lundi 31 août 2009

Siouxsie & The Banshees At The BBC























Siouxsie And The Banshees At The BBC. Ce magnifique et imparable coffret comprenant trois CDs et un DVD entérine définitivement la théorie fumeuse qui énonce que Susan Janet Ballion et ses boys auraient dû arrêter de faire de la musique après 1982 et après avoir viré John McGeoch du poste de guitariste -grossière et impardonnable erreur il est vrai, même si les problèmes éthyliques du dit guitariste semblaient devenir insolubles, on ne croise pas deux fois dans sa vie un musicien de la trempe et aussi génial que McGeoch. Cette théorie, à laquelle je souscris volontiers bien que j’écoute de temps à autres les albums post 1982 tels Hyaena (1984) et -la honte- Tinderbox (1986), a été ardemment défendu au printemps dernier par un conglomérat de hipsters prétentieux à l’occasion de ce que ces exégètes implacables et sans pitié appellent un get up and turn the vinyl, c'est-à-dire le passage en revue de toute la discographie connue, officielle ou nom, singles compris, d’un groupe jugé important.
Plus que le résumé d’une carrière en forme de cloche (je ne parle pas de Suzie mais de sa chute vertigineuse après une ascension irrésistible) Siouxsie And The Banshees At The BBC remet quelques pendules pseudo gothiques à l’heure d’été, dévoile un catalogue impressionnant d’archives pour certaines tout simplement essentielles et est la preuve que le mot le plus important dans l’expression music business n’est pas musique : les artistes meurent, les groupes splittent mais les producteurs veillent au grain.
Le premier disque rend obsolète Voices On The Air, CD paru en 2006 seulement et compilant déjà toutes les Peel Sessions enregistrées par les Banshees entre 1977 et 1981 (la dernière session, celle de 1986 et correspondant à l’album Tinderbox, figure sur le deuxième disque du coffret). Y sont rajoutés des enregistrements pour Richard Skinner et le tout couvre donc la période d’éclosion et de maturation d’un groupe post punk en hydre goth -goth dans le bon sens du terme, pas celui incompréhensible et d’ailleurs rejeté par Siouxsie et qui aujourd’hui rassemble nombre de groupes pseudo mythiques et poseurs (Sisters Of Mercy) et attractions de variétés (Indochine ou Maryline Manson). Le deuxième disque de At The BBC documente le début de la fin, le départ déjà évoqué de McGeoch, et la mise en œuvre de compositions dans un premier temps caricaturales du propre style inventé par Siouxsie & The Banshees puis se tournant de plus en plus vers la facilité chic et choc -l’horreur des années 80 quoi. Ce deuxième CD s’achève par la première partie d’un live mollasson enregistré en mars 1986 auquel on préfèrera la seconde partie gravée pour raisons de place en début du troisième CD : cette dernière comprend plus de vieux titres composés à l’époque de McGeoch et ce n’est pas la version trop ralentie de Night Shift ou l’insupportable gimmick sautillard de Cities In Dust (single du moment des Banshees) qui viendront gâcher notre plaisir. Mais tant qu’à faire, pour entendre du live de Siouxsie, autant se jeter sur Nocturne, superbe double LP en forme de best of enregistré en concert en 1983 avec Robert Smith comme guitariste intérimaire et qui enterre radicalement ce Live At The Appollo Theatre.
Autre concert placé sur le troisième disque, un Live At The Royal Albert Hall datant de 1988 prouvant que Siouxsie n’avait pas attendu les années 90 et Kiss Them For Me pour s’adonner à la variété à la fois grandiloquente et pleurnicharde. Cela me fait d’autant plus mal au cœur que la seule et unique fois que j’ai vu Siouxsie & The Banshees en concert c’était précisément à cette époque là et que le souvenir de jeune homme éjaculateur précoce que j’en garde (la diva était nue sous un chemisier transparent noir) en prend forcément un sacré coup. Spellbond, chef d’œuvre parmi les chefs d’œuvres du groupe, est au passage atrocement mutilé par une interprétation sans vie et l’apport de synthétiseurs sirupeux tandis que Christine fait les frais des cours de chants onéreux payés à Siouxsie par sa maison de disques dans l’espoir qu’elle perce enfin le marché américain (ce qui ne l’empêchait pas de chanter encore faux ici ou là). Et je vous passe les bouses telles que The Killing Jar, This Wheel’s On Fire (façon Blondie disco) ou l’intenable Rhapsody, gorgé de théâtralité et d’artifices larmoyants.
Le DVD résume en images le même parcours vers la putasserie avec heureusement une grosse majorité de documents datant des débuts des Banshees. A l’heure des sites de partage de vidéos il n’y a rien d’exceptionnellement rare ni d’inédit ici, juste le plaisir de revoir ces images dans de bonnes conditions. A noter une excellente version de Love In A Void capté en 1979 pour l’émission Something Else et avec Robert Smith à la guitare. A noter aussi les huit titres enregistrés en 1981 pour Rock Goes To College mais encore une fois rien qui ne surpasse les images de Nocturne (également réédité en DVD il y a deux ans). Le plus drôle dans ces images d’archives ce sont les séquences de Top Of The Pops : comme tous leurs confrères, Siouxsie & The Banshees y faisaient des apparitions en play-back et de Playground Twist (1979) à Kiss Them For Me (1991) on y voit un groupe faisant de moins en moins semblant d’être crédible, parfois complètement défoncé -amusez vous à comparer les deux versions de Dear Prudence, celle de septembre et celle de décembre 1983- et lassé de tout ce cirque. Une triste fin.

dimanche 30 août 2009

Sheik Anorak / Week EP





















Gaffer records aussi se lance dans l’édition de cassettes, logiquement cela s’appelle Gaffer Tapes mais ce n’est pourtant pas ce label qui publie sur support magnétique le nouvel enregistrement de Sheik Anorak -rappelons à toutes celles et tous ceux qui sont partis beaucoup trop longtemps en vacances que derrière Gaffer records et derrière Sheik Anorak et il y a une seule et même personne. Intitulé Week EP, cette nouvelle livraison est donc disponible en cassette via le label grec Phase! records (cinquante exemplaires) et via l’espagnol For Noise's Sake en CDr (cinquante exemplaires également, numérotés à la main s’il vous plait). L’internationale européenne de la noise.
Week EP
est à part dans la courte discographie de Sheik Anorak et n’a rien à voir avec les excellentes prestations en concert que donne régulièrement ce one man band puisque ici notre garçon s’est amusé a enregistrer séparément guitares, basse, batterie et chant avant de mixer le tout pour obtenir de vrais et courts morceaux comme joués par un vrai groupe. Une bande de jeunes à lui tout seul. Ce que l’on entend sur Week EP Sheik Anorak ne pourra donc jamais le reproduire à l’identique en live. De son propre aveu, il a enregistré ces quatre titres d’abord par hasard, en bricolant dans sa cave au cours d’une semaine pendant laquelle il avait du temps à perdre (quel veinard) -d’où le titre de la cassette et d’où le titre également des compositions : Sunday Morning/Sunday Evening, Monday, Tuesday Afternoon et Friday Night.
Le résultat est donc spontané et brut, tentative instinctive et sans réelles arrière-pensées. Cela n’étonnera personne de trouver de larges influences no wave en première ligne sur Week EP. Guitare qui stridule, basse qui terrasse et batterie parfois très simpliste et brutale (au moins autant que chez Arab On Radar comme sur le tout premier titre) avec toujours des petites marques mélodiques et élégantes qui transparaissent ça et là et qui sont d’ordinaire la marque de fabrique de SoCRaTeS -dont notre homme est aussi le guitariste… Le chant, comme passé au mégaphone, est lointain et sert plus de ponctuation nerveuse qu’autre chose mais c’est bien comme cela que je préfère d’habitude le traitement de la voix, donc tout va bien (si tu as vraiment quelque chose à dire et bien tant pis pour toi). Les influences sont parfois trop évidentes -sur le deuxième titre on jurerait entendre un riff piqué à AH Kraken qui l’auraient eux même volé à Sonic Youth lorsque les new-yorkais étaient encore à peu près jeunes ou du moins faisaient toujours illusion- mais les (bonnes) idées sont là, fourmillantes. Moi, quand je bricole, j’arrive tout juste à planter un clou dans le mur et à m’arracher un ongle au passage donc écouter ces quatre chansons en forme de jeunes pousses assemblées en dilettante, cela ne peut que m’impressionner.

[Et au passage deux news rapides : Hallux Valgus, duo formé par notre homme et le guitariste de Death To Pigs, a repris du service ce mois d’août et envisage de sortir un LP monoface durant l’automne. Pour faire patienter les die hard fans de SoCRaTeS qui n’en peuvent plus d’attendre un nouvel album, le trio lyonnais a lui décidé de lâcher un single avant coureur à paraître au mois de septembre.]

samedi 29 août 2009

Welldone Dumboyz / Magnetic Hippie























We Got No Balls hurlent ils gaillardement en guise d’ouverture après quelques secondes d’un bidougnouf électro invivable et, au cas où on n’aurait pas tout bien compris, ce slogan aguicheur est imprimé tel quel sur la jaquette en noir et jaune pipi de la cassette des belfortains de Welldone Dumboyz. Magnetic Hippie Vol 1 fait suite à White Cunt Hippie, un CDr à la présentation tout aussi cheap et approximative. Ces mecs ont l’air de s’en foutre royalement mais ils le font avec une certaine classe, ce petit quelque chose qui a l’air de rien -d’ailleurs ils ont l’air de rien- mais qui fait toute la différence.
Vous l’aurez compris, suivant cette tradition ridicule qui stipule que par soucis de crédibilité tout chroniqueur qui se respecte (même pas beaucoup) se doit de trouver une coqueluche, un obscur combo forcément génial qui obligatoirement un jour deviendra grand, j’ai moi jeté mon dévolu sur les Welldone Dumboyz, groupe attachant de losers méprisés par l’actualité et le raout médiatique. Et pourtant, Satan est avec eux, cela aussi c’est imprimé sur la jaquette -tellement pourrie qu’il faut prendre un appareil à résonance magnétique pour décrypter les titres des chansons (?) proposées ici-, juste en dessous de We Got No Balls on peut en effet lire le chiffre magique et maidenien : 666. J’avoue aussi que je n’ai pas trop eu le choix, difficile de trouver par les temps qui courent un bon groupe qui n’ait pas de tentations progressives et/ou de prétentions beauzardeuses.
Résumons : un support magnétique basse technologie + la spirale pisseuse de l’illustration avec les mains d’Houdini en guest stars + un slogan auto castrateur + la marque du Malin = une petite demi heure de grand n’importe quoi. Magnetic Hippie Vol 1 c’est la collection de tout ce qu’il restait aux Welldone Dumboyz une fois qu’ils ont eu fait le tri entre ce qu’ils pouvaient décemment mettre sur leur CDr et ce qu’ils pouvaient honnêtement balancer à la poubelle : du live à la salle des fête de Delle, chutes d’enregistrements effectués pendant des répétitions houblonées, bandes cryptiques passées à l’envers, stridences hypeuses (le gimmick électro placé en ouverture de la cassette la termine également, si ça c’est pas du message subliminal de première catégorie). Et au milieu de tout ce patafatras bordélique on trouve des vraies compositions qui donnent la trique, des vrais morceaux à la croisée d’une noise à la Trance Syndicate, des Melvins et de Jimi Hendrix sans les mains, le tout avec de la bonne musique dedans : l’instrumental punky crunchy noisy The Mysterious Song et le très bon et psychédélique John Kaltenbrunner sur la première face, le trop court Path Of A Gland Grinder ou le cheesy et couillu -ben oui, quand même- White Cunt (I’m Black And I’m Proud) sur la seconde. On attend donc la suite avec l’assurance de ne plus être déçu par un groupe qui n’en demandait pas tant.

[Et la suite ne saurait se faire attendre puisque est déjà annoncée la parution d’une nouvelle cassette splittée en compagnie du Massacre Du Client De 15 Heures, groupe avec lequel les Welldone Dumboyz partagent plus d’une chose, entre autres un guitariste aux goûts douteux. Le communiqué de presse officiel des parisiens indique également : à chaque écoute de ces nouveaux titres un membre d'Animal Collective chie du sang (sic). Pourvu que leurs fans en chient aussi.]

vendredi 28 août 2009

Pitsky, Clot & Headwar : rendez moi ma cassette


La cassette a le vent en poupe. Ne me demandez pas pourquoi, je constate, c’est tout. Même les labels sérieux et arty s’y mettent eux aussi. Dernier exemple en date : le très anglais et très expérimental Touch records qui se lance via Tapeworm dans l’édition de cassettes au tirage limité à 150 exemplaires ! Avec un début de catalogue annonçant Simon Fischer Turner, Stephen O’Malley ou Philip Jeck, ces petits supports rescapés d’une autre époque devraient rapidement devenir des objets de collection prisés et recherchés sur les sites d’enchères en ligne. Mais cela sert il à quelque chose ? Non pas vraiment. Je préfère nettement la position de tel label DIY qui en gros explique que s’il sort un groupe sur cassette c’est parce qu’il aime bien sa musique mais toutefois pas suffisamment non plus pour prendre le risque d’une édition plus onéreuse en format CD ou en vinyle (de plus en plus cher…). Au moins c’est franc et cela veut bien dire ce que cela veut dire.























En résumé on peut affirmer qu’un tape label ça sert à rendre dispo la musique des potes et éventuellement aussi la sienne, le tout à moindre frais. C’est exactement ce que fait Down Boy records -qui, attention, produit également des vrais disques en plastoc et pas des moindres : Death To Pigs, Shub ou Electric Electric…- en publiant cette cassette partagée entre Clot et Pitsky. Un combat des chefs pour savoir lequel des deux groupes a le nom le plus ridicule. Mais passons. On commence par la face Clot qui comprend une dizaine de morceaux instrumentaux ultra courts (jamais plus d’une minute et vingt secondes) joués par un couple guitare/batterie en roue libre et toujours à court d’idées une fois le temps imparti écoulé. Comme on n’en demandait pas plus -un riff, un rythme, un morceau- le garage noise de Clot tient parfaitement son rôle éjaculatoire et boutonneux même si on finit par regretter l’absence d’un peu de chant qui aurait relevé la sauce.
Du chant, bien que rare et lointain, il y en a chez Pitsky, power trio au moins aussi raw et aussi punk que Clot mais qui a au moins pris la peine de faire un vague effort de composition. Le son est également meilleur que sur l’autre face de la cassette bien que l’on imagine que ces six titres ont été enregistrés entre deux portes de placard. L’inspiration semble tenir du vécu avec des titres tels que La Salope, Parachute Bloqué En Position Merde (personnellement j’aime beaucoup) ou Presque Plus De Tabac. Ça promet pour la suite, que l’on espère encore plus grasse et encore plus sale.
Toujours chez Down Boy records, encore une cassette, toujours avec Clot sur une face. Je ne vous refais pas le descriptif mais je trouve ces titres du groupe meilleurs que ceux précédemment évoqués, un côté psychédélique en plus. De l’autre côté Headwar, groupe d’Amiens avec dix minutes maximum enregistrées pendant un concert improbable sous un pont autoroutier du côté de Metz en mai 2008 -on se croirait dans L’Ile De Béton de JG Ballard. Je n’avais jamais écouté ce groupe auparavant et c’est la révélation : juste si les gars d’AH Kraken et leurs copines respectives disséminés dans le public et visiblement déjà complètement bourrés avaient pu fermer leurs gueules parce qu’il y a des passages où on les entend plus fort que le groupe -il est cool ce morceau. Un groupe psychotique (façon Butthole Surfers), lourd et ralenti (comme les Swans), industriel et dissonant… il parait que depuis Headwar a publié un LP regroupant ses deux dernières démos en date, check check check.

jeudi 27 août 2009

Borah Bergman Trio / Luminescence























Publié au tout début de cette année 2009, Luminescence est assurément le plus beau disque sorti chez Tzadik depuis des mois. Il était temps. Aux commandes de ce trio piano/basse/batterie on retrouve le très discret Borah Bergman. Pianiste à retardement (il a commencé à l’âge adulte après des années d’études à la clarinette), notre homme est parfaitement ambidextre. Comprenez par là qu’il pourrait aussi bien jouer une mélodie à la main gauche tandis que la droite l’accompagne qu’inversement. Mais il ne le fait pas. Ou si peu. Borah Bergman préfère de très loin entrecroiser les motifs mélodiques jouées simultanément avec ses deux mains, développant un jeu d’allers et retours débouchant vite sur une technique de confrontation et de parasitage. Il en résulte un flot continu, incessant, parfois complexe et souvent aventureux -Borah Bergman, s’il l’avait souhaité, aurait pu être le seul pianiste de free jazz contemporain à proposer une extension pertinente et crédible au jeu de Cecil Taylor. Mais il ne l’a pas fait non plus : le flot pianistique de Bergman n’est pas aussi tumultueux et imprévisible que celui de Taylor. La preuve pas neuf sur Luminescence, disque en forme de coulées continues de lave refroidie se glissant dans la mer dans des gerbes de vapeur d’eau (fin de la séquence émotion).
Un beau disque on l’a déjà dit qui tire sa force poétique dans cette logorrhée mourante jouée à deux mains, tournant presque au ralenti mais ne s’arrêtant jamais. On est donc très loin d’un jeu free classique, très loin du bouillonnement de l’improvisation libre mais plutôt du côté de la déambulation et de la méditation. Pour épauler Borah Bergman, le contrebassiste Greg Cohen (encore lui) étire ses lignes de basses, pinçant avec vigueur ses cordes afin de les faire résonner le plus longtemps possible. A la batterie, ce n’est pour une fois pas Joey Baron -l’habituel complice de Greg Cohen- qui s’y colle mais Kenny Wollesen (New Klezmer Trio, Sex Mob) et son jeu, tout en strates circulaires sur toms et ride, accompagne parfaitement la pratique de Bergman, convenant bien plus que le jeu très percussif et tribal de Baron ne l’aurait fait.
Sur Luma, cinquième et avant dernier titre, John Zorn et son alto s’invitent pour un guest de luxe. Pour une fois également on est content de l’entendre celui là, tant il se fait rare en tant qu’instrumentiste et tant ses dernières tentatives se sont révélées décevantes. Ici, il étale son jeu exubérant habituel, s’appliquant toutefois à suivre la force tranquille de celui du piano de Borah Bergman et sa technique de souffle continu colle d’ailleurs parfaitement aux intentions du pianiste. D’apparence plus légère avec son rythme presque bossa, Opacity est la conclusion floutée et vagabonde d’un disque qui inspire une certaine sérénité sans objet. Comme un regard perdu dans le lointain.

mercredi 26 août 2009

Daniel Zamir / I Believe























Voilà un cas intéressant. En 2000 Daniel Zamir et son groupe Satlah faisaient leur apparition avec un premier album sur Tzadik. Grosse sensation, concerts fulgurants en Europe (un passage très remarqué au festival Mimi sur les îles du Frioul du côté de Marseille en 2001) et deux albums de plus, également chez Tzadik, qui ont fini d’établir la réputation d’un très jeune musicien -il est né en 1981-, virtuose mais fougueux (donc on lui pardonne), au jeu ultra imagé et lyrique, d’une intensité chargée à la fois de tradition klezmer et de freeture bouillonnante. Né en Israël, Daniel Zamir finira par quitter New York pour retourner s’installer sur sa terre promise où il fera paraître son quatrième album sur un label local et non distribué en dehors des frontières de l’Etat hébreu.
Les raisons du départ de Daniel Zamir sont très claires : c’est son rapprochement avec la religion juive alors qu’il habitait encore à New York qui l’a incité à rejoindre la terre sainte de Palestine et d’Israël. Daniel Zamir est ouvertement religieux et sioniste. Ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas écouter sa musique : en rejetant systématiquement tout musicien ayant une religion/philosophie affirmée on finirait par se priver de musiques intéressantes/essentielles telles que celles de Johann Sebastian Bach, Richard Wagner, John Coltrane, Pharoah Sanders, Genesis P-Orridge ou Varg Vikernes (cherchez l’erreur s’il y en a une). Il faut de tout pour faire un monde me disait mon grand-père bouffe curés, il faut de tout y compris des connards religieux et des fascistes métaphysiciens et je précise -peut être inutilement- que je préfère de très loin être un agnostique inculte ou pire un connard athée sans souhaits ni aspirations pour une vie extra corporelle et hypothétique en complète contradiction avec la vision anarchique que je me fais du monde qui nous entoure.
Par contre, les nombreuses traductions artistiques de la croyance n’empêchent pas de séduire jusqu’au profane et jusqu’à l’impie. L’attitude impérialiste de l’Etat religieux israélien dans les territoires occupés palestiniens ne m’empêche pas non plus d’apprécier des musiciens ouvertement sionistes sans que cela change quoi que ce soit à mes convictions sur la situation politique de ce pays. Disons que cela me dérange tout autant que les Hum Allah de Leon Thomas sur l’album Jewels Of Thought de Sanders mais qu’au final c’est la beauté qui gagne quand même. Le tout est de ne pas rester dupe.

En appelant son album I Believe et en faisant imprimer dans le livret des extraits de la Génèse Daniel Zamir ne cache pas son jeu. C’est à prendre ou à laisser. Pour celles et ceux qui veulent prendre signalons que le groupe qui accompagne ici le saxophoniste est constitué des habituels piliers du label Tzadik : Uri Caine au piano, Greg Cohen à la contrebasse et Joey Baron à la batterie. Exit les deux autres membres de Satlah (Shanir Ezra Blumenkranz et Kevin Zubek). Et Daniel Zamir de retrouver ses marques, son lyrisme si particulier, exercé sur I Believe uniquement au saxophone soprano. Si on excepte le poussif Poem 10 (sur un rythme reggae…), ce retour aux affaires du prodige klezmer est convaincant bien que moins foutraque et déchiré que ses trois premiers albums surchauffés. La présence superflue d’Uri Caine ne parvient pas non plus à contenir le saxophoniste dont la poésie des sons reste intacte et inégalée. On rêve tout de même de le réentendre un jour avec Satlah, power trio sans concession et à la générosité folle.

mardi 25 août 2009

Tim Sparks / Little Princess























Que l’on ne s’y trompe pas : le gugusse jouant de la clarinette sur la photo qui orne ce disque n’est pas Tim Sparks. Little Princess est également sous-titré Tim Sparks plays Naftule Brandwein. Tout est dit. Et Tim Sparks n’est pas clarinettiste mais guitariste. Le genre de gars que l’on ne peut pas s’empêcher de trouver sympathique. Un (presque) vieux bonhomme racontant pendant ses concerts des histoires hilarantes comme celle où, débarquant complètement jet lagué et affamé à Amsterdam pour y donner un concert et ne comprenant strictement rien à l’accent hollandais (pas plus que les hollandais ne semblaient le piger avec son accent de vieux juif), il n’a pas su faire la différence entre un spice cake et un space cake. Il a du donner une sacrée performance ce soir là.
Tim Sparks c’est surtout un musicien aguerri qui a commencé son apprentissage en jouant dans des mariages. Il n’a pas enregistré tant de disques que ça. A l’entendre on a du mal à imaginer qu’il n’a que dix doigts : il joue toujours le thème principal (ou un solo) en même temps que son accompagnement. Remarqué par John Zorn, il a inauguré sa collaboration avec Tzadik en 1999 et l’album Neshamah. Un disque de guitare ayant même séduit tous ceux (et ils sont nombreux) qui ont un jour rêvé de passer les deux mains de Manitas De Plata au hachoir électrique. Mais Neshamah est un disque un peu à part dans la discographie de Tim Sparks, très lointain cousin des bluesmen du Mississipi, musicien nourri aussi bien à l’esprit du delta qu’à la guitare latino et qui n’a découvert le folklore balkanique que sur le tard : basé sur des chansons traditionnelles juives, Neshamah était avant tout une idée (réussie) de John Zorn. Mais l’album d’après -Tanz- a été enregistré en trio avec Greg Cohen à la contrebasse et Cyro Baptista aux percussions. Le résultat ? Une mélasse caribéenne, sautillarde et indigeste. Encore une idée de John Zorn mais très mauvaise cette fois ci.
Malheureusement, Little Princess est dans la droite lignée de Tanz. On y retrouve exactement les mêmes musiciens et ces arrangements exotiques qui foutraient en l’air n’importe quelle composition de bonne tenue, y compris celles, toutes en noblesse, de Naftule Brandwein. Le pire sur Little Princess c’est peut être le son et surtout le mastering boosté aux stéroïdes qui est la marque de fabrique d’une bonne part des dernières productions Tzadik : le gars qui s’en occupe devrait lui aussi avoir les deux mains passées au hachoir électrique à défaut d’être purement et simplement viré par Zorn. Evidemment, si on aime beaucoup les basses ronflantes, les médiums clinquants et les aigus omniprésents (oui, tout ça à la fois) on est servi. L’écoute de Little Princess donne le même genre d’impression que lorsque on mange un plat surgelé payé à prix d’or chez Picard, chaque saveur est parfaitement à sa place mais il persiste ce sentiment tenace de mâchouiller du plastique de luxe. Va faire tes courses chez Lidl.
Pour les amoureux de Tim Sparks, il faut attendre la toute fin du disque et un ultime A Bagel With Onions sur lequel le guitariste se retrouve enfin seul, débarrassé de ses deux trop encombrants compères. C’est un peu de la magie de Neshamah qui transparaît alors, dans le lointain, avec quelques regrets aussi, ceux de ne pas avoir entendu un disque solo de Tim Sparks. En espérant que cela soit pour la prochaine fois.

lundi 24 août 2009

Masada Quintet featuring Joe Lovano / Stolas























On prend les mêmes et on recommence. Le Masada Quintet, autre super groupe de musiciens émérites du downtown new-yorkais, comprend dans ses rangs le pianiste Uri Caine, le contrebassiste Greg Cohen et le batteur Joey Baron. Le trompettiste Dave Douglas vient compléter le tableau et comme le nom du groupe l’indique c’est Joe Lovano et son ténor qui occupe la place de saxophoniste. A noter que John Zorn fait une apparition remarquée bien que déjà entendue maintes fois sur le sixième titre. Stolas -toujours et encore chez Tzadik- est le douzième volume de la série Book Of Angels, l’un des nombreux produits dérivés de Masada, groupe/concept auquel Zorn avait consacré toute son énergie à partir du milieu des années 90 et qu’il n’en finit plus de décliner depuis. Et de fait ce Masada Quintet est une version soft et sans saveur du Masada d’origine.
Revenons une fois de plus sur la piètre qualité des compositions de John Zorn pour le Book Of Angels, piètre qualité uniquement démentie depuis les quatre années déjà que dure cette nouvelle variation que lorsque l’interprète du disque possède suffisamment de personnalité pour imposer sa griffe et relever les débats : c’était le cas du Orobas de Koby Israelite (volume Quatre) ou du Xaphan de Secret Chiefs 3 (volume Neuf) et dans une bien moindre mesure le cas du semi raté Asmodeus avec Marc Ribot, Trevor Dunn et G. Calvin Weston (volume Sept). Trois disques d’écoutables sur une série de douze, la proportion est ridiculement basse mais correspondant assez bien au taux de réussite artistique des disques de John Zorn depuis une bonne dizaine (quinzaine ?) d’années.
Avec Stolas, la question de la personnalité des musiciens interprètes ne se pose tout simplement pas tant Joe Lovano est un instrumentiste peu passionné mais il est vrai guère soutenu par les coulures lénifiantes d’Uri Caine au piano. On a également du mal à reconnaître Dave Douglas autrement plus incandescent avec le Masada Quartet originel mais ici bien trop en retrait, bien trop timoré malgré un solo sur le septième titre qui donne quelques espoirs. La rythmique suit le même chemin sans encombre -où sont passées les polyrythmies tribales et explosives de Joey Baron ? Ce phénomène de nivellement par le bas est tellement systématique et prévisible, l’enchaînement des thèmes, des chorus, des soli est tellement routinier que l’exaspération laisse la place à une indifférence tout au mieux polie puis définitivement amnésique.

dimanche 23 août 2009

Mark Feldman-Uri Caine-Greg Cohen-Joey Baron / Secrets


Mais à quoi peut on bien passer son temps durant les mois d’été alors que l’on prétend à qui veut l’entendre que l’on s’est reposé les oreilles, que l’on a relâché l’attention de son esprit borné et que l’on a fait fi d’un insatiable appétit naturel pour le bruit et ses quelques variantes salutaires ? Et bien (dans la réalité) on écoute de la musique -oui, quand même- et on en profite pour s’enquiller tous les disques que l’on a passés sous silence ou pire sur lesquels on a carrément fait l’impasse tout le restant de l’année. Aux premiers rangs de ceux-ci, les productions de Tzadik, label que l’on a pu croire important et novateur en des temps immémoriaux mais dont l’activité se révèle aujourd’hui aussi palpitante qu’un concours de crachats de noyaux de cerises avec mon beau-frère sur la terrasse de sa résidence au bord du lac Léman. Oui, l’été a vraiment été dur, mais maintenant cela va beaucoup mieux, surtout depuis que -à peine de retour d’un petit voyage organisé dans un paradis fiscal lové dans un pays émergent d’Europe de l’Est- j’ai appris que les actionnaires de la grande entreprise financière qui m’emploie allaient contre toute attente me verser le bonus défiscalisé auquel j’ai naturellement droit en fin d’année. Ce n’est pas tout d’enculer les pauvres, les moyennement pauvres, les pas très riches qui n’ayant rien compris voudraient l’être bien davantage, il faut aussi que cela rapporte. Mon cynisme naturel et intéressé sera donc récompensé encore cette fois-ci. Et en plus je donne du boulot aux services sociaux et aux agents de replacement de pôle emploi, de quoi se plaignent ils ? Qu’ils aillent voir chez Adecco si j’y suis.























Tzadik donc, label d’un John Zorn qui ferait mieux de ne plus faire de musique au lieu de tenter de nous faire croire qu’il a encore de la ressource et de l’imagination pour mieux choisir les poulains qu’il produit. En fait de poulains, parlons plutôt de vieux canassons tant ce Secret est l’œuvre d’un quartet de musiciens sclérosés par leur virtuosité. Au violon Mark Feldman, principale attraction du Masada String Trio et du Bar Kokbha Ensemble. Au piano : Uri Caine dont le jeu grandiloquent parfait lorsqu’il se lançait dans le réarrangement et la réorganisation d’œuvres de Gustav Mahler ou de Richard Wagner (au siècle dernier, pour le label Winter & Winter) se révèle toujours plus lipideux et indigeste. Greg Cohen (contrebasse) et Joey Baron (batterie) assurent la rythmique.
Secret
est un recueil de chansons populaires et traditionnelles du folklore juif principalement d’Europe de l’Est -rien à voir avec le paradis fiscal où j’ai pu passer mes vacances d’été- et a été coproduit par Zorn et Daniel Zamir dont c’est le grand retour aux affaires (mais on en reparlera une autre fois). Cela ne surprendra personne d’apprendre que ce super groupe de musiciens made in Brooklyn joue la carte de la joliesse, du plaisir mélodique, de l’interprétation carrée et sans bavures mais massacre systématiquement ces standards autrement magnifiques pour exactement ces mêmes raisons. Uniforme et ennuyeux. Le jazz dans toute sa splendide platitude de musique de salon. Amateur de Klezmer, de banane juive et de Victor Pivert, passe ton chemin : ce disque n’est ni drôle ni poignant et même mon beau frère (qui a pourtant beaucoup d’humour) en a recraché tous ses noyaux de cerises d’un seul coup.

samedi 22 août 2009

Back to business : for those about to fuck















Après un été long et douloureux (chaude pisse et tourista sont invariablement les deux maîtres mots de l’occidental nanti envahissant le tiers-monde avec toute la supériorité méprisante dont il est capable), cet espace dédié à l’arrogance et à la mauvaise foi reprend donc du service. Pour de vrai.
Quelques changements toutefois, parce que les temps sont durs et terriblement incertains :
-un rythme moins soutenu dans les mises à jour
-moins de collant à l’actualité (à moins d’avoir recours aux mp3 mais j’ai les oreilles sensibles)
-du remplissage et du blah blah pour compenser, pourquoi pas en inaugurant une rubrique oldies comme ce négrier de Perte & Fracas ou des discographies analytiques complètes comme ces branleurs de Next Clues.
Evidemment, artistes musiciens maudits et crevards, labels en mal de reconnaissance internationale et généreux philanthropes peuvent continuer à m’envoyer leurs productions à l’adresse habituelle (voir la page contact).