vendredi 25 juin 2010

Lou Reed / Metal Machine Music





















Voici comment Lester Bangs, dans un article devenu aussi célèbre que le Metal Machine Music de Lou Reed et paru en juin 1976 pour Creem Magazine, définissait ce double vinyle qui presque 35 ans plus tard arrive encore à faire parler de lui : […] « laissez moi vous expliquer que nous avons là un double disque d’une heure et rien d’autre, absolument rien d’autre, que du feedback hurlant enregistré à des fréquences diverses, rejoué sur diverses autres couches de bruit, fendu en deux sur deux canaux totalement séparés, composé de cris perçants et de sifflements parfaitement inhumains et vendu à un public qui y était, pour nous exprimer aussi posément que possible, fort médiocrement préparé ». Metal Machine Music, disque de pseudo musique électronique savante (comprenez musique concrète et bruitiste), n’est pas le premier essai en matière d’expérimentation et de collage par un artiste pop/rock – il y a déjà eu le Revolution 9 de John Lennon sur le Double Blanc des Beatles en 1968 – ni la première tentative d’agression aussi poussée de l’auditeur – le L.A. Blues des Stooges sur l’album Fun House en 1970 – mais c’est bien le premier gros fuck off publié à son corps défendant par une industrie du disque manipulée par l’un de ses plus brillants protégés. L’histoire est très simple* : Lou Reed, encore sous contrat avec RCA, voulait mettre fin à celui-ci pour rejoindre Arista mais devait encore un enregistrement à son label. Ce sera donc Metal Machine Music, imposture totale pour beaucoup, disque génial pour quelques rares autres illuminés. Kevin Shields de My Bloody Valentine prétendait qu’il s’agissait là de son disque préféré de tous les temps tout en admettant qu’il n’arrivait pas à en écouter plus d’une face à la fois. On raconte également que ce disque a rapidement été certifié d’or au Japon, le fait est que Metal Machine Music peut être considéré comme le premier enregistrement de harsh noise, grande spécialité nippone s’il en est. Aujourd’hui Metal Machine Music est voué à un véritable culte, il a donc régulièrement été réédité en CD par RCA qui doit bien y trouver son compte quelque part (la dernière fois c’était en 2003 dans une édition plutôt soignée) et voilà qu’une nouvelle édition en double LP parait sur le label Sister Ray.
Passons rapidement sur le côté « musical » de Metal Machine Music : ce disque n’a aucun intérêt en lui-même. A la réécoute, il n’apparait même pas si bruyant et inaudible que cela, tout juste est il fastidieux et ennuyeux. Depuis, en matière d’extrémisme musical et de sauvagerie auditive, on est allé bien plus loin que ces quatre faces de feedback trafiqué. Ce qui est cependant fascinant, c’est tout ce qui va autour, autrement dit la mise en scène de cette supercherie/anti musique géniale (tout dépend de quel côté on se place). Lou Reed prétendait qu’il y avait de réels bouts de grandes œuvres de musique classique cachés dans Metal Machine Music, que la durée précise (16’01) de chaque face se terminant qui plus est abruptement était là pour interpeler l’auditeur sur la qualité de son travail et le maintenir en éveil. Les notes de la pochette, reproduites ici en intégralité tout comme l’artwork original (Lou Reed est en pleine période post Rock’n’Roll Animal), sont à hurler de rire : le chanteur/guitariste y détaille tout le matériel soi-disant utilisé pour l’enregistrement et dans un texte fumeux tente d’expliquer le pourquoi de ces bandes tout en mettant en garde contre d’éventuels effets secondaires. A l’époque Lou Reed n’en démordait pas : Metal Machine Music était son disque solo préféré, à égalité avec le trop mésestimé Berlin, et du même niveau que les albums du Velvet Underground. Puis il l’a gentiment renié avant d’y revenir et de persister encore et toujours dans cette posture d’escroc, reprenant Metal Machine Music en compagnie du collectif Zeitkratzer – un excellent double CD sorti chez Asphodel en 2007 – et allant même en 2010 jusqu’à donner une série de concerts à travers le monde avec un trio formé avec les multi-instrumentistes Ulrich Krieger et Sart Alhoun pour célébrer « l’un de ses plus grands chefs d’œuvre ». De chef d’œuvre il n’y en a donc pas vraiment, si ce n’est dans la façon alors inédite de présenter les choses, un peu comme l’urinoir de Marcel Duchamp, la pipe de René Magritte ou – plus près des préoccupations musicales, du 4’33 de John Cage dont il est l’exact opposé mais qu’il finit logiquement par rejoindre dans sa mécanique de l’ultime. Lou Reed, finalement dépassé par le cours des évènements, s’est rattrapé comme il pouvait, sa mauvaise blague ayant donné naissance à un véritable culte qu’en toute logique il n’aurait pas pu laisser échapper, fierté de l’artiste oblige. A noter que sur ce nouveau pressage de Metal Machine Music le sillon de la quatrième face est fermé à la fin, relançant indéfiniment la même boucle de saturation : une façon comme une autre pour l’artiste de nous dire qu’il nous emmerde pour toujours ?

Encore une page de pub pour la presse musicale en danger mais ce sera la dernière : cette chronique est aussi parue dans le numéro 16 de Noise mag – à la page 114 si vous voulez tout savoir – disponible dans tous les bons kiosques à journaux et parfois aussi dans les mauvais depuis le 12 juin. Noise mag, le journal qui vous l’enlarge autant que Lou Reed.

* Joseph Goshn, dans sa discographie sélective sur le minimalisme qui suit son essai sur La Monte Young (aux éditions Le Mot Et Le Reste) a l’air absolument pas d’accord avec cette histoire. On peut et surtout on doit lire sa chronique plutôt positive de Metal Machine Music (page 93) tout comme le reste de ce bouquin passionnant.