lundi 17 janvier 2011

Lydia Lunch / 13 13


On ne peut pas nier que l’on ne manque pas de nouveautés question musique – enfin, on parle de nouveautés discographiques, pas vraiment de nouveautés musicales – mais que dire alors des rééditions ? Le marché du disque s’effondre, on le sait, on en entend parler, et voilà donc une bonne aubaine pour certains labels peu scrupuleux : rééditer à tour de bras les fonds de catalogue en leur collant une remasterisation dont l’effet le plus flagrant n’est le plus souvent qu’une augmentation du volume sonore et du niveau de compression, un laminage en règle parfait pour écouter de la musique sous format mp3 au casque ou en bagnole. Dans un autre genre, rééditer un disque moins d’un an après sa parution initiale, avec juste un pauvre CD bonus contenant quatre titres et deux vidéos pouraves est devenu une pratique courante – alors que voilà justement une pratique qui incite toujours et encore à se servir d’un bon vieux peer to peer pour trouver les fameux inédits (qui souvent n’ont de fameux que le nom et la mention qui va bien sur le sticker promotionnel imaginé par un quelconque service marketing). Et je ne vous dirai même pas ce que je pense également des suprêmes rééditions « deluxe », surtout celles qui proposent sur un deuxième CD un mix 5.1 de l’album orignal, en complète contradiction avec l’esprit initial du disque (cf les rééditions des premiers albums de Nick Cave & The Bad Seeds depuis quelques mois).
Mais, fort heureusement, il y a des rééditions qui ont encore valeur de découverte, de témoignage, de documentation et de résurrection. Et c’est précisément le cas de celle de 13 13, l’un des albums historiques et mythiques de Lydia Lunch. L’évènement – puisque il faut bien nommer les choses telles qu’elles sont – est de taille et ce pour plusieurs raisons : premièrement ce disque était devenu très difficile à trouver à des prix décents aussi bien en vinyle (il en existe plusieurs versions, certaines assez crapuleuses comme celle éditée par le label italien Expanded Music avec son pressage tout simplement dégueulasse) qu’en CD (chez Line records, en 1988…!) ; deuxièmement Le Son Du Maquis a promis une réédition en CD mais aussi et surtout en vinyle ; enfin 13 13 est considéré comme l’un des meilleurs disques de Lydia Lunch post Teenage Jesus & The Jerks, coincé entre Queen Of Siam et la paire In Limbo/Honeymoon In Red. Pour ma part 13 13 est même mon album préféré de la Dame, et si ses travaux les plus récents ne se sont pas toujours révélés à la hauteur (la très grosse déception de Big Sexy Noise par exemple), voilà une réédition qui tombe à point nommé pour réaffirmer que oui, c’est bien Lydia Lunch qui commande.





Curieusement 13 13 était le seul enregistrement d’importance de Lydia Lunch à n’avoir jamais été réédité décemment. Tous les autres l’ont été par Atavistic. L’erreur est désormais réparée, Lydia Lunch a elle-même supervisé la chose, par exemple elle a insisté pour que le point ou le tiret compris dans le titre original du disque (donc 13.13 ou 13-13, selon les versions) soit enlevé, estimant qu’il ne s’agissait là que d’une erreur et expliquant que « 13 13, a double negative equals a positive »*. On parlera donc dorénavant et uniquement que de 13 13.
Le disque est bien évidemment le même**. 13 13 est l’enregistrement le plus lourd, le plus trainant, le plus suintant et le plus gothique de Lydia Lunch. Et de loin. Mais pas ce gothique australien et boueux qu’elle a engendré aux côtés du regretté Rowland S. Howard (les excellents Honeymoon In Red et Shotgun Wedding) : 13 13 est un album réellement glacé, combinant une cold wave sale et humide (la basse dopée au flanger de Greg Williams) avec un psychédélisme heavy (la guitare de Dix Denney, échappé des Weirdos !). Le chant de Lydia Lunch a subi le même traitement, aboiements de prophétesse adolescente comme sous calmant, la rage sous une épaisse couche de glace, le feu qui embrase mais n’embrasse pas. 13 13 est un album d’autant plus terrifiant mais captivant qu’il n’explose jamais frontalement, il préfère vous entourer, semble vous enlacer mais surtout opte pour l’asphyxie. Le son, à la fois très mat, comme étouffé, et flamboyant, en pleine combustion, est un modèle d’efficacité sournoise – faire le moins pour obtenir plus. Mais le plus fort sur 13 13 – si on excepte la combinaison instrumentale piano + bruit + reverb de Dance Of The Dead Children ainsi que This Side Of Nowhere et Lock Your Door, titres plus aérés si c’était possible – c’est qu’il ne comporte que des tubes. Bien sûr on pourra préférer Stares To Nowhere et Snakepit Breakdown qui éclairent la première face du disque d’une lumière trouble et sale mais 3x3 (excellente batterie tenue par Cliff Martinez***), l’incroyable Suicide Ocean et le terrifiant et final Afraid Of Your Company sont du même niveau et vraiment tout aussi bons. Question interprétation également, Lydia Lunch ne retrouvera jamais un tel groupe pour l’accompagner, même lorsqu’elle s’acoquinera avec Rowland S. Howard, Nick Cave, Thurston Moore ou Clint Ruin/JG Thirlwell. N’enlevons rien à ce qu’elle enregistrera par la suite avec ces derniers, sa discographie des années 80 étant purement et simplement exempte de tout faux pas : 13 13 est juste son meilleur disque de tous les temps et impossible à dépasser, un point c’est tout.

* mon faible niveau d’anglais me permet tout de même de comprendre qu’il y a du cryptique dans cette affirmation
** on remarquera uniquement la modification de l'artwork avec l'adjonction de ces épines tribales pas du meilleur goût et trahissant quelque peu l'épure d'origine – mais là aussi il s'agit de l'artwork initialement désiré par Lydia Lunch à l'époque
*** notre homme se fera ensuite connaitre en composant et produisant plusieurs musiques de film pour Steven Soderbergh