jeudi 19 novembre 2009

Le grand soir (in bed with Eugene)























J’ai une vie trépidante. Lundi, 19 heures, j’expédie trop rapidement les dernières tâches courantes, manière bien élégante et polie pour dire que je torche comme un malpropre tout ce qui me reste à faire avant de fuir mon lieu de travail : je m’apercevrai dès le lendemain – mais heureusement pas trop tard – que j’ai fait au moins deux conneries assez énormes qui maintenant me font bien rire.
19 heures 30 : ça y est je suis sur mon vélo et il va me falloir à peine une demi heure pour traverser Lyon du sud au nord et arriver au Rail Théâtre. La blague du jour consistait à savoir si les organisateurs du concert du jour étaient réellement sérieux en indiquant 20 heures sur le fly comme horaire d’ouverture… heureusement tout était vrai : lorsque j’arrive les portes du Rail Théâtre sont grandes ouvertes et les gens qui attendent dehors fument tranquillement leurs clopes, décontraction totale. Aux entrées je salue un jeune parisien arriviste installé à Lyon depuis seulement deux mois et qui a déjà trouvé le moyen d’intégrer l’équipe de bénévoles du lieu. Je lui demande de me faire rentrer à l’œil, ce qu’il refuse.
A l’intérieur le stand de merchandising d’Oxbow est plutôt pauvre, les deux bouquins d’Eugene Robinson, The Narcotic Story en LP, les fameuses serviettes de bain (reprenant un vieux visuel que le groupe avait utilisé pour un t-shirt à l’époque de Serenade In Red) et puis surtout les derniers exemplaires en vinyle de Songs For The French que le groupe avait emportés avec lui pour cette tournée. Je ne sais absolument pas ce qu’il y a sur ce nouveau disque mais j’en embarque un direct. Puis je regarde la salle se remplir doucement mais sûrement.


















J’espérais qu’il y aurait un peu de monde pour FiliaMotsa. Disons que le duo (violon et batterie) de Nancy ne recueillera que des applaudissements polis et froids. La prestation n’est pas excellente et le son est assez bizarre, pas très équilibré et en creux. Lorsque je me déplace du centre de la scène – le batteur se trouve sur la gauche – vers la droite – devant la violoniste – c’est déjà beaucoup mieux, on y entend de bien meilleure façon le travail mélodique (et parfois de sape) opéré par un violon renforcé d’effets multiples et souvent mis en boucle.
Mais il difficile de saisir toutes les subtilités du jeu de la violoniste, certains titres sonnent étrangement post rockeux, comme s’ils ne comportaient que des suites de notes tombant à plat – ce qui normalement est très loin d’être le cas. Ceux où distorsion et déstructuration arrivent à se frayer un chemin me conviennent nettement plus. Outre le violon qui parait trop unidimensionnel et sans saveur le batteur a un jeu pataud, pas très inspiré et je suis donc moins sous le charme que lors du précédent passage du duo en avril dernier.
Je crois surtout que la scène du Rail Théâtre était un peu trop grande (et trop haute) pour FiliaMotsa, que le groupe avait du mal à la remplir, à occuper tout l’espace et qu’une trop grande fébrilité a empêché les deux musiciens de s’affranchir – oui ils ont dit qu’ils étaient vraiment contents et super fiers d’ouvrir pour ce concert de Pneu et d’Oxbow mais ça les a peut être aussi perturbés. Moi, cela ne m’a pas empêché après leur set de leur acheter leur premier album, Tribute To KC, tout fraîchement gravé par Chez Kitokat et sérigraphié par Percolation. Lorsque à cette occasion les deux musiciens me demandent ce que j’ai pensé du concert je bredouille quelques explications foireuses, c’est toujours trop difficile d’expliquer que l’on n’a pas aimé autant que l’on aurait voulu.























Arrivent donc les Pneu qui ont eux un tout autre plan d’occupation des sols. Pas de problème de scène trop grande ou trop haute, le duo tourangeau guitare et batterie va jouer par terre et au milieu de la salle. La batterie est toujours aussi rudimentaire, quant au guitariste il dispose désormais d’un deuxième ampli, à l’aspect tout aussi pourrave que le premier. Voilà : avant Pneu c’était un excellent moyen de devenir sourd en moins de deux minutes et je n’ose imaginer que cela peut donner maintenant. Je tourne la tête et j’aperçois juste à côté de moi mon petit parisien lui aussi bien décidé à ne pas en perdre une miette. Pneu c’est de la musique pour les gamins et je me sens tout de suite concerné.
Nos deux garçons ne mettent pas beaucoup de temps à s’installer, incitent les gens du public à se rapprocher dangereusement, à les coller (ce qu’ils redemanderont à plusieurs reprises lors du concert) et jouent un premier titre en forme d’échauffement. Un échauffement qui durera en fait quelques titres supplémentaires, non pas que le début du concert a été mollasson et/ou mauvais mais plus ce groupe joue et plus il devient complètement fou.
Le guitariste vous enquille des missiles incompréhensibles, à la punk, s’abstenant de répéter le même plan plus de deux fois tandis que le batteur fait tout son possible pour ressembler à un pantin désarticulé pendant qu’il frappe sa caisse claire ou ses cymbales. Nos Masters Of Muppets enfoncent un clou dans nos crânes, jouent avec, le tortillent dans tous les sens et le replantent juste à côté. Pneu achève son concert (et nous avec) par un titre lent et presque lourd, du doom parodique pourrait on dire, le genre de truc qui me fait définitivement redevenir un gosse. Et étrangement je m’aperçois que je ne suis pas encore totalement sourd.


















Il n’y aura pas d’effet de surprise après tout ce qui a été dit et lu au sujet de l’entrée en matière lors des précédents concerts d’Oxbow de cette énième tournée européenne (notamment celui de Paris et celui de Nantes). Le groupe commence sa prestation par un mini set acoustique au milieu du public. Guitare sèche pour Niko Wenner, un violoncelle pour Dan Adams, une caisse claire pour Greg Davis et pas de micro pour Eugene Robinson. C’est plutôt amusant mais complètement anecdotique, j’ai toujours trouvé que l’acoustique collait mal à la musique d’Oxbow et ce que j’entends ne me fait pas vraiment changer d’avis. J’attends donc avec impatience que l’électricité reprenne enfin ses droits. Et lorsque retentissent les premières notes de Babydoll je sais déjà que je vais adorer.
Parlons tout de suite de la qualité du son de ce concert. Les grincheux prétendent que comme d’habitude au Rail Théâtre/Grrrnd Zero il était vraiment en dessous de tout. Sans aller jusque là on peut en effet regretter l’absence de la basse pendant presque tout le concert et les quelques moments ou la voix a disparu, est devenue carrément inaudible (deux fois, pas plus…). Mais c’est le genre de détail dont on se contrefout complètement lorsque on passe presque la moitié d’un concert d’Oxbow le nez à moins de dix centimètres des couilles d’Eugene Robinson. C’est peu dire que ce type est un véritable monstre de scène, une présence inouïe et intacte. Derrière le reste du groupe assure plus que très bien – OK le bassiste fait ce qu’il peut et tire la gueule, il aimerait bien qu’on l’entende un peu plus – surtout Niko Wenner qui balance ses riffs bluesy trempés dans le chaudron noise avec une belle conviction et un talent fou. Ce soir on va donc avoir droit à la version musclée d’Oxbow.























Le concert passe a une vitesse affolante, quelques nouveautés (des extraits de Songs For The French ?), plus de clavier pour Wenner et un titre diablement funky sur lequel Robinson se lance dans une imitation parfaite de la danse pelvienne d’André Williams lui-même en pleine imitation de Tina Turner ante chirurgie esthétique – petite danse qui colle parfaitement avec la nouvelle moustache de macro du chanteur/performer. Grandiose. Le groupe quitte déjà la scène et j’ai l’impression qu’il a tout juste joué un quart d’heure. Le genre de faille spatio-temporelle qui vous donne tous les pouvoirs surhumains de la terre et dont on voudrait qu’elle ne se referme jamais. Oxbow remonte sur scène pour ce qui va être ses deux derniers titres et joue un Over définitivement bouleversant, presque à en chialer.
L’après concert a un arrière-goût de gueule de bois, pas vraiment envie de retrouver mes esprits mais les commentaires qui fusent ici ou là m’y obligent quelque peu. Si certains sont très mécontents, d’autres essayent comme moi de rester sur leur petit nuage. Mon jeune ami parisien m’avoue lui qu’il n’a pas réussi à rentrer totalement dans ce concert, je crois qu’il est surtout déçu de sa déception et de ce rendez-vous demi raté – même impression que me donneront d’autres personnes encore. Et pourtant Oxbow a encore une fois prouvé qu’il était un groupe unique, inqualifiable, inimitable, grandiose, insurpassable : de la maîtrise autant que de la liberté, ce n’est pas donné à tout le monde.