mercredi 10 juin 2009

Strings Of Consciousness & Angel




















Ce vinyle transparent a été gravé dans ma couleur préférée : celle du sérum maléfique d’Herbert West (l’homme qui préfèrera toujours un bon corps à corps avec un zombi ou une fuckerie nécrophile), celle aussi de ce LP de Lucrate Milk que j’écoute encore quand j’en ai marre des guitares -ce qui arrive on ne peut plus rarement tout de même. Une couleur phosphorescente et verdâtre comme celle du liquide dont les lycéens et étudiants de bonne famille se servaient encore il y a vingt ans pour remplir des bouteilles de verre disséminées dans leur apparts pourris et mettre ainsi un peu d’ambiance (total années 80, l’ambiance) lorsqu’ils fumaient du mauvais shit coupé acheté place du Pont. Il fallait bien ça pour pallier à l’absence d’effets d’une résine d’aussi piètre qualité. Oh t’as vu il y a des lucioles carnivores qui bougent toutes seules sur le mur. Heureusement que certains ont rapidement pris des cours de botanique et de jardinage tandis que les autres se sont dépêchés de découvrir qu’il existait des compagnies de cars permettant pour une somme modique de se rendre au-delà des frontières nord-est de la métropole. L’adolescence est une période merveilleuse.
Ce vinyle on a donc tout de suite envie de l’accrocher au mur tellement il est beau et tellement il rappelle des souvenirs qui mériteraient bien une crucifixion. Ce qui serait fortement dommage tant les deux plages sans titre (respectivement d’une durée de 22’04 et de 18’41) de cette collaboration entre Strings Of Consciousness et Angel -duo fondé par Ilpo Väisänen (une moitié de Pan Sonic) et Dirk Dresselhaus (Schneider TM) rejoints depuis quelques années par la violoncelliste islandaise Hildur Gudnadottir- se révèlent passionnantes. On ne présente plus Strings Of Consciousness, combo protéiforme emmené par Philippe Petit et Hervé Vincenti dont on pense énormément de bien et en ce qui concerne Angel, le pedigree de ses participants pourrait être une bonne indication bien qu’il se montre assez trompeur. Le trio a trois albums à son actif -le tout premier, enregistré à deux, publié par BiP-HOp, le propre label de Philippe Petit et deux autres sur Mego- et sont autant de curieuses alliances de plages ambient, de sonorités industrielles et urbaines, d’interventions acoustiques marquées et de paysages sonores. Pas facile de s’y retrouver donc.
Ce qui n’est absolument pas le cas de ce LP qui porte essentiellement la marque de Strings Of Consciousness c'est-à-dire celle d’une musique hybride mais enveloppante portée par une base à la fois instrumentale et électronique, mélange qui a déjà fait plus que ses preuves sur les trois titres instrumentaux du 10’ partagé avec Kammerflimmer Kollektief (et repris sur le CD Fantomastique Acoustica). La première face de ce LP sans titre est de loin ma préférée bien qu’elle épouse la forme éculée de l’ascension avec toutes les étapes du processus qui vont bien (exposition, empilement, paroxysme, éternité) et qui a fait le bonheur de centaines de musiciens expérimentaux depuis quelques décennies mais parfois un peu moins celui de l’auditeur c’est vrai. Qu’importe, Strings Of Consciousness et Angel c’est l’assurance d’une belle dynamique et d’un travail percutant sur le son, celui des cordes bien entendu mais également celui de l’accordéon -il faudra qu’un jour on aborde le sujet Pauline Oliveros- auxquels il faut ajouter les grésillements et traitements sonores insufflées par les électroniciens/platinistes et l’intervention à mi parcours de la guitare avec un motif d’une simplicité confinant à la beauté et doté de ce son tout en pureté. Puisque il faut bien lâcher une appellation contrôlée parlons de drone (un terme qui dans pas très longtemps maintenant quittera définitivement le vocabulaire des hipsters pour rejoindre celui des ringards) et celui égrainé sur cette première face se révèle envoûtant et résonnant, on n’en attendait pas moins pour être comblé.
La face B du disque possède une structure plus floue, moins axées sur la dynamique (pas d’évolution flagrante) mais focalise davantage sur les effets de strates et les textures. Une nouvelle fois on est interpellé par la beauté du son de l’accordéon -il s’agit plus d’un bandonéon, non ?- tout en nuances et en distinctions. Ce travail de mise à plat sonore se révèle tout aussi passionnant que celui (basé sur le mouvement) de la première plage mais n’allez pas croire que ce second titre ne soit qu’une succession de sons assemblés à la queue leu leu : les différents éléments s’entrecroisent, s’imbriquent, s’amplifient mutuellement jusqu’à former un tout à la fois multiforme et homogène -l’auditeur a seulement plus de temps pour goûter à toutes les variations, toutes les nuances chromatiques et toutes les dénivellations subtiles de cette musique. Ce n’est pas que le temps s’arrête mais plutôt que l’on tournerait soi-même dans un sens tandis que le disque (la musique) tournerait exactement dans le sens contraire à une vitesse presque égale, une bonne idée d’un mouvement immobile et de l’impermanence des sensations.

[Cette première collaboration entre Strings Of Consciousness et Angel est disponible en LP chez Consiracy records, la version CD est publiée grâce aux bons soins de Important records.]