qui ne manque pourtant pas de commentateurs plus ou moins éclairés et d’appellations elles aussi plus ou moins contrôlées). Corrasion allie cet éternel soucis de flottement aérien et de gravitation métallique. Ainsi Basefluid finit par développer un riffage lourd et presque menaçant reléguant au second plan les vapeurs fantomatiques s’échappant de la guitare d’Aidan Baker tandis que le boite à rythmes martèle un beat broadrickien de premier ordre. Enchaîné à ce premier titre, You Are As Dust est un deuxième petit hit pour Nadja, conjuguant cette fois attente et un chant à mi-chemin entre murmure rauque et feulement de bête sauvage acculée -une retenue menaçante qui trouve sa conclusion libératrice dans un final à nouveau très inspiré, lent et lourd mais toujours avec ces courants ascendants qui donnent envie de lever la tête et de perdre son regard au loin, un peu lorsque on regarde un détail du ciel par une nuit étoilée.
On retourne la galette pour écouter le morceau titre. Corrasion est essentiellement construit dans le style ambient mais les nappes et bourdonnements tirés des guitares de Baker et de la basse de Leah Buckareff ont tendance à se resserrer alors que la lisibilité du riff qui tournait en rond depuis le début s’estompe : Nadja s’y connaît comme personne pour noyer son auditeur tout en lui donnant l’impression de le sauver du tumulte des flots. Puis Corrasion s’étire mollement vers une fin en pente douce jusqu’à s’éteindre tristement.
Le deuxième disque démarre par Amniotic -encore un titre qui dure toute une face- et qui reprend les choses là où les avait laissées Corrasion. Nadja souffle sur les braises d’un feu éteint depuis peu, une cymbale et quelques coups de caisse claire laissent deviner que la combustion va bientôt reprendre et que le crépitement n’est pas loin. En fait de crépitement Amniotic est une suite de saccades malsaines enrobant un chant dans la même veine que celui de You Are As Dust. La deuxième partie du titre fait tourner un riff qui flirt avec les sommets du spleen avec toujours cette alliance contre nature de la brume et du plomb.
L’album s’arrête là mais la quatrième face de Corrasion est entièrement occupée par Numb, un bon titre bonus quoique plus direct et simpliste que ses prédécesseurs. C’est le morceau le plus ouvertement shoegaze et post quelque chose de ce double LP, fonctionnant un peu trop en pilotage automatique et sans apporter de réelles variations entre le début et la fin (mises à part quelques fantaisies de temps à autre sur la boite à rythmes et une conclusion bruitiste). Derrière la facilité d’une telle construction pointe tout de même l’ivresse angoissante d’une course effrénée dans un labyrinthe sans issue mais pour une fois chez Nadja, on sent bien que c’est un peu pour de faux.