samedi 30 janvier 2010

FiliaMotsa / Tribute To K.C.























Pour dire toute la vérité, j’allais un peu à reculons vers ce disque. FiliaMotsa peut être est un excellent groupe en concert mais j’avais peur de ce que j’allais découvrir sur Tribute To K.C. (qui ça ?), premier véritable enregistrement studio du groupe. Il faut dire que FiliaMotsa est un duo originaire de Nancy purement instrumental composé d’une violoniste et d’un batteur et que c’est un line-up qui naturellement ne m’attire guère, obtus et bouffé par de violents préjugés que je suis. En gros, pour moi, on ne peut pas faire du rock – ou l’un de ses quelconques dérivés – avec une formation pareille. Je pensais exactement la même chose de Hanged-Up, autre duo violon/batterie de Montréal et qui a connu son heure de gloire en sortant deux ou trois albums sympathiques sur Constellation records : cela pouvait être très bien sur scène alors que les disques je ne m’en souviens même pas et – pire – je ne voudrais même pas les réécouter aujourd’hui. Au passage, cette filiation entre FiliaMotsa et Hanged-Up est un autre facteur de reculade : pourquoi refaire aujourd’hui ce qui a déjà été (pas trop mal) fait hier ? Ach. Avec des raisonnements pareils vous me direz – et vous auriez raison – que l’on n’écouterait plus de musique du tout, mise à part celle que l’on a découvert il y a bien trop longtemps lors de ses premiers émois d’adolescent. Ça tombe tient puisque l’éjaculation boutonneuse, l’immaturité permanente, je vote carrément pour et pense même que c’est un facteur nécessaire – et fort heureusement aggravant – pour continuer à écouter de la musique comme un jeune con*.

On lâche tout de suite la référence à Hanged Up puisqu’il parait que les deux FiliaMotsa n’avaient jamais entendu parler de ces grands frères québécois avant qu’un geek fan d’efrimeries ne leur en touche un mot, ce qui est fort possible puisque la Lorraine est régulièrement coupée du monde et de la civilisation à cause des caprices d’hivers rigoureux qui incitent plus au repli sur soi qu’à la découverte d’horizons nouveaux. On lâche aussi sur le pseudo débat rock/pas rock dès la première écoute d’un titre aussi brûlant et fiévreux que Malbaie qui tient la dragée haute à pas mal de gratouilleurs bloqués en open tuning sur leurs guitares en plastique.
FiliaMotsa se paie également le luxe de donner quelques leçons en dissonances et en mystère sur K.C., fausse intro et vrai premier titre d’un disque assez court qui rappelle le temps de sept compositions maîtrisées quelques règles essentielles et inaltérables pour lutter contre l’ennui et les bâillements récurrents : l’énergie (on l’a déjà dit), l’étrangeté (on l’a déjà dit aussi), une bonne mise en place (dites-moi depuis combien de siècles vous jouez ensemble tous les deux) et des compositions qui tiennent vraiment la route (merde ça aussi je l’ai déjà dit et dans la même phrase qui plus est). Et puis on a affaire à de l’instrumental, je vous le rappelle, avec ce qu’il faut d’aventurisme pour ne pas s’endormir et de concision pour ne pas s’emmerder (Montroyal et ses montées sur fond de tapis de bulles). J’en ai fini avec la première face de ce disque.
Et comme tous les bonnes galettes, Tribute To K.C. en a une seconde de face, tout aussi bonne, avec les mêmes qualités, les mêmes aspirations, les mêmes envolées, le même pouvoir mélodique (le riff arabisant de Klimt) et le même travail multicouches sur le son du violon, instrument aux possibilités déjà innombrables mais complètement transcendé par l’utilisation de multiples effets, loop station, etc. Motrice, courte bourrasque chargée en dissonance et en furie, est peut être le meilleur titre de cet album, un instant tempéré par la délicatesse de Cap Chat! qui se révèle être, malgré ou plutôt grâce à une certaine grandiloquence sur son final, un tire-larmes imparable.
Tribute To K.C. est sorti sur le label Chez Kito Kat records sous la forme d’un vinyle de qualité avec une pochette sérigraphiée tout comme il faut. Un bel objet (ce qui ne gâche rien) que l’on peut directement commander au label parce qu’il le vaut bien. Et puis allez voir ces deux jeunes gens en concert s’ils jouent vers chez vous, vous ne le regretterez certainement pas.

* donc écoutons de la musique toujours comme si c'était la première fois, les souvenirs cuisants sont parfois les meilleurs


vendredi 29 janvier 2010

Antoine Chessex - Arnaud Rivière / split 7'























Un disque parfaitement inutile mais idéal pour épater ses amis (ou se débarrasser d’eux alors qu’ils s’éternisent à la maison et risquent de piller définitivement toute la réserve de gnôle prévue pour la semaine). Un joli 7 pouces sorti par un tout nouveau label, Le Petit Mignon – oui c’est bien le nom du label, je ne vous explique pas le nombre de trucs rigolos que l’on peut trouver lorsque on le tape dans son moteur de recherche préféré mais on finit rapidement par tomber sur le site officiel d’un magasin de disque berlinois qui fait aussi galerie d’art et qui se lance donc dans la production de disques.
L’artwork, avec ces êtres mi-femme mi-homme à têtes de chien qui se bouffent mutuellement et/ou se lèchent le cul/la chatte/la bite a un fort côté hérité du Dernier Cri mais c’est Mounir Jatoum qui a ainsi laissé libre cours à son imagination. L’impression de la pochette qui se déplie en grand a été assurée par La Commissure et il y a plein d’autres choses à aller regarder par . Les ronds centraux de la galette ne sont pas mal non plus en offrant une leçon de maquillage : la bouche pour la face Antoine Chessex, les ongles de pied pour Arnaud Rivière. Le vinyle est transparent et ce single a été tiré à trois cents exemplaires numérotés (le numéro, écrit en chiffres romains, apparaît sur la pochette intérieure).
La bouche. Celle dont se sert Antoine Chessex pour souffler dans son saxophone. Ce musicien suisse réfugié artistique à Berlin – parait il l’une des dernières grandes villes/capitales européennes où on peut encore prétendre ne rien faire de lucratif sans totalement mourir de faim – est membre de Monno, un combo bruitiste/noise-doom parmi les plus intéressants du moment. On a déjà parlé d’Antoine Chessex à propos de Terra Incognita. Les remarques concernant sa musique sont ici à peu près les mêmes mais – et c’est un très gros mais – le format court convient nettement plus au déluge harsch et borbetomagusien de Chessex, seulement quatre minutes de lacérations de tympans et de destruction musicale à grands coups de stridences de saxophone suramplifié c’est parfait et finalement de bon goût.
Les doigts de pieds. Ceux avec lesquels Arnaud Rivière joue du pousse-disques. De lui aussi on a déjà parlé lorsque il a joué avec Sun Plexus pour les deux ans du Sonic en Avril 2008. Sa musique est encore plus extrême et chaotique que celle de Chessex. Cet ancien batteur reconverti dans le happening bruitiste aime jeter les sons comme on frappe une cymbale. Il s’y prend très bien en maltraitant à souhait des vieux vinyles sur un pick up sans âge et agrémenté de pièces métalliques diverses (ressors, etc), un spectacle horrible pour tout collectionneur de disques. Vous pouvez remisez votre fétichisme et votre culte de l’objet au placard, Arnaud Rivière, clown et éboueur, n’est pas là pour le plaisir d’une passion vintage, il est là pour tout (fra)casser, ce qu’il réussit parfaitement, à faire passer Christian Marclay pour David Guetta. Là aussi le format court est parfait pour ce genre de démonstration sans lendemain. En résumé, ce 45 tours est un bel écrin pour des pratiques qui sont justement censées le mettre à mal. L’anti-musique ne s’est jamais aussi bien portée et c’est délicieusement paradoxal.


jeudi 28 janvier 2010

Phill Niblock























Voilà c’est – déjà – le quatrième soir et ce festival d’hiver organisé par le Sonic aura passé bien trop vite. C’est le dernier soir mais pour dire toute la vérité c’est celui que j’attends avec le plus d’impatience et de curiosité : ce n’est pas tous les jours que Phill Niblock passe par chez vous et en l’occurrence cela risque bien d’être la dernière fois vu l’âge déjà avancé (76 ans) de ce vénérable patriarche à barbe blanche de la musique minimaliste. Laissez tomber Reich et consorts, ces académiciens du répétitif et du minimalisme, laissez également tomber tous les faiseurs de drone à la chaîne et écoutez Phill Niblock, authentique génie musical et (pour une fois) artiste total. Ce n’est vraiment pas usurpé.
Comme pour le soir précédent la population du Sonic se mélange entre les habitués, les poivrots, les stéphanois, les grenoblois, les curieux, les connaisseurs de Niblock et quelques filles délurées. Finalement l’audience est tout à fait honorable alors que l’on pouvait franchement craindre le pire. Un premier motif de satisfaction. Le programme est divisé en deux parties : d’abord Pierce Warnecke aka Transitoire puis Phill Niblock, avec ou sans l’adjonction de Warnecke.























Transitoire a donc la très lourde tâche de commencer. Il n’y a absolument rien de déshonorant dans la musique de ce jeune homme, bien au contraire, mais l’effet d’abord l’élève puis le maître risque fort de jouer totalement contre lui. La première partie de son concert est donc une diffusion – ça veut dire qu’il pousse le bouton ON de sa bécane et que ça fonctionne tout seul, comme lorsque tu écoutes un disque à la maison dans ton salon douillet sauf que là la sono du Sonic a de quoi te rendre complètement sourd. Derrière sur un grand écran des images d’ouvriers dans une scierie en Malaisie (?) et des images de ce qui pourrait bien être une procession funéraire (en tous les cas il y a du religieux là dedans) sont diffusées, opérant d’abord un certain contraste avec la musique puis là rejoignant – je pense à la séquence du train – dans une certaine impression de malaise intemporel et de vide poétique.
La seconde partie du concert de Transitoire consiste elle en une manipulation en direct et par ordinateur de sons tirés d’une guitare posée à plat et bidouillée à l’aide de différents éléments perturbateurs, un ebow par exemple (un archet électronique en français), ce petit boitier dont se servent beaucoup trop de guitaristes dits expérimentaux et sans imagination. A l’inverse de ces contemporains Pierce Warnecke s’en sort très bien avec son joujou, il développe des sons loin de toute standardisation numérique (le ebow a ce don très énervant de générer des sons d’une platitude extrême) et fait voyager sa musique au gré d’une imagination fertile.
Peut être un peu trop fertile parce que je finis par trouver le temps long – impression déjà eue sur la première partie mais de façon moindre parce que compensée par les images du film – Transitoire/Pierce Warnecke se relançant lui-même au gré de méandres sonores finissant par trop sentir la caricature. Manque peut être un peu plus de sécheresse dans le propos et/ou d’approfondissement dans les textures de son pour que la musique de Transitoire devienne réellement un objet aux possibilités infinies ne cherchant pas à se regarder lui-même (parce que l’infini c’est le truc recherché par ce genre de musique, non ?).
















Contrairement aux organisateurs du festival qui ont déjà eu cette chance je n’ai encore vu un concert de Phill Niblock. Enfin, voir c’est un bien grand mot si on considère qu’il ne s’y passe rien de visible. Niblock installe sur une petite table placée sur le côté de la salle tout son dispositif de diffusion (un laptop, une mini table de mixage, un verre de vin rouge et encore deux ou trois autres trucs non-identifiés. Il lance ses machines, s’accoude à la table et se tourne vers l’écran toujours placé dans le fond de la scène pour regarder les images qui défilent*. Ces images c’est lui-même qui les a tournées dans les années 50, elles sont parties intégrantes d’un projet appelé The Movement of People Working qui comme son nom l’indique représente principalement des ouvriers agricoles les pieds dans la boue et les mains dans la merde en train d’effectuer des travaux vraiment dur – ou pas, comme cette séquence assez énigmatique où l’on voit des mains fabriquer des fagots de paille de blé parfaitement exécutés en forme de cylindres retenus par du papier journal ou bien cet autre passage avec la machine qui fabrique des longues nouilles de riz. On assiste ainsi à toutes sortes de travaux des champs mais aussi à des scènes de pèche ou à la fabrication de parpaings.
Quel intérêt me direz-vous ? D’abord je trouve ces images très belles dans leur crudité et leur côté primaire. Les cadrages excluent souvent les têtes des personnes filmées, il y a énormément de plans serrés sur des dos, des bras, des épaules, sur l’effort physique tout simplement. La plupart des protagonistes sont des hommes et toutes les images diffusées ce soir au Sonic ont été tournées en Chine.























Ces images qui offrent un contraste saisissant avec la musique de Phill Niblock. Alors qu’elles représentent une réalité dure, tangible, concrète, la musique est elle complètement abstraite. De quels éléments est elle composée ? On sait que Niblock se sert d’enregistrements de musiciens – l’exemple le plus connu c’est la pièce Guitar Too, For Four composée à partir d’accords joués par Rafael Toral, Kevin Drumm, Lee Ranaldo, Alan Licht ou Thuston Moore – pour élaborer des masses sonores souvent énormes qui se superposent, glissent les unes contre les autres, créant des frottements et des décalages harmoniques et donnant vie à une musique aux résonnances proches du recueillement ou de la transe (cela dépend comment on la prend mais le résultat est le même, aboutissant à une sorte de béatitude assourdissante qui n’a rien à voir du tout avec un quelconque effet léthargique néo baba). Décrire l’effet que procure la musique de Niblock est très difficile en cela qu’il relève presque exclusivement de l’expérience, celle du concert/diffusion en l’occurrence et que désormais je me rends bien compte qu’écouter les disques – même s’ils sont excellents – se révèle complètement incomplet.
Le côté terrien de ces images datant de cinquante années confronté au côté spirituel et chamanique de la musique en elle-même continue de soulever un profond émoi. Phill Niblock est a n’en pas douter un magicien des sons, bien au dessus de la mêlée, au-delà des chapelles et des écoles. Inclassable. Peut être tout simplement parce qu’il est autodidacte – sa spécialité d’origine c’est l’image, d’où la diffusion de films pendant ces concerts. Il n’est pas non plus idiotement adulé ni cité en référence par des technomen en bonnet péruvien en mal de référencement artistique et trop conscients qu’ils ne produisent qu’un grand vide. Il n’est pas récupérable et oui il incarne bien une forme de création absolue, une forme au-delà de la perfection parce que ne se cantonnant jamais à ce qu’elle exprime à un moment donné/précis. Une forme sans limites donc non définissable/mesurable/quantifiable/estimable réellement. Le mouvement c’est la vie, la vie c’est le mouvement. Et on est en plein dedans. Tout simplement.

* de temps en temps il boit aussi un gorgeon, vérifie sur son téléphone mobile que personne ne l’a appelé ou semble lutter contre le sommeil

mercredi 27 janvier 2010

Jazz Pression























Vendredi soir et déjà la troisième soirée de ce festival d’hiver organisé par le Sonic. Ce sera également la soirée la plus éclectique des quatre et – étonnamment – la plus fréquentée. Effet festival dans une ville où on s’emmerde et à une période où il n’y a pas grand-chose à foutre ? Je n’ai jamais vu plus de quarante personnes à un concert de Gutbucket mais quelques (vieux) jazzeux sont déjà là, alléchés par l’étiquette made in Brooklyn de ce quartet plutôt électrique. Cela me fait tout doucement rigoler parce qu’avant de pouvoir écouter de la vraie musique civilisée tout le monde va devoir se taper Deborah Kant et le héro local Sheik Anorak, donc deux groupes qui n’ont vraiment rien à voir avec la tête d’affiche en théorie très tendance prout-prout ma chère. En attendant le Sonic se remplit doucement, on se réchauffe comme on peut au bar et on s’engoudronne les alvéoles pulmonaires sur le pont de la péniche tout en racontant des conneries qui font du bien – j’ai toujours aimé entendre les souvenirs des groupes en tournée. Et l’ambiance qui monte doucement mais sûrement.























Ce sont donc les Deborah Kant qui attaquent en premier. Cela fait un petit moment que je n’ai pas assisté à un concert de ces quatre garçons basé du côté de la Loire (et non pas à Lyon comme il est écrit dans cette chronique particulièrement élogieuse du premier album autoproduit du groupe mais je ne renie absolument pas tout ce qui y est écrit). Aussi c’est avec un grand sourire de contentement que je m’approche de la scène alors que la musique commence. Une fois de plus, je ne vais pas y aller par quatre chemins : ils sont jeunes, ils sont beaux, ils font du bruit avec des guitares donc ils ont vraiment tout pour eux – et, précision très utile pour les nuls et les amateurs de jazz, le bassiste porte un t-shirt Goo de Sonic Youth. Je m’attends donc à me prendre d’entrée au travers de la gueule la déflagration sonique tant espérée. Laquelle ne vient pas tout de suite… Les Deborah Kant jouent un peu moins fort qu’auparavant, le batteur applique une certaine retenue et le groupe prend son temps pour installer son premier titre. Il agira également de la sorte avec les suivants, maîtrisant l’exercice difficile du temps.
Si il y a quelque chose qui n’a pas changé, c’est en effet la longueur des compositions qui s’étirent au delà du raisonnable généralement admis par le commun des mortels des groupes de rock (au sens large, le sens défendu par un magazine désormais bien connu, non je ne parle pas de Rock’n’Folk), longueur qui permet au groupe de développer toujours autant son propos qui presque invariablement finit dans le chaos bruitiste – avec le guitariste de droite, celui qui ne chante pas, dans le rôle de l’électron libre.
En affinant ses compositions – je pense surtout à ce titre presque bucolique joué vers la fin, comme si Pavement s’était mis à la country – et en faisant preuve de plus de retenue Deborah Kant ne gagne que plus de pertinence lorsque le groupe se lâche et décide pour mon plus grand plaisir de tout foutre en l’air. J’aimerais bien avoir un nouvel enregistrement d’eux à me mettre entre les oreilles – en échange les gars je vous promets que je ne vous traiterai plus jamais de Lyonnais.























En deuxième c’est Sheik Anorak alias monsieur Franck Gaffer qui joue et c’est assez surprenant de le voir s’installer sur une scène lui qui la plupart du temps joue à même le sol. Je rappelle le principe de la musique de ce garçon pour toutes celles et ceux qui auraient raté les épisodes précédents ou qui n’auraient pas l’immense privilège d’habiter cette bonne vieille cité des Gaules : jouant à la fois de la batterie et de la guitare, Sheik Anorak commence par préparer en direct des boucles qu’il superpose, mélange et alterne à l’envie tout en se lançant derrière la batterie dans des rythmiques toujours très dynamiques. Le résultat n’a rien d’une mélasse expérimentale ou d’une nappe bruitiste à l’usage des amateurs de drone, non, la musique de Sheik Anorak est un mélange très réussi de mélodies évidentes (mais pas du tout niaises) et de stridences bien placées formant une musique instrumentale résolument compacte, avec juste ce qu’il faut de dramatique, riche en rebondissements comme autant de petits cheminements harmoniques qui ne laissent pas indifférent.
Plus le temps passe, plus les concerts se succèdent et plus la musique de Sheik Anorak s’affine, s’éclaircit, s’enrichit, se bonifie. Il me tarde vraiment de pouvoir entendre l’album que mon one man band préféré a prévu de publier bientôt. Egalement dans les cartons de Sheik Anorak un CD + DVD de sa tournée commune au printemps 2009 avec Weasel Walter et Mario Rechtern, que de la bonne freeture et de l’impro foutraque (donc pas grand-chose à voir avec le Sheik Anorak solo). Si j’ai bien tout compris la partie CD comprendra un concert donné à Montaigu par le trio tandis que le DVD reprendra entre autres les images du concert lyonnais à Grrrnd Zero.
Pour en revenir au concert de ce soir, il a également permis de mesurer toute l’étendue des capacités et de la versatilité du multi-instrumentiste puisque la veille c’est bien lui qui tenait la guitare au sein de Neige Morte. Reste à attendre patiemment le grand retour d’Hallux Valgus, un duo entre Sheik Anorak exclusivement à la batterie (et un peu à la voix) et le guitariste de Death To Pigs, pour avoir un panorama quasiment complet des activités musicales actuelles de ce garçon plein d’entrain – un demi-album vinyle des Pieds Qui Puent est prévu courant mars avec une tournée à la clef.
















Gutbucket reste envers et contre tout un groupe sympathique, même lorsque ses albums deviennent moyens, constat qui malheureusement s’applique au petit dernier, A Modest Proposal. Qu’est ce qui ne cloche pas dans Gutbucket alors ? C’est bien simple : ses origines géographiques à aller chercher indéniablement du côté de Brooklyn, son identité jazz + rock (et non pas jazz-rock), le son plutôt irritant du saxophone alto de Ken Thomson – arrêtez de me bassiner avec la grande histoire du jazz écrite à l’alto par Charlie Parker, Eric Dolphy et Ornette Coleman, j’ai toujours préféré le son du ténor – et la guitare bien lisse de Ty Citerman. On rajoute un nouveau batteur au jeu trop binairement plan-plan et on obtient tous les ingrédients pour se taper une séance de jazz gentiment modernisé et raisonnablement virulent.
Mais tout ce qui cloche avec Gutbucket peut aussi être ce qui fait la force du groupe. Ils viennent de Brooklyn et on les soupçonne d’être des bons potes à John Zorn et de jouer au moins deux sets tous les quinze jours à The Stone ? Oui, forcément. Le jazz et le rock ont rarement fait bon ménage ? C’est vrai sauf quand le rock titre le jazz vers le haut, ce qui est visiblement le cas ici (l’inverse, le jazz qui titre le rock vers le haut, est beaucoup plus fréquent : Captain Beefheart, NoMeansNo ou Don Caballero). Le saxophone alto est trop omniprésent ? Oui Ken Thomson est un véritable virtuose qui cependant n’en fait pas des tonnes, son jeu est précis et aiguisé comme il faut. Ty Citerman regarde un peu trop souvent le manche de sa guitare lorsqu’il joue ? Il est également parfaitement capable de partir dans des plans noisy avec petits dérapages incontrôlés et tête-à-queue dans la boue. J’ai par contre toujours du mal avec Adam Gold (le batteur). Et en ce qui concerne le contrebassiste, il joue sur un instrument électrique avec un rack d’effets à rendre jaloux un guitariste de post hardcore mélodramatique. Il taquine et il chatouille son instrument squelettisé avec discrétion et bien entendu il aura droit comme tous les membres de Gutbucket à son solo – une tradition insupportable du jazz parce que considérée comme un passage obligatoire mais ça veut dire quoi obligatoire lorsqu’on joue une musique censée être (semi) improvisée ?
















Le début du set de Gutbucket est plaisant (le groupe joue même Sludge Test en deuxième position) bien que l’on sorte trop peu des sentiers battus par le jazz contemporain et légèrement déviant. Or il faut croire que l’utilisation de la guitare – pourtant elle a un son tout propre – et les incartades extrajazz déplaisent aux vieux barbus et aux jeunes moustachus venus écouter leur musique favorite. On assiste à une désertion du Sonic par tous ces amoureux de l’art, ne restent que des jeunes gens qui ne connaissent vraiment rien à rien, aiment boire de la bière parce que ça aide aussi à écouter de la musique et qui n’hésitent pas à se remuer les fesses, à lever les bras et à gueuler comme de vulgaires punks du week-end (on est vendredi soir je le rappelle).
Plus le public s’échauffe et plus Gutbucket se laisse entraîner vers ses penchants les plus drôles et les plus barrés, oubliant que le jazz répond à des règles que ton grand-père connaissait déjà avant toi, démontrant que la musique est une affaire beaucoup trop sérieuse pour la confier à des musiciens bardés de diplômes d’écoles de musique émérites, que sur scène elle est aussi et surtout une farce et un simulacre. Gutbucket devient alors ce que le groupe devrait toujours être, un groupe de préposés au touche-pipi qui se fait plaisir autrement qu’en se touchant l’instrument pour réciter ses gammes, un groupe de jazz sympathiquement barré même lorsque ses disques deviennent trop moyens. La boucle est bouclée et je peux rentrer chez moi après une dernière bière bien méritée. Le jazz ça me donne toujours soif.


mardi 26 janvier 2010

We Are The Real Men























Deuxième soirée et on peut déjà affirmer que c’est un vrai plaisir d’avoir retrouvé Neige Morte et Savage Republic au Sonic. On avait découvert les premiers sur scène en première partie de Keelhaul il y a deux mois – une très bonne surprise même si on s’en doutait plus que très fortement vu le pedigree de haute volée des trois protagonistes. Quant aux seconds on ne les présente plus, les californiens de Savage Republic avaient été la bonne nouvelle de l’année 2008, ils étaient revenus l'année d'après, ils avaient tout cassé (c’est une expression profondément vulgaire mais elle est si proche de la réalité parfois) et donc ils sont à nouveau repassés par la case Sonic en 2010 au cours d’une tournée dont ils ont le secret – la veille ils étaient dans un bled perdu au fin fond de l’Italie, le lendemain ils seront à Anvers – mais de toutes évidences entre eux et la salle lyonnaise c’est une grande histoire d’amour, le groupe tenait absolument à venir y rejouer et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre, bien au contraire.
Bien au contraire mais tout le monde n’a pas l’air de cet avis puisque la salle n’est que raisonnablement remplie (quatre vingt personnes en gros, c’est décevant non ?). Celles et ceux qui ne se sont déplacés que la veille pour assister au naufrage de David Yow avec les matelots Ventura ont fait le mauvais choix. Les autres, ceux qui sont (re)venus pour Savage Republic, vont franchement pouvoir se rattraper.
















Depuis son premier concert Neige Morte a enregistré une poignée de titres dont le groupe a mis certains en ligne. Aucun doute à avoir à l’écoute de la version ultra primitive de Fausses Victimes : le trio a décidé d’appliquer à fond la définition du mot sauvagerie à sa musique. La violence crue et barbare de Neige Morte est encore plus flagrante sur scène. Le chanteur et le batteur se sont amusés à se maquiller – mais on est très loin des corpse paints des guignols norvégiens – sûrement histoire de pousser l’hommage (et la parodie ?) encore un peu plus loin. Massif, impressionnant, hurlant comme un forcené (ou un dément, j’hésite encore), le braillard en titre éructe la bave aux lèvres, un véritable flot de haine qui éclabousse littéralement la scène. La prochaine fois les gars il faudra envisager les choses en plus grand, prévoir les jets de sang et les têtes de cochons empalés sur les pieds de micro sinon je risque d’être déçu.
Musicalement ce deuxième concert est assez proche du premier, je veux dire que Neige Morte joue les mêmes titres que la fois précédente, mais avec une maîtrise et une violence accrues. Les progrès du groupe question mise en place, intensité et épaisseur sont flagrants, tout le monde joue ou chante nettement mieux. Ainsi, le hurleur dont nous avons déjà parlé se lance donc dans des assauts sidérants de brutalité avant de psalmodier des insanités, le guitariste met au service de la musique de Neige Morte tout son savoir-faire en matière de boucles et immisce ses sonorités de guitare plutôt inhabituelles dans le black metal du groupe, lui donnant une couleur vraiment originale.
Le grand équarrissage continue de plus belle – merde j’ai l’impression que le groupe joue toujours plus fort – et Neige Morte alterne avec à propos vomi malsain et ultra speedé avec passages ambiants inquiétants, s’il y a accalmie c’est pour mieux se faire déchiqueter dans les secondes qui suivent. Et c’est si bon parfois de se faire maltraiter. A bientôt les gars.
















Place au gros morceau de la soirée avec Savage Republic. La bonne nouvelle c’est que la formation du groupe est exactement la même que celle de l’année passée à savoir le batteur Alan Waddington et le guitariste/bassiste Kerry Dowling autour des deux anciens Thom Fuhrmann et Ethan Port, les gardiens du temple en quelque sorte. Le stand du groupe est bien fourni, toutes les chouettes rééditions des albums du groupe y sont et il y a même ce single Sword Fighter/Taranto sorti par le label italien A Silent Place et réputé épuisé… single dont Savage Republic possède visiblement les derniers exemplaires et que le groupe vend exactement au même prix que ses CDs à savoir quinze euros – la moitié d’un rein en ce qui me concerne lorsqu’on parle d’un vinyle ne comprenant que deux titres (pas formidables pour tout dire, ils sont disponibles par ailleurs de partout sur internet et gratuitement en plus).
Passé cette navrante déception – spéculer sur ses propres disques je trouve ça assez moyen – il est temps de passer aux choses sérieuses. Lesquelles ne le sont jamais tout à fait avec Savage Republic : pour un groupe typiquement des années 80 (le baratin post punk et tout ça) on a plutôt affaire à une musique certes tendue, parfois agressive, mais surtout complètement décomplexée et entraînante bien loin de la rigidité mortuaire et des idiomes cérébraux que le genre impose souvent. Les Savage Republic sont californiens et ils aiment le soleil. Il y a bien Ethan Port qui comme toujours fait un peu la gueule mais Thom Fuhrmann est en très grande forme, affublé d’un affreux futal de surfer, sirotant du redbull avec assiduité et chauffant les filles du public (il ira même jusqu’à offrir un exemplaire de Siam à l’une d’elles au moment des rappels).























Comme d’habitude le groupe a aligné tous ses hits – il y en a un paquet et je crois que je ne me lasserai jamais de réentendre Real Men – y compris la crème de la crème de son dernier album, notamment un 1938 fort réussi et au leitmotiv repris en chœur par tout le public (Waiting For The Fall / Waiting For The Fall, c’est pas dur à brailler, même moi j’y suis arrivé). Un titre dont Thom Fuhrmann explique qu’il a été composé au plus noir de l’ère Bush Jr mais que pour lui il reste toujours d’actualité malgré l’espoir nourri par l’élection d’Obama à la maison blanche. Par contre le groupe a bien failli complètement foirer sa reprise de Viva La Rock’n’Roll d’Alternative TV, ce sont des choses qui arrivent, on pardonnera.
C’est que techniquement, la mise en place du groupe peut être franchement approximative et les musiciens jouent plutôt décontractés, bien à l’aise, multipliant les léger plantages mais s’en foutant complètement, toujours avec un enthousiasme furieux qui va aller en grandissant pour terminer dans une débauche de bonne humeur et un bordel que l’on pourrait qualifier de festif si ce n’était pas une grave insulte. Tant pis pour les contours de l’interprétation, ce qui compte c’est le résultat, la fureur rigolarde d’un Ethan Port tapant sur son bidon – pour cette nouvelle tournée européenne le groupe a même choisi d’amener le sien – ou les provocations d’un Thom Fuhrmann toujours un peu dictatorial sur les bords. Kerry Dowling est celui qui assure le mieux (il est vraiment très bon bassiste) et Alan Waddington déçoit un peu sur son final tribal, son enthousiasme lui faisant un peu oublier de taper droit au moment où il est le dernier à jouer encore. On passe aussi sur la séance de démagogie appliquée que l’on attribuera à l’ivresse du moment : this is the best place in Europe and I shouldn’t say that but you’re the best audience we ever had – c’est bon Thom, n’en rajoute pas, on a compris que tu étais heureux avec nous.
Mais tout ça ce ne sont que des détails, limite de la mesquinerie de la part de quelqu’un qui a vu trois fois Savage Republic sur scène en deux ans de temps, parce qu’assister à une telle débauche et à un tel plaisir ce n’est pas tous les jours donc on ne va pas chipoter. Par contre il semblerait bien que le groupe arrête à nouveau les frais avec cette tournée : Ethan Port (mais il le disait déjà l’année dernière) voulant à nouveau quitter le groupe, les habituelles incompatibilités d’humeur avec Thom Fuhrmann. See you next year ? Hum, pas si sûr…

lundi 25 janvier 2010

Arrêter de boire ou chanter il faut choisir























Première étape d’une série de quatre concerts organisés par le Sonic, c’est le Festival d’Hiver, à vrai dire une idée assez saugrenue si on considère que d’ordinaire festival rime avec tongs et bobs Pastis 51, merguez-frites, bains de boue et nuits à la belle étoile (tout ce que j’aime). En ce mercredi soir on se contentera d’une vraie bonne caillante hivernale et d’une pluie qui vous transperce à vous glacer les sangs. Il va falloir se réchauffer, le dernier concert auquel j’ai pu assister remonte déjà à près d’un mois et demi, c’est bien beau d’écouter de la musique de vieux – Nadja ou Aidan Baker par exemple – tout seul dans sa chambre en regardant tomber la neige mais au bout d’un moment y’en a forcément marre, si ça continue je vais sentir le moisi moi aussi.
Cette première soirée est en fait une bienheureuse coproduction entre le Sonic et Bigoût records, label des Kiruna Boyz qui ont sacrément besoin de renflouer les caisses pour poursuivre leurs projets expansionnistes de domination du marché mondial du disque (le pressage d’une galette de vinyle ça coûte beaucoup plus cher que de payer une tournée générale de fin de soirée aux quelques attardés d’après concert). Heureusement le public s’est déplacé pour voir dans quel état ère David Yow, de retour parmi les morts depuis qu’il a chanté avec Qui et surtout depuis la reformation 2009 de Jesus Lizard – à titre de comparaison, le concert de Qui avec ce même David Yow avait réuni à peu près 250 personnes au Grrrnd Zero en décembre 2007 (et ce qui est amusant c’est que je ne me souvenais pas de tant d’enthousiasme de ma part). Pour assister à la paire Ventura/David Yow cent trente personnes ont en ce mercredi soir courageusement bravé le froid et les intempéries, je m’attendais pas à moins que ça…
















Otarie Club, joue en premier. On a beau m’expliquer que le bassiste est en fait le batteur d’un autre groupe que j’ai déjà vu en concert et que le guitariste joue aussi dans tel autre – à moins que ce ne soit l’inverse – je ne reconnais aucun de ces jeunes gens qui portent tous sans exception bonnet ou casquette. Derrière eux on distingue sans peine les frigos imposants et les têtes d’amplis Orange, on sait déjà à quoi s’en tenir question volume sonore.
Le bassiste lance sa première ligne et sans surprise ce n’est pas une ligne de basse mais un boulet de canon, lourd et écrasant, que l’on se prend en pleine face, amrep style. Cela devrait suffire à mon petit bonheur de préretraité de la noise 90’s mais trop d’application, un certain manque de confiance en soi, d’huile dans le moteur et de liant opportuniste m’empêchent de rentrer dans le concert d’Otarie Club qui au final peine à trouver son carré réservé et son originalité sur un terrain fortement miné par les codes en vigueur. Comme je me dis en même temps que le trio est sûrement encore tout frais émoulu et que tout ça n’est peut être qu’une question d’expérience et de temps je décide d’arrêter de faire mon chieur professionnel et je me focalise sur les quelques choses qui me plaisent chez Otarie Club (même si je n'en trouve pas beaucoup), en particulier ce dernier titre – encore une histoire de basse je pense…
Par contre, il y a une chose qui passe mal et comme d’habitude c’est le chant, monocorde, hurlé, sans relief ni imagination mise à part celle cuisinée à partir du gras de cordes vocales lubrifiées à la clope et à la bière. Merde quoi, je préfère très nettement les voix nasillardes de junkies défoncés à la colle.























Les fans et les curieux s’agglutinent devant la petite scène du Sonic : Ventura s’apprête à y jouer en compagnie de David Yow. On sait déjà que le bonhomme est malade comme un chien, qu’il est sous antibiotiques, qu’il n’a bu que difficilement et qu’une seule petit gorgée de la bouteille de JB comprise dans le catering, qu’il a cherché en vain dans les minuscules loges du Sonic le canapé confortable et accueillant qui lui aurait permis de faire une sieste réparatrice. C’est pour lui que l’on s’est déplacé ce soir et c’est quelque part injuste tant Ventura mérite mieux que ce pauvre statut de backing band pour monstre de foire rock’n’roll que l’on veut bien lui faire porter. Pa Capona, le premier album du groupe chez Get A Life! records, est un bon disque et je ne garde pas un souvenir trop mauvais d’un des précédents passages lyonnais de ces suisses. Mais, évidemment, personne ce soir ne semble réellement connaître Ventura. C’est bien dommage.
Je m’interroge tout de même. Le mélange de David Yow et de Ventura me paraît osé pour ne pas dire contre-nature. Les suisses sont loin de donner dans la fièvre et le rock’n’roll. Il n’est pas question non plus de jouer des vieux standards de Jesus Lizard – une fan de base se fera remballer avec un sourire narquois après avoir réclamé Money Trick – et la seule vieillerie de la soirée sera une obscure reprise de Big Black tirée d’une compilation Touch & Go que je n’ai jamais écoutée.
















J’aurais aimé avoir tort. Pas vraiment aidé par un public (lyonnais ?) ne réagissant pas beaucoup, Ventura et David Yow peinent à faire monter la sauce. On remarque pourtant que Ventura est plus énervé qu’auparavant mais ce n’est guère suffisant pour pallier au minimum syndical d’un Yow visiblement diminué. Pire, on s’aperçoit très bien que sans l’aide d’une bouteille ou d’un couvercle de poubelle celui-ci chante comme un pied, dommage parce que la musique de Ventura a un côté mélodique auquel le chanteur ne peut adhérer, faute de réelles capacités vocales. Enlever le showman (extraordinaire), il ne reste qu’une loque sans voix.
La bonne nouvelle par contre ce sont tous les nouveaux titres que Ventura a joués sans David Yow. Ils annoncent un nouvel album du groupe de très bonne qualité et celui-ci paraîtra tout comme le premier chez Get A Life! au printemps prochain. Deux titres ont également été enregistrés en compagnie de David Yow, dans l’optique de sortir un single. En attendant, le groupe a eu la bonne idée de les graver sur un joli CDr limité à cinquante exemplaires et qu’il vendait à son stand. Dessus se trouvent deux titres, Le Petit Chaperon Beige et surtout It’s Raining On One Of My islands (le dernier titre joué au concert et son seul moment réellement fort) qui font malheureusement penser et dire que l’on a raté quelque chose ce soir. C’était pourtant bien essayé.

mercredi 20 janvier 2010

Un hiver sonique
























Attention les yeux et les oreilles ! Après une trop longue période d’abstinence, les concerts à Lyon reprennent pour de vrai et de la meilleure façon qui soit avec un festival organisé par le Sonic, du mercredi 20 (ce soir donc) au vendredi 23 janvier.

Tout le détail et les dates exactes de ce programme de folie sont disponibles en cliquant sur le flyer ci-dessus : Ventura + David Yow, Savage Republic, Gutbucket et Phill Niblock accompagnés respectivement de Otarie Club, Neige Morte, Sheik Anorak (que j’aimerais bien voir plus souvent en concert), Deborah Kant (qui vient de se rajouter à la soirée du vendredi et c'est tant mieux) et Transitoire – on va bien rigoler…
… et ça c’est un avant goût de la doublette Ventura/David Yow :




mardi 19 janvier 2010

Aidan Baker / Blue Figures


















Avec ce Blue Figures Basses Frequences en est déjà à sa quatrième référence consacrée à Aidan Baker ou à Nadja. Après les excellents I Fall Into You, Letters et Corrasion on fonce logiquement tête baissée sur ce tout nouveau CD. A la grande différence des trois premières qui n’étaient que des rééditions, cette nouvelle parution propose elle du matériel neuf et inédit enregistré en concert – deux titres en avril 2009 à Berlin et deux titres en juin de la même année à Prague. Plus d’une heure partagée en quatre plages. On se frotte les mains, on salive des babines et on écarte les oreilles.
Le premier concert (Berlin, donc) est de loin le meilleur. Tant mieux parce qu’il prend les deux tiers du disque, lequel aurait bien pu s’arrêter après Figures Part 2 que je n’aurais strictement rien trouvé à y redire. Sur la première partie, Aidan Baker chante de sa voix douce et triste, avec une certaine profondeur et gravité, réunissant en un tour de main le Leonard Cohen de Songs Of Love And Hate et la pop dreamy/shoegaze de Cocteau Twins. On est touché par tant de délicatesse et d’affleurements, c’est idéal pour regarder par la fenêtre une mâtinée d’hiver, même et surtout s’il ne se passe rien dehors. La deuxième partie poursuit avec le même sentiment aquatique/cotonneux d’enfouissement sans tomber dans les travers d’une musique trop introspective et régressive ou les errements d’un étalage planant et hippisant, soigneusement évités malgré quelques sonorités synthétiques qui hélas n’ont rien à voir avec celles d’un EML. Le chant revient faire un petit tour à la fin et on est heureux.
En général et quoiqu’il arrive, le canadien est incapable de réellement se cantonner au format chanson – exception notoire : l’album When I See The Sun Always Shines On TV de Nadja mais c’est un album de reprises – et, la longueur de l’album aidant, l’impression de remplissage peut pointer le bout de son nez tout simplement parce que Baker en solo reste nettement moins hypnotique que Nadja, bien moins massif et moins spectaculaire. Figures Part 1 et Figures Part 2 évitent ce problème tout comme les deux dernières plages enregistrées pendant le concert Pragois et qui terminent Blue Figures. La première, sans titre, est un drone cristallin du meilleur effet. La seconde, Gathering Blue, est à l’origine extraite du double LP du même nom sorti en 2009 par Equation records. On y retrouve ces chuchotements de guitares et ces sifflements/courants d’air aux terminaisons lumineuses devançant une partie chantée à nouveau délicate et en dedans, confirmant que Blue Figures est définitivement un beau disque apaisant. Encore une bonne sortie de la part de Basses Fréquences.

lundi 18 janvier 2010

Aidan Baker / Dry




















Voilà une chronique de disque qui ne va pas tergiverser ni perdre son temps – allez, je vise moins de deux mille signes comme on dit couramment chez les pisse-copies – et à moins de trop raconter ma vie ou de décrire ma (très) mauvaise humeur actuelle ce CD enregistré en solo par Aidan Baker ne va pas mériter beaucoup plus qu’un élégant on n’est pas très loin du lamentable. Un chroniqueur plus zélé et moins poli affirmerait que Dry est une grosse merde. Une fumisterie. Une perte de temps pour l’auditeur et une perte d’argent pour le label qui a osé sortir ça. Le label en question c’est Install records, huit références au compteur pour l’instant. Des CDs empaquetés dans des pochettes entièrement cartonnées, je précise parce que le label appelle ça un eco-wallet, genre il n’y a pas de plastique là dedans donc ça ne pollue pas (et la galette en elle-même elle est faite en quoi ?). Acheter des disques en 2010, c’est faire exploser son bilan carbone, contribuer massivement au réchauffement de la planète et tomber dans le piège de la consommation qui quoiqu’on en dise érige toujours le culte de l’objet en argument marketing direct. Le records geek est une ordure égoïste.
Dry a été enregistré en juillet 2009 à Berlin, probablement pendant qu’Aidan Baker faisait une promenade touristique en Europe avec Nadja. Il est précisé que all sounds produced by electrical guitar without the use of any electronic effects. Effectivement, ce qui frappe dès les premières secondes de Strum & Stress c’est la pureté du son de guitare. On se dit que l’on va pouvoir écouter quelque chose de différent de la part d’Aidan Baker et on attend donc qu’il ait fini d’accorder son instrument/de s’échauffer les doigts/de trouver l’inspiration. On attend, on attend, on attend… jusqu’à ce que l’on doive admettre qu’il ne se passe rien sur ce Dry et qu’il ne s’y passera rien quoiqu’il arrive. Le canadien gratouille (les yeux fermés ?) des motifs sans intérêt qu’il superpose ensuite – il n’y a peut être pas d’effets électroniques sur ce disque mais un enregistreur multipistes a visiblement été utilisé – et le résultat est un grand vide, une solitude absolu dans un monde de néant incommensurable. Au mieux cela pourrait ressembler au bruit que fait la pluie qui tombe sur le toit en tôle ondulée de mon bungalow provençal après un orage estival (Pale/Pole). Ou bien la guitare tente d’imiter tant bien que mal le son des gamelans (I Am A Free Machine) puis les grincements d’une vieille locomotive à vapeur qui peine à démarrer (The Irrevelance Of Mosquito Dreams sur lequel Aidan Baker sort son archet).
Qu’Aidan Baker cherche de nouvelles techniques pour sortir des nouveaux sons de sa guitare je n’y vois aucun inconvénient. Par contre il aurait pu garder ces gratouillages pour lui, comme une démo honteuse. Quoi ? C’est un disque intentionnel ? Un projet comme un autre ? Ah… tout le monde peut se tromper.

dimanche 17 janvier 2010

Aidan Baker / I Wish Too, To Be Absorbed


Toujours Aidan Baker et cette fois ci en double CD : I Wish Too, To Be Absorbed est une compilation/anthologie parue chez Important records et ce sans aucun effort de présentation (ce qui est vraiment très rare pour ce label d’habitude beaucoup plus arty que ça). Les notes imprimées au dos du livret nous précisent : collected recordings from sources both rare and out of print, compiled by Aidan Baker.
Disons le tout de suite, ce I Wish Too, To Be Absorbed est de très loin l’une des meilleures choses qu’il m’ait été donnée d’écouter de la part du canadien lorsqu’il œuvre en solo. Le choix des titres semble judicieux – je dis semble parce qu’évidemment je ne connais par les disques originaux dont les dits titres ont été extraits – et on ne s’ennuie guère alors qu’avec ces deux disques on en prend facilement pour deux heures et demi de musique : Aidan Baker a choisi d’évoquer ici plusieurs facettes de son travail, diversité et éclectisme sont au rendez-vous (du moins pour le premier disque). C’est assez déconcertant au départ mais comme cela élimine d’emblée l’impression de remplissage qui a tendance à poindre son nez dans n’importe quel enregistrement solo de Baker c’est un bon point à mettre à son actif. On remarque enfin que des musiciens invités ont participé à certains de ces enregistrements, élargissant d’autant le spectre musical d’ordinaire balayé par le musicien canadien. Le meilleur exemple est très certainement Speed Of Thought, huitième et dernière plage du premier disque, sorte de post rock – quel vilain mot – psychédélique balayé par des arrangements de cordes et de trompette. Un vrai moment d’apesanteur.


















Ce même CD 1 débute par un enregistrement de Baker tout seul avec sa guitare : les cordes sont frôlées, tapées, gratouillées, désaccordées… Element # 1 c’est un peu Thurston Moore et Lee Ranaldo qui se regardent en chiens de faïence tout en se demandant ce qu’ils vont bien pouvoir jouer après. Uniquement pour les fans de Sonic Death ou plutôt de Thela. K est une courte pièce instrumentale avec violon, Merge est typique du Baker solo que l’on connaît bien (chant murmuré et guitare fantôme) tout comme Calibrate (guitare, basse et effets uniquement) tandis que Reversion explore les possibilités rythmiques de la guitare acoustique et que Pretending To Be Fearless se vautre résolument dans la bidouille pointilliste et la viande froide avec ses boucles et ses bandes à l’envers. Pretending To Be Fearless est ainsi une bonne introduction à Summer Chill, titre quasiment electro pour ne pas dire trip hop avec boite à rythmes soft et répétitivité élastique sur fond de ressac sonore.
Le CD 2 est nettement plus expérimental (ahem) que le premier, offrant le côté le plus abstrait – qui a dit abscons ? – de la musique d’Aidan Baker. On y retrouve cette science (que j’imagine au départ très extinctive) pour les couches et les surcouches, les bruissements sonores, les portes dérobées empruntées par les passe-murailles, l’isolement des grands espaces, l’ascension vers les abîmes, le côté drone qui irrite tant les vieux punks à moustaches et/ou ventrus. Les bourdonnements sont plus ou moins intenses, plus ou moins étirés, plus ou moins enveloppant, il n’y a toutefois pas de demi-mesure avec ce deuxième disque : c’est du drone pur et dur qui joue sur la durée, l’immersion, tiens voilà du bouddha, bricorama techno ambient et zen party. Mention spéciale pour Esken et sa fréquence grave et I Wish Too, To Be Absorbed et ses raclements métalliques circulaires ou ses chuintements de voix murmurées. Aidan Baker a beau faire de la musique ambient qui ne dérangerait pas un couple de céhespéplusplus et de social-traites en pleine séance de sophrologie rédemptrice, il se garde toujours de toute niaiserie new age et de toute candeur décorative. Favori.

samedi 16 janvier 2010

Nadja / Under The Jaguar Sun


Démarrant sur une ligne de basse lancinante, Sun1 Jaguar est l’excellente entrée en matière de Under The Jaguar Sun, double album CD de Nadja publié sur Beta-lactam Ring records. En 2009 le duo canadien a continué d’enchaîner coûte que coûte les enregistrements avec une fréquence très rapprochée, quitte parfois à diluer son propos mais au démarrage Under The Jaguar Sun se veut donc extrêmement rassurant, oeuvrant plus volontiers dans les atmosphères éthérées taillées dans la masse que dans le metal sulfurisé et autarcique qui avait fait la gloire de Nadja sur des albums tels que Bodycage, Corrasion ou Touched. Rythmes presque en retrait, voix murmurée, nappes de guitare comme autant de voiles jetés au visage et troublant la perception des sons tout comme ils troubleraient la vue, Sun1 Jaguar s’achève dans quelques méandres reprenant forme dès les premières notes de Sun2 Winsdom, nettement plus martelé.
Tous les titres de ce premier CD de Under The Jaguar Sun – CD intitulé Tezcatlipoca (Darkness) – sont en effet enchaînés, formant une longue composition d’une heure en perpétuelle mutation. Suit directement Sun3 Fiery Rain (entièrement instrumental) et Sun4 Flood à nouveau conduit par une ligne de basse toute simple – basse bien plus prépondérante que sur les autres enregistrements précédents de Nadja – et avec l’apparition de la voix démultipliée de Leah Buckareff pour un nouveau moment d’apesanteur et de poésie sonore, grincements de fréquences et vapeurs métalliques. Sun5 Earthquake est le morceau de bravoure de Tezcatlipoca, reprenant sur un bon quart d’heure le même motif noyé dans la reverb et la répétition. Une recette déjà maintes fois utilisée par Nadja (notamment sur le titre Numb) et consistant à allier immobilisme massif – quel riff mes enfants, ultra simpliste mais franchement efficace – et décalages imperceptibles grâce aux effets sonores et aux surempilements de couches successives : s’en suit cette impression d’ensevelissement aérien qui est la marque de fabrique du groupe, etc, j’ai déjà dit tout ça. Lorsque Sun5 Earthquake s’achève on est d’ores et déjà persuadé que Under The Jaguar Sun est l’un des meilleurs disques (inédits) de Nadja depuis longtemps et on passe très confiant au deuxième CD.























Ce deuxième CD s’intitule Quetzalcoatl (Wind), ne propose que des titres instrumentaux et, fait marquant, Nadja y est accompagné de plusieurs autres musiciens, essentiellement violonistes et violoncellistes, une grande première me semble t-il – alors que Baker a déjà eu recours à des cordes pour ses travaux en solo. Ocelotonatiuh – le dieu jaguar dans la mythologie maya, les quatre autres titres de cette deuxième partie sont également en référence à cette mythologie – rompt radicalement avec Tezcatlipoca (Darkness), déversant des flots de sons continus et insistants, loin de la dynamique nuageuse du premier disque.
Bien que strictement atmosphérique et répétitif – appelle ça du drone si tu veux – Quetzalcoatl donne nettement moins dans la joliesse et l’apesanteur que Tezcatlipoca avec un fort penchant pour les dissonances (certes perdues dans le lointain), sons cristallins comme autant de carillons incomplets et ressac des instruments à cordes évidemment noyés dans la masse. L’effet est très beau mais proche du surplace total, hop on en profite pour méditer sur rien les yeux collés dans le vague et au plafond ou – beaucoup mieux – pour ne rien faire du tout et ce n’est pas l’apparition d’un harmonium sur Ehecatonatiuh (aka le soleil du vent chez qui vous savez) qui va vous tirer de cette douce torpeur. On arrive ainsi tout doucement jusqu’au dernier titre, Nahui-Ollin (le signe des quatre mouvements chez les nouveaux amis de Robert Emmerich) et son sitar passé à l’envers.Quetzalcoatl (Wind) s’écoute forcément moins souvent et avec moins d’insistance que Tezcatlipoca (Darkness). On peut même affirmer qu’on finira un jour par ne plus l’écouter du tout tant son propos qui a pourtant le mérite d’apporter de l’eau au moulin de Nadja et de permettre au duo de varier ses horizons finit par paraître tout petit pour ne pas dire anecdotique. Oui c’est beau et reposant, et alors ? Alors on peut aussi tromper son ennui en admirant pendant tout ce temps l’incroyable artwork de Under The Jaguar Sun avec son digipak ultra coloré se dépliant pour former une croix et ses illustrations très Nature & Découverte à base de fruits d’érable – mais oui, vous savez bien, ces petits hélicoptères végétaux que les enfants s’amusent à faire voltiger dans les cours de récréation. Et bien Quetzalcoatl, malgré sa beauté formelle et à cause d’une platitude certaine finit par donner le même effet, celui d’un jeu innocent et éphémère oublié aussitôt qu’il est terminé.

[il semble également qu'il est possible voire même fortement conseillé d'écouter Tezcatlipoca et Quetzalcoatl simultanément, ce que je n'ai pas essayé de faire]

vendredi 15 janvier 2010

Nadja / Belles Bêtes




















L’objet est superbe. Une galette de vinyle noir et une pochette d’un carton avec une épaisseur comme je n’en ai encore jamais vue. Dessus un gribouillis signé Aidan Baker - quoi encore un crâne de cerf ? - et un tirage limité à cinq cents exemplaires (non numérotés). Beta-lactam Ring records est déjà l’un des rares labels à publier des CDs dont on peut affirmer du packaging qu’il est vraiment beau mais question vinyle, cette maison très arty sait également se surpasser. Belles Bêtes porte donc bien son nom. Un disque parfait pour les collectionneurs qui ne peuvent pas s’empêcher de transformer leurs étagères en musée.
Un emballage cela ne fait pas tout me direz vous. Soit. Pour comprendre un peu mieux Belles Bêtes il faut remonter peut être jusqu’à When I See Sun Always Shines On TV, l’album de reprises que Nadja a publié au printemps dernier et également l’enregistrement le plus pop à ce jour du duo. Le mot est lâché, Nadja aime les chansons. Donc en fait. Et c’est exactement ce que propose ce Belles Bêtes, petite collection de quatre compositions qu’Aidan Baker avait d’abord enregistrées tout seul sous son propre nom. Les Versions originales de Beautiful Beast et de Green & Cold peuvent être écoutées sur l’album Green & Cold. Sand Like Skin est à l’origine un extrait de Songs Of Flowers And Skin alors que Wound Culture provient de l’album du même nom. Une démarche à rapprocher de celle qui a été consécutive à l’arrivée de Leah Buckareff dans Nadja c'est-à-dire le réenregistrement de tous les disques du groupe qu’Aidan Baker avait produit tout seul. A la différence près que les travaux solo du canadien ont toujours été bien plus légers et aérés que ceux de Nadja. Cela se ressent particulièrement sur Sand Like Skin, titre d’une pop shoegaze à peine dérangée par l’habituelle boite à rythmes et le brouhaha des guitares en arrière-plan. Green & Cold est plutôt à la façon d’un Cure sous champis, d’un metal extrêmement doux et poli par une patine élégante. Beautiful Beast est plus massif mais tout aussi stratosphérique, alternant sur une bonne dizaine de minutes parties chantées translucides et assauts de guitares avant un ensevelissement final comme seul le duo canadien en a le secret. Wound Culture est également un titre long et c’est surtout le plus beau des quatre bien que parfaitement mélodramatique et ressemblant le plus à du Nadja classique : pas de chant, riffs dopés au spleen, rythmique lourde, suites d’accords théâtrales.
En écoutant Belles Bêtes je repense immédiatement au dernier concert de Nadja auquel j’ai pu assister et pendant lequel le groupe n’avait pas su se sortir d’une cacophonie gazeuse jamais maîtrisée : je suis à peu près sûr que Nadja avait alors interprété les chansons de Belles Bêtes sans arriver à trouver le juste équilibre entre la fragilité du chant et des mélodies et le grondement de ses guitares. Je le regrette d’autant plus que ce disque est une réussite.

jeudi 14 janvier 2010

Pyramids With Nadja / self titled





















L’année dernière, il m’a été strictement impossible de venir à bout du premier album de Pyramids, incommensurable bouse néo-prog-black-emo-shoegaze-metal-sirop publiée par Hydra Head, le label préféré des graphistes post hard core. Un album double, en plus, puisque incluant un deuxième disque de remix par James Plotkin, Blut Aus Nord, Justin Broadrick ou Campbell Kneale/Birchville Cat Motel. Une horreur se suffisant amplement à elle-même. Tu écoutes une seule fois ce disque et tu le jettes vite fait bien fait à la poubelle, pas la peine d’en rajouter avec une chronique assassine. Et bien fin 2009 Hydra Head et Pyramids ont remis ça mais cette fois s’il s’agit d’un album en forme de collaboration avec Nadja… A cette annonce mon sang n’a fait qu’un tour, je suis devenu livide de haine baveuse, déjà prêt à jeter tout mon fiel sur ce disque. Et puis le label a eu la bonne/mauvaise* idée de le balancer en streaming sur internet : horreur, stupéfaction et dégoût ont bien été au rendez-vous, difficile même d’en rire un bon coup – la distance nécessaire et vitale du second degré et de la mauvaise foi – pour conjurer le sort et oublier fissa une telle catastrophe.
Parce que catastrophe il y a bien. Quelques écoutes supplémentaires et un peu de temps ont légèrement atténué la violence d’une réaction hautement et malheureusement prévisible. Mais quand même : quelle merde ce disque. Et je le dis aussi directement que possible, tel que je le ressens, de façon toute entière et proportionnelle à une nausée persistante. Et donc tant pis, celui-ci sera finalement chroniqué et en mal – lapidairement si je puis dire – et de réserve ou de retenue il n’y en aura pas.
Si cet enregistrement s’appelle Pyramids With Nadja et non pas Nadja With Pyramids, la raison en est toute simple : on peut toujours chercher le long de ces quatre titres et cinquante minutes de musiques la trace d’idées pouvant émaner d’Aidan Baker et de Leah Buckareff. Des guitares distillant du plomb grésillant ou des vapeurs d’éther ? Non, du moins à peine sur Into The Silent Waves. Du chant de mormon psychorigide ? Non plus. Des rythmiques lourdes en forme de couloirs ascensionnels ? Encore moins. De la répétition lysergique ? Que nenni. A la place, quelques pulsations de boite à rythmes poussées inutilement au-delà du 200 bpm, des voix de Freddy Mercury imitant Liz Frazer ou de goéland sodomisé par Neil Diamond, des lignes de chant encombrantes et d’une grandiloquence ridicule, de l’emo pour rien dire, du petit cœur bleu en bandoulière, du plastic metal et même un piano éperdu de réverbération pour faire pleurer. Sans compter que les compositions n’ont ni queue ni tête, structure zéro, semblant démarrer ou s’arrêter au gré d’un montage de bandes calamiteux et aléatoire sur ordinateur.
Il y a donc pire que le revival 70’s qui pourrit le cerveaux des métallurgistes sans imagination, il y a pire que les post coreux qui se prennent pour Pink Floyd, il y a pire que les amateurs de touche-pipi qui se prennent pour King Crimson, il y a pire que les acrobates sportifs qui imitent Emerson, Lake & Palmer : il y a Pyramids dont la musique atteint les sommets du ridicule et de l’abscons, cumulant vantardise, préciosité et vide abyssal. Un exploit dans le genre et tant pis pour Nadja – mais qu’est ce que Baker et Buckareff sont allés faire dans cette galère ?

* bonne : on sait à quoi s’en tenir désormais / mauvaise : on est définitivement horrifié…

mercredi 13 janvier 2010

Nadja & Black Boned Angel / self titled























On avait quitté Nadja et Black Boned Angel a propos d’un CD monotitre (depuis réédité sous la forme d’un 12 pouces monoface) avec l’impression mitigée du gamin pris en flag la main dans le pot de Nutella : on sait bien que c’est dégueulasse, que ce truc ne peut décemment pas trop s’appeler du chocolat mais on ne peut pas s’empêcher de trouver ça idéalement bon.
Peut être qu’un petit résumé s’impose. On ne présente plus Nadja et Aidan Baker, son démiurge droopyesque en diable. Rappelons que Black Boned Angel est le projet drone/doom (avec deux autres types) de Campbell Kneale, ex Birchville Cat Motel – oui ex parce qu’après une longue crise identitaire allant jusqu’à la remise en question de sa musique même, le néo zélandais a sabordé son groupe principal pour immédiatement le faire renaître de ses cendres sous le nom de Our Love Will Destroy The World (un chouette programme en hommage à Charles Manson ?). C’était ça ou bien Campbell Kneale arrêtait tout. On reparlera une autre fois des nuances subtiles qui existent entre Birchville Cat Motel et Our Love Will Destroy The World (ne cherchez pas, il n’y en a pas) mais rappelons également et surtout qu’un disque de Black Boned Angel ne laisse en général guère de souvenirs à celui ou celle qui l’écoute. Un exemple ? The Endless Coming Into Life (chez 20 Buck Spin) mériterait presque une chronique tellement il résume parfaitement pour celui qui déteste tout ce qui est drone/ambiant/doom qu’il a parfaitement raison de le faire.
Egalement sur 20 Buck Spin, ce premier long format (deux titres, cinquante minutes…) de Nadja & Black Boned Angel semble prendre le même chemin de la perplexité et de l’ennui. Cette fois ci, la musique est strictement instrumentale. Instrumentale et larvaire. Premier titre. Après 6 minutes d’un plan gratouillis et craquements dont on pourrait penser qu’il a été piqué à Fear Falls Burning, I dévale la pente en marche arrière et cale direct contre le trottoir dans un long dégagement de fumées toxiques et de pétarades foireuses à bases de larsens (oui : c’est du drone). Cette dernière partie pendant laquelle s’échappent les fréquences reconnaissables entre milles et qu’utilise régulièrement Aidan Baker dans Nadja dure au moins sa douzaine de minutes, soit la moitié de titre. A écouter fort au risque de ne se rendre compte de rien.
Deuxième titre. De facture plus classique II est tout autant répétitif. D’abord dans le subliminal qui s’éternise (ah les joies du mixage et de la post production) puis tout basique avec sa rythmique à deux à l’heure. Comme pour I plein de petits détails finissent par apparaître au fil de l’écoute à qui sait être patient. Cela ressemble à peu à la musique de mon futur mais toujours aussi hypothétique mariage ou au soundtrack de la fin du monde (beaucoup plus probable) mais cela manque terriblement de… de quoi ? De crédibilité ? De tripes ? De tension ? D’intérêt ? Voilà un vrai bon disque de drone doom de salon pour épater ses amis sans leur faire trop peur.

mardi 12 janvier 2010

Aidan Baker / Thoughtspan


Encore un prétendu nouveau disque d’Aidan Baker et encore une réédition. Thoughtspan était à l’origine un CDr trois titres gravé à cent cinquante exemplaires par le label allemand Tosom records en 2007. Aujourd’hui c’est un vinyl deux titres publié par Blackest Rainbow records à trois cent cinquante exemplaires. On frise carrément la surproduction. Mais on a perdu en route le premier titre du CDr, Speed Of Thought, qui se déniche par ailleurs très facilement au premier ramonage de tuyaux d’internet. L’intérêt de cette nouvelle édition ce n’est pas la nouvelle pochette ornée d’une photo déprimante et en noir et blanc de Leah Buckareff (la copine d’Aidan et son assistante/bassiste au sein de Nadja) mais bien de pouvoir écouter les deux titres restant - Thought Climate et Thoughtspan - sur un support digne de ce non.
Aidan Baker en solo est extrêmement versatile. On reconnaît forcément quelques uns de ses tics, son son de guitare, son amour pour l’éther, ses arpèges de cristal caramélisé, sa voix de Casper neurasthénique et son chant de Droopy sous valium mais d’un disque à l’autre on peut passer du folk tristounet voire complaisant (Scalpel) à du nappage electro et entêtant (I Fall Into You). Seul point commun : une certaine mollesse, à l’opposé de la lourdeur de Nadja mais rejoignant les aspirations du projet principal dans ce sentiment envahissant d’engourdissement et d’immobilité tournoyante.

















Selon ce critère, Thoughtspan se révèle être au dessus du lot, version hyper psychédélique et acide de Nadja (toute la première face et tout le final de la deuxième face) et délivrant ce qu’Aidan Baker sait faire de mieux : de la musique de hippie congelé par la mélancolie, comme si Nick Drake jouait à chat perché avec Ian Curtis dans le poulailler au fond du jardin de Mère Grand (You’re Not There, You’re Not There). Thought Climate, complètement instrumental, est la plus belle face de ce disque, toute en loops et manipulation de bandes, avec adjonction d’une trompette pour un résultat qui tarde délicieusement à prendre forme - en fait lorsque la batterie de Jonathan Demers se décide enfin à rythmer/canaliser (doucement) cette longue dégoulinade d’échos et de delays enchevêtrés sans réellement y arriver. La batterie est nettement moins convaincante et utile sur la deuxième face (l’éponyme Thoughtspan qui voit aussi l’adjonction d’un violon) qui se révèle toutefois plus incarnée malgré un démarrage à l’étrangeté appuyée. Aidan Baker confirme qu’il reste toujours ce magnifique faiseur de disques, cet artisan bricoleur en studio qui continue de (se) chercher et de trouver. Pourvu que ça dure.

lundi 11 janvier 2010

Aidan Baker / Green & Cold


J’ai lu quelque part qu’Aidan Baker avait publié sous son nom ou sous celui de Nadja plus de 110 enregistrements au cours des huit dernières années… de quoi faire rigoler les nombreux détracteurs du canadien, souvent jugé comme un vulgaire pisse-son lâchant ses enregistrements à la chaîne. Pour tempérer un peu ces statistiques, on peut également estimer qu’un bon tiers – la moitié ? – de tous ces disques sont des rééditions/réenregistrements. Les discographies sélectives d’Aidan Baker et de Nadja compilées par Discogs se trouvent ici et , si jamais il y a des courageuses et des courageux pour faire une étude de fond sur le sujet. Je me contenterai moi de prendre les enregistrements du canadien comme ils viennent : rééditions, nouveautés, qu’importe… il n’aura échappé à personne que malgré son air de Droopy végétarien et malgré une présence scénique inversement proportionnelle à celle d’Eugene Robinson, je suis fanatique du bonhomme, pour le meilleur comme pour le pire. Et comme c’est l’hiver et que le climat n’est décidemment ni au punk à roulette ni au rock festif (d’ailleurs l’est il jamais ?) et encore moins au disco noise (je l’entends le buzz du deuxième album de Marvin), je bouffe du Aidan Baker/Nadja tous les jours. Vous aussi vous allez en bouffer. Ou alors revenez par ici le mois prochain.























On commence par Green & Cold, CD élégamment emballé par Beta-lactam Ring records dans une pochette cartonnée avec un insert comprenant le tracklisting, les paroles, les habituelles données techniques et indiquant que ce disque est limité à quatre cents exemplaires, numérotés à la main. Green & Cold est une réédition, la première version – toujours disponible – de ce disque datant de 2007 chez Gear Of Sand.
Ici, Aidan Baker s’occupe une fois de plus de tous les instruments (guitare, basse, etc), de tous les instruments c'est-à-dire y compris de la batterie, très rudimentaire, et en plus il chante. Chanter, cela semble être la raison même de ce disque apaisé qui navigue dans des eaux très dream pop/shoegaze minimaliste avec la voix plus neutre et blanche que jamais d’Aidan Baker, à faire passer Kevin Shields pour Lemmy Kilminster. Sur les dix titres on compte donc cinq chansons, trois instrumentaux et deux versions en concert à la fin.
Si Chainsaw respecte un format assez court et classique, chanson quoi, Beautiful Beast, après un début tout ce qu’il y a de plus normatif s’enlise/s’envole dans des ambiances spectrales tourbillonnant lentement sur elles-mêmes (nappes sonores lointaines, bandes passées à l’envers, gratouillis de guitares, tout le tralala). Après cette immersion un peu forcée Beautiful Beast arrive à se rétablir de justesse sur ses pieds grâce au retour de la partie chantée du début. Green & Cold est joué à la guitare acoustique, Nick Drake en comparaison est un gai luron et les cordes crissent sous les doigts du musicien comme s’il jouait juste à côté de nous. On ne peut guère faire plus intime que ce dark folk neurasthénique. Machina est un belle balade dans la lignée de Chainsaw, la voix y est traitée de façon encore plus spectrale, les effets s’accumulant sur elle et autour d’elle. Résultat, les quelques huit minutes que dure Machina (incluant un final moelleux et en pente douce auquel il faut rajouter deux instrumentaux enchaînés qui gâchent un peu tout) sont le moment fort d’un disque rallongé par deux versions live de Green & Cold et du même Machina qui elles n’apportent rien de nouveau. Malgré ses longueurs instrumentales cet album est assurément un bon cru d’Aidan Baker. Et c’est plutôt pas mal de la part d’un stakhanoviste.

vendredi 8 janvier 2010

Larvae / Loss Leader





















J’ai bien failli passer complètement à côté de cet album de Larvae, groupement d’électroniciens qui s’étaient montrés particulièrement bluffants avec Dead Weight, un album a mi chemin entre dub indus à la Scorn et trip-hop maladif avec une pointe de drum and bass et saupoudré de participations vocales – Jessica Bailiff (quelques trucs marquants pour ceux qui aiment ça sur Kranky), Claire Campbell de Hope For Agoldensummer ou les rappers Scalper (un furieux et au passage un ancien Fun-Da-Mental) et Non de Shadow Huntaz. Ça, c’était déjà en 2006, une éternité. En novembre 2008 Loss Leader, nouvel enregistrement de Larvae, est sorti dans les bacs, toujours grâce aux bons soins de Ad Noiseam, et c’est précisément de cet album ci dont nous allons causer un peu maintenant.
Oui, j’ai mis le temps avant de me rendre compte que le trio existait toujours et qu’il avait donné des signes patents de son existence depuis l’excellent maxi partagé avec Enduser. Larvae – le groupe tire son nom de la forme primitive de Mothra, l’ennemi juré de Godzilla, plus d’explications pour les geeks ici – Larvae donc propose avec Loss Leader un double mini album. Comprenez qu’il y a deux parties très distinctes à ce disque, tellement distinctes qu’une édition en double 12 pouces aurait été la bienvenue et le groupe pousse même la plaisanterie jusqu’à nommer ces deux parties tout en leur associant des visuels différents. On a donc droit à un EP 1 : Turning Around et à un EP 2 : Monster Music 2 (pour arranger le tout Larvae avait publié un EP intitulé Monster Music en 2003).
Turning Around est le versant atmosphérique de Larvae. Les guitares, jouées par le groupe, y ont la part belle et la musique, tout en gardant un vague arrière plan électronique, lorgne furieusement vers la pop brumeuse – l’intro du premier titre, tout en filigranes et en pointillisme digital fait furieusement penser à du Hood circa Cold House – et tend vers un post rock froid - le très catchy Heavy, effectivement lourd dans ses intentions mais au résultat savamment aérien même si doté d’un piano trop évident. Giftshop (très rytmique) et Dischord (plus tendance de l’eau dans le shoegaze) complètent cet EP 1 calme et serein, agréablement construit mais qui a un peu de mal à marquer les esprits.
Loss Leader
devient franchement intéressant avec Monster Music 2. Place aux rythmes digitaux martelés, aux lignes de synthé névrosées, aux basses énormes et poisseuses, aux ambiances industrielles et malades. Monster Music 2 c’est le côté le plus vindicatif et bruyant de Larvae, celui qui fait penser aux anciens albums de Scorn, ceux de la deuxième période du monstre britannique (entre Evanescence et Gyral). Le premier titre Monster Oxygen est déjà pas mal question oppression et martèlement rythmique à la froide lenteur calculée. Cela s’aggrave dangereusement par la suite – Megalon, plus nuancé, et sa basse dub saisissante et particulièrement efficace, Gigan And The Mysterians et ses ferraillements digitaux avant l’arythmie programmée et la musique de film – mais c’est avec Oxygen Destroyer que Larvae explose ce qui nous reste de nerfs : basses qui bourdonnent inlassablement, beat rectal, retour des guitares dreamy en arrière-plan et ligne de synthé qui fout les jetons. Soit une sorte de synthèse entre les deux parties prétendument distinctes de ce disque… quelques réécoutes confirment d’ailleurs que Loss Leader n’est pas un disque aussi schizophrène que ces concepteurs le prétendent. Il n’en demeure pas moins intrigant et excellent.