mardi 23 février 2010

Jim O'Rourke / The Visitor


Un disque qui vous pose un gros problème (pas si gros, n’exagérons rien …), c’est quand même plus palpitant qu’un disque dont on sait à l’avance – et sans l’écouter, tu ne crois quand même pas que je passe réellement tout ce temps dans la vraie vie à me taper autant de disques/mp3 que ce que je veux bien raconter – donc un disque qui pose un problème c’est finalement beaucoup plus amusant qu’un disque pour lequel on n’a pas besoin de se triturer le cortex plus de deux écoutes et demi pour décider qu’on l’aime, qu’on le déteste ou qu’on en a rien à foutre. Oui, OK, l’instinct c'est souvent très bien et ça marche quasiment à tous les coups : chair de poule + boner irrépressible = disque de l’année, lavage de la vaisselle en retard depuis deux jours + sieste du guerrier fatigué = disque qu’on s’en tape le coquillard, balade en vélo avec les gosses + bonnes résolutions pour la nouvelle année ou ce qu’il en reste = disque que l’on va s’empresser de revendre à quelqu’un que l’on déteste. Une nomenclature facile et efficace qui vous avale n’importe quelle galette. Les exceptions à cette méthode de rangement testée et approuvée ne courent pas les plateformes de téléchargement illégales mais lorsque on tombe sur l’une d’elles, la catastrophe personnelle n’est pas très loin.
The Visitor, livraison 2009 de Jim O’Rourke pour Drag City était, est toujours cette couille dans le potage. Voilà un disque qui m’est littéralement tombé des mains et des oreilles dès la première fois mais que je n’ai pas cessé de réécouter depuis, pas trop souvent mais régulièrement, tout en y repensant de temps à autre dans l’intervalle. Un disque qui vous colle aux oreilles comme une grosse merde à la queue d’un chien ou comme une réputation de social traître à un ancien directeur de publication de Charlie Hebdo. La poisse. La chienlit. Une vraie malédiction. Et en même temps un titillement qui fait plaisir. Parce qu’il faut bien se rendre à l’évidence: si The Visitor, objet sonore au départ insignifiant et rébarbatif, montre des effets secondaires aussi persistants c’est bien qu’il a quelque chose. Oui mais quoi ? Je me ressers un godet de schnaps et je reviens tout de suite.























J’ai lu ici ou là que The Visitor est le premier album solo de Jim O’Rourke depuis I'm Happy, And I'm Singing, And A 1, 2, 3, 4 paru en 2001 chez Mego (réédité en 2009). Ce qui est totalement faux. Notre petit génie a fait plein de truc perso à lui depuis 2001, t’as qu’à aller voir chez discogs si j’y suis (il a aussi bossé pour les autres, produisant Wilco ou servant de déambulateur à Sonic Youth pendant cinq années). C’est vrai que depuis tout ce temps il n’a rien publié sous son nom dans une veine strictement pop sucrée et tropicale – genre Bad Timing, Eureka, etc – or c’est précisément à cela que l’on pense en inspectant The Visitor sous toutes les coutures : comme tous les enregistrements poppy d’O’Rourke parus chez Drag City le dernier né reprend l’artwork du recto sur son verso, allant même jusqu’à imiter les rainures du boîtier du CD. Une filiation visuelle en quelque sorte. Mais cela s’arrêtera là.
Prenant l’auditeur à contre-pied, O’Rourke a composé un long titre de trente huit minutes, changeant donc apparemment son fusil d’épaule sans prévenir. Qu’est ce Jimmy nous a fait cette fois ci ? Un truc genre Disengage ou Tamper (d’ailleurs également réédité plus tôt en 2009) ? Ou alors du néo contemporain pour quatuor à cordes ou ensemble bigarré (Terminal Pharmacy) ? Rien de tout cela : The Visitor commence par un vibrant hommage au maître John Fahey* avant de se lancer dans une longue suite instrumentale pendant laquelle Jim O’Rourke cite quelques aspects notoires et/ou fondamentaux de la musique traditionnelle américaine (country, folk, etc) sans tomber dans le plagiat pur et simple ni le patchwork caricatural. Un premier bon point.
Par contre la grosse première moitié de The Visitor reste ennuyeuse: guitares seventies et piano larmoyant arrachent trop souvent quelques grincement de dents. Le disque gagne enfin ses galons en délicatesse alors qu’il flirte avec un free jazz élégant (post rockeux?) aux alentours de la 25ème minute. On pense alors que The Visitor est définitivement sauvé et on a raison. Car le meilleur est pour la fin. Et le meilleur ce sont ces quelques notes du piano qui revient à la charge (mais cette fois ci pas uniquement pour servir de guirlande), des notes répétées à l’envie et que l’on croirait échappées de chez Erik Satie, une beauté simple et forte, donc parfaite. Ces égrènements au piano c’est très précisément ce qui vous hante lorsque le disque est terminé. Plus qu’un gimmick, une véritable formule magique. J’y retourne immédiatement.

* pourtant le disque est dédié à Derek, on a du mal à se retenir de penser qu’il s’agit de Derek Bailey dont O’Rourke était un profond admirateur