jeudi 31 mars 2011

Pneu / Highway To Health





















L’annonce de l’enregistrement d’Highway To Health, le deuxième album de Pneu, par Kurt Ballou (de Converge, faut-il encore le rappeler ?) aux Godcity studios en novembre 2010 a de quoi surprendre : qu’est ce que nos deux tourangeaux préférés sont donc allés faire là-bas ? Avaient-ils réellement besoin du savoir-faire indéniable de Mr Ballou pour avoir un gros (gros) son ? Se sont-ils enfin convertis au dieu metal ? Ont-ils trahi la cause du math-rock ? Est-ce qu’ils vont eux aussi soudain réapparaitre couverts de tatouages et de piercings aussi sexys qu’affriolants ? Vont-ils se mettre à chanter voire se mettre à hurler des slogans politiques ? Sont-ils vraiment végétariens ? Ont-ils honteusement touché une subvention du ministère de la culture dans le cadre d’échanges franco-américains ? Et pour finir : ont-ils appris à jouer ? Quel suspense…
Comme pour presque tous les précédents disques de Pneu, c’est Head records qui a balancé le pavé dans la mare. Laquelle ne va pas tarder à déborder tant cet enregistrement s’est révélé être – après quelques écoutes seulement et l’effet persistant encore voire s’accentuant les jours d’après – la petite bombe de précision et de défouraillage intense que l’on pensait pouvoir espérer de la part du duo (mais n’allons pas trop vite). Rajoutons que le label a également eu la très bonne idée de publier Highway To Health simultanément en CD et en vinyle.
Mais reprenons toutes ces interrogations, une à une et dans l’ordre s’il vous plait :
- Qu’est ce que nos deux tourangeaux préférés sont donc allés faire aux Godcity studios, Salem, Massachusetts, USA ? En profiter pour changer d’air et prendre des vacances par exemple, ou peut être également donner quelques concerts aux alentours dans des rades pourris peuplés de mecs ne les connaissant pas/n’en ayant rien à foutre d’eux et en tous les cas visiter du pays – les voyages forment la jeunesse, c’est bien connu et autant en profiter avant que la roue tourne.
- Pneu avait-il réellement besoin du savoir-faire indéniable de Mr Ballou pour avoir un gros (gros) son ? Non mais le groupe aurait eu tort de s’en priver : Highway To Health est la première expérience réelle en studio professionnel pour Pneu et un bon exemple d’équilibre entre clarté et puissance du son d’un côté et folie et abrasivité de l’autre. Kurt Ballou a semble-t-il compris que nos deux amis avaient déjà suffisamment de pression et de rage pour ne pas gonfler davantage sa production ; il a aussi compris que sinon il risquait de trop rigidifier une musique virevoltante et aiguisée comme une boule de nerfs à vif (et lardée de moult accroches mélodiques).
- Pneu – désormais dûment clouté par Kurt Ballou – s’est-il enfin converti au dieu metal ? Alors ça c’est déjà fait depuis fort longtemps avec Chaours, le titre plus mega doom que mega boom de Pneu et que l’on peut retrouver sur le 12’ que le duo a splité l’année dernière avec les excellents Nervous Kid.
- Les deux Pneu ont-ils trahi la cause du math-rock ? La trahison aurait été que Pneu mette de l’eau dans son vin ou du tabac dans sa weed or il n’en est rien. La fureur de Pneu est toujours là, difficile d’en réchapper
- Est-ce que les membres de Pneu vont eux aussi réapparaitre couverts de tatouages et de piercings affriolants ? A ma connaissance non. Mais attendons donc de les revoir en concert*. Et puis, aux dernières nouvelles, JB (le batteur) fait toujours de la sérigraphie, ce qui bien sûr n’a rien à voir. Il s’est même occupé d’emballer le DVD qui retrace la fameuse tournée de la Colonie de Vacances et qui sera très bientôt disponible (featuring Marvin, Papier Tigre et Electric Electric).
- Vont-ils se mettre à chanter voire se mettre à hurler des slogans politiques ? Sur Highway To Health Pneu a eu la très bonne idée d’inviter Eugène Robinson d’Oxbow pour interpréter un titre, le bien-nommé Knife Fight : cela fait bien longtemps que l’on n’avait pas entendu Eugene couiner de plaisir avec une telle violence punk, façon supplice haïtien du collier – Knife Fight est ce que l’on appelle une collaboration réussie, de nos jours ça ne court pas les rues non plus.
- Sont-ils vraiment végétariens ? L’un des meilleurs titres d’Highway To Health s’intitule Choux Crane : en plus voilà deux jeunes gens d’une politesse exemplaire.
- les Pneu ont-t-ils honteusement touché une subvention du ministère de la culture dans les cadres d’échanges franco-américain ? OUI, bien sûr, c’est écrit en toutes lettres dans les dossiers de l’affaire Cluestream.
- Et enfin, le duo a-t-il appris à… mieux jouer ? Pas la peine : Pneu savait déjà en foutre de partout et dans tous les coins. Mais sur Highway To Health le groupe le fait avec davantage de précision encore. Cela ne sert à rien d’être un as du double tapping à douze doigts et un maitre des roulements de caisse claire de quelques nanosecondes pour finir dans le mur de la démonstration pure et simple or le nouveau disque du duo, passé ce sentiment appuyé d’en prendre plein la vue et les oreilles, persiste avec l’impression, meilleure encore, d’en prendre plein la gueule.












* Pneu est en tournée dans le monde entier en ce moment même ou presque avec un passage au festival Avatarium qui se déroulera du 13 au 16 avril principalement au Musée de la Mine de St Etienne ainsi que dans d’autres lieux de la ville.
Le 16 avril Pneu y jouera donc en compagnie d’Electric Electric – de la part de qui on attend avec une impatience démesurée la suite d’un premier album incroyable de plus d’un point de vue –, les géniaux détraqués de Don Vito – une chronique d’album et un report un peu moins élogieux – ainsi que Chris Carter et Casey Fanny-Tutti (une moitié de Throbbing Gristle).
Le festival Avatarium c’est beaucoup de musique(s) mais aussi des expos, des performances, du théâtre, etc – n’hésitez donc pas à consulter le programme.

mercredi 30 mars 2011

Le Sonic a cinq ans !
















Si Stéphane et Thierry avaient été davantage superstitieux, ils n’auraient peut être pas choisi un 1er avril pour ouvrir le Sonic, il y a cinq ans, dans le même mouvement post Pezner et post [kafé mysik] qui quasiment au même moment en avait conduit d’autres à fonder Grrrnd Zero. Marre des concerts à l’arrache dans des lieux pourris ou des squats à l’espérance de vie malheureusement limitée.
Cinq ans plus tard, malgré les galères, le Sonic est toujours là, pouvant s’enorgueillir de centaines de concerts – de mémoire : Oxbow, Neptune, Psychic Paramount, Enablers, Savage Republic, Skull Defekts, Extra Life, Heliogabale, Monarch!, Saviours, Grey Daturas mais aussi Phill Niblock, Aki Onda, Borbetomagus, KK Null, Zbigniew Karkowski, Scorn ou Illusion Of Safety – et accueillant également des soirées (organisées par Infect, BRK, Jarring Effects, Middle Gender, etc) car les soirées c’est vraiment le nerf de la guerre, permettant souvent de refinancer les pertes des concerts.
Aujourd’hui le Sonic reste une alternative séduisante au bizness purement commercial de la musique. Aux détracteurs de la salle qui ne comprennent pas comment on peut oser espérer gagner sa vie en organisant et/ou accueillant des concerts tout en défendant une vision personnelle de la musique, on pourrait en profiter pour leur poser la question du bénévolat des musiciens (par exemple). Vivre fatigue, alors autant le faire en s’amusant.


















 


Pour fêter son cinquième anniversaire le Sonic a donc prévu une grosse semaine de festivités, détaillée ci-dessous :
- vendredi 1er avril c’est la boom des cinq ans avec DJs et tout ce qui va bien (gratuit)
- samedi 2 avril : Awhat ?, Agathe Max et Sachiko – et attention mesdames et messieurs, ce concert est gratuit
- mercredi 6 avril : Crocodile et Triviale Beauté - 8 euros
- jeudi 7 avril : Electricity In Our Homes, Prypiat et Réveille - c’est prix libre
- vendredi 8 avril : Soirée N’Zeng In Da Brain #3 (avec des bouts du Peuple De L’Herbe dedans) - 5 euros
- samedi 9 avril : Guerre Froide, Le Parti, Rank et une soirée Dark Eighties - 7 euros
Longue vie au Sonic et à l’année prochaine.

mardi 29 mars 2011

Report : Helen Money, Kanine et Raymond IV au Sonic
























Pendant qu’une toute petite partie repue de l’humanité découvre en direct devant son écran de télévision ou d’ordinateur que la radioactivité c’est dangereux, que la guerre c’est mal et que la vie en bleu c’est pas vraiment ça, quelques énergumènes complètement dénués de tout sens moral et du moindre sens éthique décident malgré tout de continuer à faire de la musique, à organiser des concerts ou – ceux-là sont les pires – à assister à ces mêmes concerts et ce dans le mépris le plus total pour l’effondrement généralisé du monde qui les entoure et malgré aussi un passage à l’heure d’été d’autant plus saugrenu qu’il s’est révélé malheureusement consécutif à deux nuits (presque) blanches ainsi qu’à une biture carabinée.
Une envie irrépressible de musique, cela ne se commande pas mais cela ne s’ignore pas non plus. Aussi la valeureuse et désormais vénérable association Partage & Equité, spécialisée dans le soutien intensif de ses ouailles en matière de cholestérol et d’hyperglycémie, s’est donc fendue d’un programme dominical à faire sortir de sa tanière l’amateur de gentilles bizarreries expérimentales. Non, « gentilles » n’est pas ici employé de façon péjorative : voilà une façon comme une autre pour dire que ce soir il n’y a eu aucune trace d’agression hypersonique – les harsheurs on les aura.
















Raymond IV joue en premier. Je ne l’ai pas revu depuis cette première fois, en première partie de Chevreuil et pendant laquelle il m’avait fait forte impression. Petite déception au départ : le garçon va jouer sans les projections au sol qui en ce mois de novembre avaient illuminé son concert. La déception est malgré tout de courte durée, notre ami Raymond se montrant parfaitement capable de se passer d’un tel subterfuge optique.
Je vous refais un bref descriptif de son installation ? OK. Raymond joue donc au sol et entouré de multiples pédales d’effet (du delay…) et de sa guitare. Il gratte quelques cordes, monte des boucles, superpose tout ça, joue avec les masses sonores, les volumes, les déplacements, les déséquilibres et les répétitions. C’est du drone alors ? Non pas vraiment : la musique de Raymond IV pourrait faire penser à celle de Dirk Serries/Fear Falls Burning (par exemple) sauf qu’il ne s’enferme jamais très longtemps dans un même schéma et accentue volontairement les mouvements – quitte parfois à se planter ou à tomber dans l’approximation. Après le drone qui granule, le drone qui ronronne et le drone qui bruitise, Raymond IV a inventé le drone qui tintinnabule et qui papillonne aux quatre vents – sans ironie aucune : la recette est perfectible mais les effets sont déjà là.
















Kanine est le nouveau projet de Franck Gaffer et comme à chaque fois avec ce bouillonnant garçon la curiosité nous titille de plus en plus et notre enthousiasme s’en retrouve de moins en moins démenti : que ce soit avec Loup, Hallux Valgus, Kandinsky, Neige Morte, en trio avec Weasel Walter et Mario Rechtern ou en solo sous le nom de Sheik Anorak, ce garçon ne déçoit pas souvent et semble aller toujours plus loin dans son désir de découvertes et sa soif d’expériences.
Kanine, qu’est ce que c’est ? Un duo entre Franck (batterie uniquement) et Arthur, au saxophone ténor. Voilà bien le premier projet de monsieur Gaffer auquel j’assiste et dans lequel il n’a pas recours à l’électricité ni à toutes les manipulations et autres effets que techniquement elle permet de nos jours. Kanine est donc un duo de free jazz s’inscrivant dans une certaine tradition née dans les années 60 et amplifiée dans les années 70, celle d’un free à la fois écorché-vif et libertaire – Albert Ayler, Peter Brötzmann, etc. Autant dire que le projet est plutôt casse-gueule.
L’originalité ce n’est pas ce qui caractérise Kanine, l’excellence non plus – pour cela il faut se ruer sur Interstellar Space du duo John Coltrane/Rashied Ali – mais on sait bien également que le but de Kanine n’est pas de rivaliser avec de grands anciens inaccessibles. Non, le but de ces deux musiciens c’est d’improviser ensemble, d’y prendre du plaisir, de partager et de le communiquer, ce que le duo arrivera très bien à faire après un petit tour de chauffe. Ce soir c’était le tout premier concert de Kanine et espérons qu’il y en aura d’autres.
















Après la découverte de l’album In Tune d’Helen Money, une seule question s’imposait : allais-je autant aimer la violoncelliste en concert ? Tout l’album va y passer, aussi bien les titres calmes et enveloppants (Untitled) que les plus virulents (In Tune) sans compter cette reprise assez drôle et très bien menée de Political Song For Mickael Jackson To Sing des Minutemen. Quel que soit le registre emprunté, Helen Money y excelle, se servant bien évidemment de boucles et de samples pour reproduire les structures et les arrangements de ses compositions. Une seule constance pendant tout le concert : l’intensité du jeu de la dame, débout sur scène, arcboutée sur son instrument, semblant vouloir le faire ployer, le pinçant, le tordant, le triturant ou au contraire le caressant toujours avec la même netteté et fermeté dans les gestes. Un volontarisme contrastant étrangement avec les interventions parlées d’Helen Money entre les titres, d’une toute petite voix, à peine audible, avec un petit sourire pour, semble-t-il, cacher le maximum de choses, sauf le plaisir de jouer ce soir.
Ce rapport très physique d’Helen Money avec son violoncelle, on le perçoit encore plus dans les sonorités qu’elle arrive à tirer de son instrument – si la regarder jouer était fascinant, l’entendre tout simplement en fermant les yeux l’était tout autant. Tremblements, grincements, grondements, éclats et saturation mais également veloutés, ondulations, oscillations, courants d’air chaud, volutes, ressacs alternent et s’entremêlent – un son riche, vibratoire, profond, émouvant… Ce fut vraiment un beau concert.

[des photos du concert à regarder (ou pas) ici]

lundi 28 mars 2011

x25x / Distortion Of Life


Je ne comprendrai sans doute jamais pourquoi les x25x ne font pas un peu plus parler d’eux. Pourtant le groupe tourne beaucoup – il excelle sur une scène, allez donc voir ces trois garçons s’ils viennent à passer près de chez vous – et publie des disques qui vont sans cesse en s’améliorant. Distortion Of Life est le troisième et le dernier album en date de x25x, sorti fin 2010 dans la plus totale discrétion mais surtout en totale autoproduction sur Lofi records, le propre label du groupe (et en format LP + CD s’il vous plait, le vinyle est tout blanc). Un vrai disque de punk rock, brut et sale mais avec une superbe et une gouaille qui font définitivement plaisir à entendre.





















On admet que la (belle) pochette de Distortion Of Life peut être légèrement trompeuse, presque trop arty, mais elle va pourtant dans le sens d’une petite évolution dans le son et la musique de x25x : le groupe pratique toujours ce mélange de punk basique et de garage lourd or pour la première fois les influences noisy prennent davantage de place, ce qui n’est évidemment pas pour nous déplaire. Les fans historiques du groupe peuvent tout de suite arrêter de râler et se remettre à décapsuler leur prochaine bière car El Vice, manutentionnaire de Rickenbacker, n’a fort heureusement rien changé à sa façon de jouer, de lancer des lignes de basse écrasantes et sans pitié, à vous donner envie de remuer du popotin – ou tout ce que vous voudrez. Joss, son petit camarade à la batterie, forme avec lui et comme au premier jour ce jeune couple heureux et tapageur, bruyant et prédateur – une bonne rythmique, condition nécessaire (mais toutefois pas suffisante) à tout groupe de punk qui veut respecter les tables de la loi de la foutraquerie musicale.
Le plus gros changement se situe donc au niveau de l’orientation plus fine de l’écriture, à une exception près sur Distortion Of Life les chansons de x25x ne dépassent pas les trois minutes mais le groupe a le temps et donc le talent d’y mettre sans jamais s’attarder tous les ingrédients qui font les bonnes compositions : riffs bagarreurs qui accrochent, lignes de chant de Lee Zeirjick qui ne répondent jamais aux abonnés absents, mélodies superbement catchy, structures simples et efficaces (couplet/refrain) et, parfois même, un solo de guitare se dresse fièrement sur l’autel puis vous crache trois notes et deux arpèges à la gueule. Niveau son, tout est plus lisible et franc sans pour autant renoncer au côté grésillant et espiègle du garage – Nicolas Dick était à l’enregistrement, il joue aussi de la guitare sur deux titres – et on apprécie d’autant plus la fureur d’un groupe qui n’oublie jamais d’être fantasque même si sa musique dégage également une certaine noirceur (Ganesh & Kaly, Woogie ou You Know What I Mean). Au delà du rentre dedans et de l’attaque frontale en formation serrée typique de tout power trio qui se respecte, passé l’encaissement à sec de ce surprenant alliage d’épaisseur et d’efficacité virevoltante et tranchante, on se surprend à découvrir beaucoup plus de finesse et de profondeur que ce que l’on pouvait imaginer. Les préjugés c’est mal.

dimanche 27 mars 2011

Eliane Radigue / Jouet Electronique - Elemental




















Au dos de la pochette de ce LP on découvre, outre un texte extrait de conversations avec le musicien/compositeur Manu Holterbach, la photo d’une belle jeune femme marchant dans la nature. Cette jeune femme c’est Eliane Radigue. Elle est surtout l’une des plus extraordinaires compositrices de musique sur bandes du XXème siècle. Musique qu’elle a essentiellement composée à l’aide d’un synthétiseur modulaire ARP 2500. Finalement peu connue du grand public et auteure d’œuvres certes peu nombreuses qu’elle a mis des années à composer – citons seulement La Trilogie De La Mort et Adnos* – mais absolument essentielles et d’une beauté saisissante, Eliane Radigue est restée une femme de l’ombre, admirée voire adulée d’un trop petit nombre.
Après des rééditions publiées en 2010 par Important records, rééditions d’un intérêt plus mineur que les œuvres déjà citées (il s’agissait des pièces Vice Versa et de Triptych) c’est au tour du label italien Alga Marghen de rééditer uniquement en vinyle et avec le concours du Musée d’Art Moderne de Paris deux autres pièces d’Eliane Radigue : Jouet Electronique datant de 1967 et Elemental de 1968. A cette époque Eliane Radigue était encore la toute jeune collaboratrice de Pierre Henry, alors en pleine compositions sur l’Apocalypse De Saint Jean. Son travail consistait à classer et archiver selon les instructions du maître l’incroyable banque de données sonores dont il se servait pour composer. Eliane Radigue a commencé à bidouiller dans son coin pendant son temps de libre, histoire de se libérer l’esprit après de dures journées d’un travail exigeant.
Jouet Electronique
est une pièce basée uniquement sur le feedback et le larsen** dont elle a beaucoup appris aux côtés de Pierre Henry mais qu’elle a appris à maîtriser et à codifier toute seule. Jouet Electronique propose ainsi plusieurs interprétations sonores d’un même matériau. Elemental est un travail en quatre parties sur les éléments naturels (eau, feu, air, terre mais aussi leurs variantes : pluie, vent, etc), une évocation parfois très concrète et un peu primitive des dits éléments qu’Eliane Radigue a enregistrés elle-même du côté de Nice où elle vivait alors, première tentative de field recordings ensuite manipulés sur bande. Dans les deux cas on est encore loin de la teneur formelle des grandes œuvres à venir d’Eliane Radigue mais on tient là les fondements – passionnants – de ce qui se révèlera être une personnalité bien singulière. Jouet Electronique/Elemental dépasse ainsi l’intérêt purement historique d’une simple réédition d’archives.












Vu le faible tirage de ce LP (300 exemplaires, déjà épuisés, mais le label aurait déjà prévu un nouveau tirage) ce n’est pas ça qui donnera à Eliane Radigue un peu plus de reconnaissance publique, reconnaissance qu’elle mérite pourtant amplement. Par contre la compositrice recevra bientôt un prix honorifique, le « Quartz Pierre Schaefer », pour l’ensemble de son œuvre. Les Quartz sont une manifestation annuelle et internationale dont le but avoué est de fédérer toutes les variantes des musiques électroniques – des plus expérimentales et savantes jusqu’au dance-floor – afin de les promouvoir et d’assurer leur essor. L’édition 2011 de cette grande messe œcuménique du temps présent (?) se déroulera du 1er au 3 avril au théâtre du Trianon à Paris. Le président en sera Carsten Nicolai aka Alva Noto et à noter un concert gratuit d’ANBB (Alva Noto + Blixa Bargeld) le 30 mars à la Cigale, toujours dans le cadre des Quartz. Pour mémoire, la chronique de Mimikry, premier album de ANBB et l’un des musts de l’année passée.
* la première est régulièrement rééditée par XI records, le label de Phill Niblock, le second, initialement publié chez Table Of The Elements, est épuisé depuis très longtemps ou alors uniquement trouvable à des prix insupportablement élevés auprès des spéculateurs du net
** comme un couteau qui scie les oreilles m’a dit un jour la plus jeune de mes filles

samedi 26 mars 2011

Report : Ntwin, Poino et Don Vito à Grrrnd Zero






















Jeudi soir, Grrrnd Zero. Rendez-vous pour le concert noise de la semaine – voire du mois ? – avec une sacrée belle affiche réunissant Ntwin, Poino et Don Vito. En résumé ce concert c’est un peu comme si on était déjà à la fête du slip, mais pile-poil un mois avant le Fuckfest et le début d’un printemps qui s’annonce chaud comme la braise. On vous aura prévenus. Par contre, si vous ne vous sentez que très moyennement concernés par tout ça, on peut très bien le comprendre également mais dans ce cas là, ce n’est pas la peine de lire tout ce qui va suivre.
Ne dérogeant aucunement à ma discipline de fer ni à mon impeccable hygiène de vie, c’est non sans un certain plaisir mêlé à une impatience grandissante que nous débarquons moi et mon vélo exactement à l’heure indiquée sur le flyer mais dans un Grrrnd Zero encore quasiment désert : comme d’habitude me dépêcher n’aura servi à rien, mis à part me permettre de me désaltérer la glotte et me houblonner l’esprit au bar pour passer le temps, puisque le concert ne commencera que bien plus tard. L’organisation du jour a en effet attendu qu’un peu de monde arrive, bien consciente que l’atmosphère respire déjà l’été, les phéromones, le soleil, l’apéro en terrasse, la culture domestique du chanvre, la salade de riz, les barbecues entre amis et la branlitude des beaux jours – tout le monde est désormais comme qui dirait passé à l’heure estivale. Finalement, la soirée atteindra une audience très honorable.















En tête de peloton, les marseillais de Ntwin sont les premiers à jouer. Après tout, qu’ils soient marseillais on s’en fout un peu, tout comme le fait que ce soit une fille qui joue de la batterie (et même que des fois, elle chante). Je vais vous faire grâce également des jeux de mots vélocipédiques qu’un camarade toujours un brin moqueur et mal attentionné m’a soufflés sur le nom du groupe juste avant qu'il ne démarre son set – les blagues foireuses ce n’est de toute façon vraiment pas le genre de la maison.
J’étais donc bien content de découvrir Ntwin sur scène, l’album sans titre du trio ayant été l’une des meilleures découvertes de l’année 2010. Passés tous les fantasmes et autres idées préconçues que l’on peut se faire à propos d’un groupe dont on a déjà beaucoup écouté le disque, je découvre trois jeunes gens installés en ligne tels des natifs de Chicago et semblant bien maîtriser leur sujet. J’admire la fluidité de la basse jouée aux doigts lors de nombreux passages et d’une manière générale j’apprécie cette rythmique charpentée et efficace.
Efficace, la musique de Ntwin l’est tout autant, elle perd un peu de l’étrangeté et des dérèglements que l’on avait pu découvrir sur le disque mais elle gagne en angularité/tranchant sans rien perdre de son aisance. Ntwin sait surtout changer de braquet, capable d’alterner un titre plutôt dans une lignée Chokebore avec un gros défouraillage bien charnel. Voilà un groupe vraiment original et en même temps particulièrement posé. Et que le chant soit plus monocorde et moins diversifié que sur les enregistrements n’est pas si gênant. Détail que ne gâche rien, je découvrirai en fin de soirée, après que tous les groupes aient tous fini de jouer, qu’en plus ce sont des gens charmants. A la prochaine.















Découverte de ce début d’année, Poino et son noise rock de malades qui réussit l’exploit à la fois d’aller droit au but et d’en foutre de partout. De vous assener des riffs carnassiers sur des rythmiques imparables puis de prendre sans hésiter des chemins de traverse – qui a dit US Maple ? Aucune déception ce soir puisque les anglais vont livrer un set intense à la hauteur de Moan Loose, leur tout premier album et déjà l’un des disques de ce début d’année (de cette année tout court ?). On espérait passer un bon moment mais Poino a nous permis bien plus que ça : emmené par un chanteur/guitariste capable de virer complètement foutraque en quelques secondes, le groupe va provoquer un véritable carnage.
Mais comme – encore une fois – un bon groupe ne serait rien sans une bonne rythmique, on ne peut que remarquer ce batteur incroyable et à lunettes, lunettes qu’il n’enlèvera pas une seule fois pas plus qu’elles ne lui glisseront du nez. Nous sommes plusieurs à nous demander comme ce type fait pour survivre à des cadences aussi inhumaines sans broncher : il a pourtant l’air tout ce qu’il y a de plus normalement constitué, avec un taux de sudation dans la moyenne autorisée, tout en bénéficiant d’une santé mentale apparemment équilibrée.
Mais plus le concert avance et plus il joue comme un fou tout comme Poino frôle au plus près le dérèglement psychopathe. De son côté le guitariste nous fait une démonstration de guitare sans les mains : son instrument repose en équilibre sur sa tête or en fait il n’en joue pas mais se sert des micros de son instrument pour hurler dedans. Après réécoute de l’album il me semble avoir reconnu le titre Code Brown mais la version qu’en a donné le groupe en concert était tellement hallucinante et intense qu’on a frisé le traumatisme et l’apoplexie. Poino : un excellent groupe sur disque mais également et surtout un excellent groupe de scène – j’ai déjà envie de les revoir et ne peux m’empêcher d’envier les parisiens qui eux en auront l’occasion ce samedi 26 mars au Rigoletto. Surtout ne les ratez pas.















Don Vito a la lourde tâche de succéder à Poino. J’ai suffisamment le cœur enflammé et les yeux embués d’étoiles pour avoir ma dose de bruit et de bonheur. Alors quelque chose me dit que les allemands vont avoir du mal à remonter la pente de mon cœur d’artichaut. C’est exactement ce qui va se produire : le groupe fut en tous points excellent et batailleur mais rien n’y a fait. L’effet de surprise n’étant également plus de mise – ce qui n’empêche pas qu’il faut au moins une fois dans sa vie avoir vu Don Vito en concert – c’est avec un certain recul que j’observe le trio balancer sa noise joyeuse et festive à un public toujours plus chaud et agité. Or, le recul avec ce genre de musique, c’est sûrement ce qu’il y a de pire et c’est surtout ce qui m’empêchera de gouter à la folie pourtant d’ordinaire communicative d’un groupe qui s’y connait pour faire danser et transpirer les foules.
Tout comme les disques de Don Vito dépassent rarement les dix minutes – une minute par titre – le set des allemands est aussi court qu’intense mais je décroche, préférant regarder de loin notre belle jeunesse insouciante et probablement sacrifiée se trémousser entre les passages irradiés au disco-groove pailleté et les nombreuses torpilles explosives du groupe. C’était un sacré spectacle, croyez moi, et malgré tout je me réjouis de pouvoir bientôt revoir Don Vito en concert, ce sera dans le cadre du festival Avatarium de Saint Etienne.

[quelques photos du concert à voir ici]

vendredi 25 mars 2011

The Forks / self titled


Entre les deux yeux ? Même après plusieurs écoutes en bonne et due forme, l’album des Forks ne me disait rien du tout. Il ne me parlait pas et je n’y entendais rien, dans tous les sens du terme.
J’ai alors pratiqué l’expérience qui s’imposait, laissant le disque en mode repeat toute une matinée et même plus, approximativement depuis la fin du petit déjeuner jusqu’à l’heure de la sieste, en tout début d’après midi. Pendant ce temps là j’ai fait la poussière sur les étagères, j’ai plié du linge, lavé la vaisselle, constaté sans fatalisme sur le site internet de Pole Emploi qu’il n’y avait toujours pas de travail pour moi, j’ai balayé par terre, j’ai préparé à manger pour toute la famille, à 11 h 30 je suis allé chercher mes filles à l’école (le disque est resté dans la platine, jouant toujours), de retour nous avons mangé, nous avons ri, j’ai ramené mes filles à l’école et, à nouveau seul, après avoir bouquiné une bonne demi heure un livre trop didactique consacré à la musique (pour changer un peu), je me suis paresseusement levé de mon fauteuil et j’ai arrêté le disque – je n’avais toujours rien entendu de The Forks qui pas une seule fois n’avaient réussi à attirer mon attention et à me détourner de mes précieuses petites activités. Cet album sans titre est directement allé sur une pile à hauteur variable, celle où s’accumulent les disques pour « plus tard ». C’était l’heure de piquer un petit somme bien mérité.




















Plus tard.

Alors que j’essayais de réécouter cet album, je me suis mis à chercher sur internet des informations sur The Forks : Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? D’où viennent-ils ? Toutes ces informations qui ne servent à rien mais que l’on écrit quand même pour meubler un peu une chronique dans laquelle on n’a rien à raconter.
Puis j’ai retrouvé la feuille avec la biographie du groupe, cette feuille normalement jointe avec tous les envois promotionnels de disques. J’y ai lu un texte pompeux qui parle d’Art, d’instant présent, de spontanéité et d’expérience, un texte auquel je n’ai rien capté et qui m’a emmerdé. Normal, je ne suis pas Critique d’Art non plus. J’ai réécouté le disque une dernière fois, réessayé cette musique pas désagréable mais avec vraiment rien d’extraordinaire, puis j’ai relu la bio, je n’y ai toujours rien compris et pendant ce temps là les enceintes diffusaient l’un des rares passages du disque que j’aime bien, un passage très calme, très post-rock, sur lequel The Forks sont plutôt bons – parce que dès que le duo tente de s’énerver, cela tourne un peu à la catastrophe – et puis j’ai tout arrêté. J’ai rangé le disque dans sa pochette cartonnée. Je ne suis vraiment pas très sûr de le réécouter à nouveau.

jeudi 24 mars 2011

Big'n / Spare The Horses






















J’écoutais à la radio une chroniqueuse musicale vanter avec force détails enthousiastes les mérites du quatrième et nouvel album d’un gang de new-yorkais portant converses et mèches rebelles tout en précisant qu’il y a dix ans ce même groupe avait beaucoup fait pour remettre les guitares à la mode – pourtant l’extrait musical proposé tout de suite après était juste lamentablement bourré de synthétiseurs. Mon incompréhension pour ce genre de démonstration concernant des musiques aussi excitantes qu’une soirée télé-plateau repas-pizza-bière passée avec bobonne le dimanche soir est incommensurable. Mais – et c’est rassurant pour ne pas dire plaisant – l’incompréhension doit sûrement être mutuelle : si être élitiste c’est s’opposer à la béatification populaire contrainte et forcée de la soupe marketée et sans passion, alors vive l’élitisme. Mais ce n’est pas le plus important. Car l’avantage des modes c’est qu’elles finissent toujours par passer.
Et c’est aussi ce qui est réellement frappant à l’écoute des quatre titres de Spare The Horses, le EP que Big’n vient d’enregistrer en ce mois de janvier avec l’aide de Greg Norman aux Electrical studios*. Big’n n’a peut être pas eu le même retentissement que certains de ses collègues de Chicago (Jesus Lizard, US Maple et Shellac) mais pendant cette première moitié des années 90, le groupe faisait vraiment partie des meilleurs. Et en 2011, Big’n est toujours dans le peloton de tête. Rien n’a changé. Les quatre ont recommencé les choses exactement là où elles s’étaient provisoirement arrêtées. Dans la droite lignée de leurs deux fantastiques albums, Cutthroat (1994) et Discipline Through Sound (1996). Ou plutôt quelque part entre les deux, alliant la méchanceté du premier et le vice du second. Tout est dit. La mode chez Big’n, cela n’existe pas.
La leçon d’authenticité démarre avec un Assholes & Elbows qui fait plus que rassurer : le son est bien là, cette basse emmanchée gros calibre, la frappe sèche de la batterie et la guitare qui taillade et charcle dans le vif. Mais ce que l’on préfère en fait c’est le chant. Après avoir broyé ses mots sur le couplet, Will Akins hurle comme un possédé sur le refrain et il hurle encore mieux qu’il y a quinze ans. A l’opposé du disque, Seaworthy vous prend en traitre avec son rythme lent, sa pesanteur appuyée, sa puanteur qui monte, ce gimmick de guitare qui fait tout pour vous torturer doucement et encore une fois Will Akins qui nous fait une démonstration de psychopathe. Après avoir éructé et essuyé des larmes d’acide pendant presque tout le titre, l’occasion est trop belle pour lui de se lâcher sur sa toute fin. Encore un grand moment.
Entre Assholes & Elbows et Seaworthy : deux autres perles noires. Long Pig est le titre le plus basique du disque, un titre tel que Big’n les affectionne tant – mais également le genre de titre qui nous fait comprendre pourquoi Big’n a tellement excellé à reprendre TNT et Dirty Deeds Done Dirt Cheap d’AC/DC – avec un changement d’humeur incroyable à la fin, non Long Pig n’est pas aussi basique qu’il semblerait. Enfin, Like A Killer est peut être la meilleure composition du disque et sûrement aussi l’un des meilleurs titres de Big’n tout court. Le groupe y sublime son noise rock avec une rage folle, appuie d’un seul bloc et ne lâche rien. A personne.

Spare The Horses envahira le monde le 2 mai sous la forme d’un joli vinyle 10 pouces. Africantape qui avait déjà en début d’année publié Dying Breed, une excellente compilation de singles, EPs et raretés de Big’n, remet donc ça. Entretemps Big’n sera venu en France pour effectuer trois concerts exclusifs – le 28 avril à Rennes avec Papaye et Oxes, le 29 à Paris avec les deux mêmes et surtout le 30 avril au Grrrnd Zero de Lyon dans le cadre de l’immanquable festival Africantape. Vous pouvez retrouver tout le détail de ces dates et bien d’autres encore ici.

* et non pas enregistré par Steve Albini comme j’ai pu le lire dans un encadré page 85 du n° 3 de (new) Noise mag – virez-moi donc ce journaliste amateur aussi incompétent que mal renseigné

mercredi 23 mars 2011

Helen Money / In Tune























Alors on va tenter de résumer les choses le plus simplement du monde : Helen Money – Alison Chesley de son vrai nom – est une violoncelliste américaine qui joue toute seule, fait des boucles, bidouille avec des effets, superpose à l’envie des motifs, construit des structures non dénuées d’un certain minimaliste. Elle a publié au moins deux disques dont In Tune, chez le très expérimental mais très recommandable Table Of The Elements. Voilà. Tout ce descriptif vous rappellera sûrement quelque chose. Et bien vous avez tort. Helen Money n’est absolument pas un énième avatar de la musique répétitive post La Monte Young/Tony Conrad. Il ne lui arrive pratiquement jamais de citer ces deux grands maîtres de la musique américaine contemporaine. Elle préfère jouer de son violoncelle avec toute l’énergie et même parfois toute la rage que d’autres mettent en œuvre pour faire vibrer une guitare. Souvent bien saturée, la guitare. Et puis surtout Helen Money nous offre une musique à la beauté singulière et intrigante.
In Tune propose ainsi un panorama sonore appréciable et éloquent, d’une richesse rarement atteinte par une musique instrumentale interprétée par une seule personne, fut-elle aidée par une armada de pédales d’effet et une loop station. On en vient à se demander fugitivement si la dame n’a pas un peu biaisé, profitant des technologies modernes d’un studio hi-tech et des facilités de pro-tools pour mettre sa musique en boite. La réponse est définitivement non : In Tune a été enregistré à Chicago dans le studio entièrement équipé en analogique d’un ingénieur du son à lunettes et obsédé par la taille et l’emplacement idéal de ses micros d’origine tchèque*. Un type avec lequel il ne faut surtout pas déconner dès qu’il s’agit de qualité sonore et d'enregistrement. On comprend alors parfaitement d’où provient la sécheresse alliée à la profondeur des vibrations du violoncelle d’Helen Money. On n’hésite plus lorsque la saturation entre en jeu (MF et Waterwalk, curieusement sous haute influence PJ Harvey, In Tune, You Are Beautiful ou Political Song**, ce dernier marquant la rencontre improbable entre Suicide et The Ex …).
Le violoncelle est capable des plus belles sonorités qui soient, on en est depuis longtemps persuadés, et les traitements que lui inflige Helen Money, loin de le dénaturer entièrement, le font donc passer dans une autre dimension. Tout en gardant un pied dans l’épure et la beauté originelle de sa nature profonde : Untitled, Sagrada, Too Heavy et le très beau Everything I Am Thinking sont là pour nous rappeler toute la force et la passion quasi humaines d’un instrument réputé difficile à dompter. Avec In Tune Helene Money a opéré bien plus qu’une tentative réussie de modernisation de quelques vieux schémas musicaux – que ce soit « classiques » ou « rock » ou je ne sais quoi – et n’a pas non plus uniquement pratiqué la greffe de l’un sur l’autre : il y a des jours où en fait on n’est pas très loin de penser qu’elle a découvert quelque chose.












Pourquoi parler maintenant d’un disque publié il y a presque deux ans, fin 2009 ? Et bien Helen Money – après un petit périple helvète du 19 au 25 mars – sera en concert au Sonic de Lyon le dimanche 27. Sur la même affiche il y a également le toujours très rêveur Raymond IV ainsi que Kanine, c'est-à-dire le deux cent vingt quatrième projet de Franck Gaffer (Sheik Anorak, Hallux Valgus, Loup, Neige Morte, Kandinsky, SoCRaTeS, etc). La beauté visuelle de l’affiche nous indique également très clairement que ce concert est une production Batifolage & Cétacés. A découvrir, qu’on se le dise !
Helen Money assurera également la première partie de Shellac sur les dates de la tournée que le groupe effectuera au printemps prochain (Marseille et Toulouse).

* bien que ce ne soit pas Albini qui ait fait la prise de son mais Greg Norman
** en fait une reprise des Minutemen : Political Song For Michael Jackson To Sing

mardi 22 mars 2011

Poino / Moan Loose






















J’adore ces courants d’air putrescents, ces odeurs de violence crasse, ces gueulantes parfois maladroites, ces bourrasques de bruits, ces éclats de saturation, ces déflagrations qui vous secouent la moelle épinière : il nous en vient de plus en plus, de partout et parfois même de manière totalement inattendue (dans le cas qui nous occupe ici : l’Angleterre). On va laisser aux débatteurs professionnels l’immense joie de polémiquer sur la pertinence de qualifier ou pas le regain d’intérêt actuel et persistant pour les guitares saturées et/ou tordues de revival nostalgique pour se réjouir de manière plus prosaïque de cette déferlante supposée – la nostalgie c’est soit un truc de vieux qui ne veut pas admettre que le temps a passé, en gros du fatalisme hormonal, soit un truc de jeunot qui n’accepte pas d’être né à quelques millions d’années-lumière de ze right place to be, banal complexe de castration refoulé quoi.
Parce qu’à dire vrai, je m’en tape le bourrichon de savoir vraiment s’il y a plus de groupes qu’auparavant qui ont envie de mordre mais je ne peux pas m’empêcher non plus de me réjouir à chaque fois que j’en découvre un nouveau, bien saignant et bien hargneux. Je m’en réjouis d’autant plus qu’on n’est plus du tout forcément obligé de se taper pour cela un énième groupe de metal core en short ou de screamo existentialiste dégueu comme il y a une dizaine d’année. Retour aux fondamentaux, les seuls, les vrais – bien qu’une fois de plus, la vérité ça n’existe pas – et en avant.
La spontanéité d’un groupe tel que Poino a donc tout pour donner la trique et mouiller les culottes. Oui, c’est un peu bancal, des fois aussi un peu approximatif mais ça respire un tel entrain virulent et une telle volonté d’en découdre que l’on ne peut être que séduit. Moan Loose, premier album autoproduit du trio (et que l’on peut se procurer ici pour un prix totalement dérisoire), cultive en outre un côté tordu et donc inattendu – de drôles de lignes de chant, des riffs de crabes, un peu de clarinette dans un registre free sur un titre (en hommage à cœur de bœuf ?), de la saturation qui bave, une batterie qui tousse, bref de quoi désarçonner suffisamment mais pas trop et donc de quoi attirer l’amateur de sensations sortes. Il y a un côté chien fou chez Poino, en cela le trio n’est pas très éloigné de ses excellents compatriotes de Shield Your Eyes, avec éruptions spontanées de jappements de plaisir comme autant d’aboiements de bête – et avec quelques glaviots en prime comme sur l’intro de Strengh Of A Cow Boy. Plus loin Widow’s Cube déborde de surprises, cette guitare qui vrille à la limite de la justesse, ce passage plus calme avec le chant qui s’adoucit avant la remontrance finale. Et tout le disque est ainsi, ou presque. Un bon disque dont il serait dommage de se priver, un disque comme on en écoute de plus en plus en ce moment – et donc c’est tant mieux –, un groupe à découvrir impérativement.





















Et pour la découverte on va être servis puisque Poino va sauter sans parachute de sa falaise pour entamer une tournée européenne avec (seulement) deux dates en France : le 26 à Paris au Rigoletto et le 24 à Lyon au Grrrnd Zero – un concert signé Active Disorder qui a eu la bonne idée de mettre également à l’affiche Don Vito et Ntwin. Pour vous donner une petite idée de l’ampleur de cette soirée, une chronique du dernier Don Vito et une autre de l’album sans titre de Ntwin.

lundi 21 mars 2011

Report : 202project et The Oscillation au Sonic






















Vendredi 18 mars. Troisième concert de la semaine et à nouveau un grave dilemme à résoudre : aller enfin découvrir IRèNE qui joue dans un bar/restau/repaire de hippies altermondialistes et écoresponsables ou bien foncer chez les vieux brigands du Sonic pour papoter avec 202project et le cas échéant découvrir The Oscillation. Comme je me sens particulièrement mondain – une fois n’est pas coutume – décision est prise d’opter pour la péniche et la musique de drogués. Tant pis pour IRèNE qui devra donc patienter encore un peu. Je lui apporterai des bonbons la prochaine fois.
A mon arrivée au Sonic le lieu est désert, on m’avait pourtant prévenu de ne pas débarquer trop tôt, que le concert ne commencerait que vers 22 heures. Oui c’est vendredi, le jour où les gens sortent, se bourrent la gueule, se tapent dessus, dansent sciemment sur de la merde, racontent beaucoup trop de conneries ou ne sont plus en état de refuser qu’on leur en raconte. A l’intérieur de la salle les dispositifs optiques de The Oscillation sont déjà en place, des images de formes bubullesques tournent en boucle sur un écran et le VJ du groupe est en train d’expliquer au garçon qui se fait appeler 202project qu’il assurera pour lui des visuels et des projections pendant son set.















Mine de rien, des projections en fond de scène, c’est un sacré plus pour un one man band comme 202project : son album Total Eclipse fait partie des meilleures choses publiées en 2010 mais je dois bien avouer que j’avais tout de même un peu peur. J’avais déjà vu 202project en concert il y a quelques mois (années ?) et n’avais que très moyennement accroché, pour ne pas dire que j’avais parfois franchement détesté. Je ne saurais donc dire – mis à part les lumières – ce qui a différencié ce concert là du précédent : une meilleure connaissance de la musique ? Une nette amélioration de celle-ci ? Le fait d’avoir beaucoup apprécié le disque ? Un taux supérieur d’éthanol dans le sang ? Je n’en sais rien… mais on ne va pas non plus y passer des heures.
Le dispositif scénique de 202project est des plus simples : un synthé, un ordi, une guitare, un micro et un grand échalas en chemise blanche et cravate très post punk qui gesticule et chante d’une voix aigue et nasillarde des tubes psychés ou noisy. Une bonne partie du dernier album y passe mais pas seulement : 202project joue également nombre de nouveaux titres, se décidant au dernier moment de ce qu’il va interpréter, choisissant dans une liste apparemment sans fin et agissant avec une certaine désinvolture. Ainsi il met à mal quelques idées que je m’étais faites tout seul dans mon coin (comme d’habitude) en écoutant son disque. Premièrement ce garçon n’a rien d’un ermite féru de méditation transcendantale accouchant de sa musique après mure réflexion pendant une retraite de six mois dans une cabane du Haut Forez et, deuxièmement, il est plutôt du genre à tout bloquer, accumuler, attendant qu’il y en ait trop, faisant tout sortir à profusion le moment venu, comme dans une espèce d’impatience. La méthode acnéique, qui n’est pas donnée à tout le monde.
Il agit donc ainsi sur scène, coupant parfois abruptement à la fin de ses titres, montant sa set-list au hasard, faisant des blagues foireuses tout en précisant qu’il est nul pour les blagues et annonçant que finalement il va encore jouer deux titres, même si cela ne nous plait pas et qu’on en a marre. Deux titres beaucoup plus anciens et qui effectivement sonnent très Spacemen 3 dans la version garage du groupe – une influence que l’on sent toujours encore un peu chez 202project bien qu’à un bien moindre niveau. Un concert étonnamment rigolo en mode absurde et un set de bien trois quart d’heure (quand même).















Avant le concert, je ne connaissais rien de The Oscillation mis à part ce titre, Future Echo (un titre paru en 2010 sur un maxi et plus récemment repris sur le deuxième album du groupe, Veils). Dans un premier temps, le concert de The Oscillation sera tout juste honnête, chaque musicien semblant se reposer sur les effets visuels projetés en fond. Les quatre garçons ne manifestent sciemment aucune émotion, bougent un minimum, s’appliquent à faire tourner leurs compositions du mieux qu’ils le peuvent, réglant leur son – le guitariste/chanteur semblera ne jamais être très satisfait du sien. Les titres joués sont cependant décevants, un psychédélisme mou que ne compense pas le pourtant nécessaire brouillard lysergique. On assiste poliment mais de loin à ce spectacle un peu froid.
C’est lorsque le groupe décide d’enchainer ses titres sans s’arrêter, à partir du presque shoegaze See Through You, également un titre du maxi précité, que les choses sérieuses commencent enfin. L’attitude et la manière de faire de The Oscillation n’ont certes pas évolué mais ces jeunes gens avaient sûrement besoin d’un beau gros tour de chauffe pour atteindre leur seuil d’efficacité. Le groupe se transforme alors en un clone énergique de Spacemen 3 and C° sans aucune originalité ni surprise mais tout à fait valable – le bassiste arrête même un temps de jouer aux doigts ses lignes dubesques et opte pour un médiator bien plus efficace.
Alors que jusqu’ici les titres s’essoufflaient rapidement après des intros pourtant très prometteuses, désormais ils tiennent enfin la route et le groupe arrive à faire monter la pression et à faire en sorte qu’elle ne rebaisse jamais (Third Harmonic, toujours un extrait du maxi précité et décidemment pour les fétichistes la référence de The Oscillation à posséder). On regrettera encore et toujours le manque d’accentuation hypnotique et kraut de l’ensemble au profit d’une énergie plus psyché et on préfèrera donc logiquement les passages sur lesquels le chanteur se taira. The Oscillation, un bon petit groupe d’imitateurs tout simplement parfaits pour les 95 % des fans de Peter Kember et de Jason Pierce qui n’ont jamais eu la chance de voir les Spacemen 3 en vrai.

[une fois n’est pas coutume, les habituelles photos noir et blanc mais également des photos en couleurs du concert]

dimanche 20 mars 2011

Lemmy - The Movie






















Pour tout fan de Motörhead et de Ian Fraser Kilmister dit Lemmy, regarder ce film évoquant la vie, l’œuvre et la personnalité de ce dernier représente un cruel dilemme. On ne peut en effet s’empêcher de se sentir partagé entre un sentiment d’admiration sincère et un agacement certain. On connait tout ou presque de ce héro du rock’n’roll, sa passion pour l’histoire et notamment pour la seconde guerre mondiale – il possède en outre une magnifique collection d’objets nazis –, ses excès permanents en matière de drogues et d’alcools, sa passion pour les machines de jeu, son amour des femmes mais aussi sa droiture, sa dignité, son honnêteté et sa fidélité envers ses amis. Dans son genre Lemmy est le mec absolument parfait et c’est ce que se plaisent à marteler les musiciens, chanteurs, patrons de bars et autres strip-teaseuses interviewés dans la première partie de Lemmy : qu’il est long et disparate le cortège des louangeurs regroupant vieilles gloires, retraités du show bizness made in Los Angeles, ringards patentés, admirateurs à genoux, amoureux sincères et collègues de scène de Lemmy. C’est la partie complètement artificielle du film et elle frise les limites du supportable, tout comme la séquence dans un magasin de disques pendant laquelle Lemmy se voit offrir par la gérante son exemplaire « personnel » du coffret mono des Beatles parce qu’il n’y en a plus en rayon. On préfère penser que cette scène est bidonnée tellement Lemmy y semble mal à l’aise (on admettra tout de même que Lemmy a l’air gêné par la présence de caméras sur 95% du film, ce qui se comprend aussi).
Entendre Billy Bob Thornton prétendre ensuite que Lemmy a un look parfaitement naturel et qu’il a bien fait de s’établir il y a plus de 15 ans à Los Angeles car Los Angeles est justement une ville où on ne peut pas tricher est un autre grand moment de bonheur (surtout parce que l’un des intervenants précédents, Tommy Lee de Mötley Crüe, est l’exemple même de l’artificialité d’une ville entièrement vouée au paraître mais pouvant également être séduisante comme telle). Au dessus de la mêlée, Dave Grohl, bien qu’ayant toujours ce comportement de sale gamin arrogant et frondeur, est quasiment le seul musicien interviewé à avoir quelque chose d’intéressant à dire sur Lemmy. Son œil pétille comme celui d’un sale gosse lorsqu’il parle de son héro, désormais ami, et avec lequel on le voit même enregistrer en studio. C’est ce pétillement qui manque au film, même si on le retrouve un peu lors des interventions des membres de Metallica. Lemmy (le film) offre donc dans un premier temps un point de vue très stéréotypé et très américain sur Lemmy (l’homme) et il est très difficile de s’y faire.

















La partie musicale du film lui permet par contre largement de décoller. Il n’y a pourtant que peu d’extraits complets de Motörhead en concert mais l’évocation des Beatles (dont Lemmy est un grand fan et c’est normal, « les Beatles sont toujours le meilleur groupe du monde »), de Jimi Hendrix (dont il était le roadie et le dealer), des Rockin’ Vickers et d’Hawkwind (deux de ses principaux anciens groupes) et bien sûr de Motörhead élève singulièrement le niveau général des débats et il était temps. C’est dans ces moments là que le fan se sent enfin concerné par un film qui sinon sent bon l’embaumement pré-mortem. Plus loin Lemmy et Metallica répètent Damage Case, vieux standard incontournable tiré d’Overkill, en vue d’un featuring de Lemmy pour un concert de Metallica à Nashville (Lars Ulrich, encore adolescent, a été le président du premier fan club américain de Motörhead) et sur l’extrait en concert qui suit la magie semble effectivement opérer.
Le film s’humanise encore plus lorsque les deux réalisateurs (Greg Olliver et Wes Orshoski) font le voyage jusqu’en Angleterre et retrouvent l’ancien collège de Lemmy où ils sont très bien accueillis, quelques collégiennes toutes mouillées déclarent tout leur amour pour le géant du rock’n’roll et un garçon boutonneux interprète au piano une version assez hilarante de Ace Of Spades. L’évocation de Lemmy, l’homme de cœur et d’honneur, son côté plus intime aussi, évite également le casse-gueule et ce de manière assez surprenante : Corey Parks (ex bassiste et cracheuse de feu chez Nashville Pussy) remporte la palme de l’émotion feutrée, devançant Paul, le propre fils de Lemmy, lorsqu’il évoque un amour de jeunesse de son père fusillé par une overdose à l’héroïne. Ces moments sont rares mais bien plus intéressants que le défilé des copains et apportent bien plus d’éclairage sur une personnalité finalement extrêmement pudique. Il n’en demeure pas moins que Lemmy laisse un drôle de goût dans la bouche et ce malgré une dernière séquence enregistrée lors d’un concert à Moscou et pendant laquelle retentit Overkill en guise de générique de fin.
Car juste avant ce final pas très explosif il y a tous ces intervenants qui affirment déjà que quand Lemmy sera mort ce sera une grande fête. Or la plupart des images tirées du quotidien nous ont montré un homme passablement usé, gravement diabétique on le sait, respirant avec difficulté, se déplaçant doucement. Lemmy est vieux. Il est tellement vieux que justement il a souvent l’air déjà mort ou que – bien pire – il est parfaitement embaumé dans sa légende et confiné dans un appartement angelos beaucoup trop petit et ressemblant à s’y méprendre à un musée. Lemmy n’est pas un film sur une légende musicale incontournable, par contre Lemmy est bien une oraison funèbre qui s’ignore tout en soulignant le paradoxe d’un homme qui continue malgré tout de vivre ses rêves de rock’n’roll et est admiré pour cela de tous à travers le monde mais qui en fait n’en peut physiquement plus – le simulacre se lézarde de toutes parts : de la notion de « gardien du temple » on passe allègrement à celle de « gérant du rock’n’roll ». Malgré l’entêtement méritoire et fanatique de ses deux réalisateurs, Lemmy éveille finalement chez l’admirateur du bonhomme un sentiment de pitié assez effroyable dont on se serait bien passé. On évoquait plus haut « la droiture, la dignité, l’honnêteté et la fidélité » de Lemmy : ce film finit par transformer tout cela en appel du vide et enlève surtout à Lemmy le voile de la dignité. Et faut-il également rappeler que l’expression « légende vivante » cache un paradoxe totalement insoluble ?

[une première version de cet article, quelque peu différente, a été écrite pour (new) Noise mag et est lisible dans le numéro 3 de ce journal (avec deux couvertures au choix) que je ne saurais trop vous enjoindre à lire/acheter/consulter à la bibliothèque de votre quartier/voler chez votre buraliste poujadiste/taxer à votre petit frère puisqu’il est déjà disponible depuis une dizaine de jours.]

samedi 19 mars 2011

Remembering Tom Cora (2)




















Vous avez exploré l’improvisation « non idiomatique » [i.e. hors langages et hors frontières], êtes-vous intéressé par les musiques extra-occidentales ?
Bien sûr, depuis longtemps. Cette expression « non idiomatique » se rapporte à l’époque à New York où je me trouvais plongé dans un mouvement qui inconsciemment niait ses influences pour créer quelque chose en évitant toute référence à son histoire, ce qui est impossible parce que beaucoup trop négatif même si la démarche était intéressante. Je voulais donc trouver d’autres matières pour créer de la musique improvisée et je croyais que pour cela il me fallait nier toutes mes influences. Il y a quinze ans, l’improvisation était sous l’influence du jazz et c’est beaucoup moins comme cela maintenant : les improvisateurs viennent de partout, du folk, du classique, du jazz, du rock, de rien… J’écoute beaucoup de musiques du monde entier pour mon plaisir mais non pour trouver des choses à faire. Je suis assez soupçonneux sur ces « fusions » à la mode dont les résultats sont rarement intéressants et en plus c’est assez problématique politiquement.

Pour vous la musique peut traduire un engagement politique?
Bien sûr, il y a engagement politique : il est dans les moyens de faire de la musique pour les gens. Lorsqu’on me dit qu’il n’y a rien de politique dans ma musique, je rétorque le contraire même si je ne fais pas de concert pour telle ou telle cause : je préfère manifester contre les lois Debré [comme maintenant on manifesterait contre LOPPSI 2], ce qui est plus effectif et plus utile.

Est-ce que vous pouvez me parler de Third Person, votre groupe avec Samm Bennett ? Est-ce que cela rejoint l’idée du rejet des musiques connues grâce au troisième membre interchangeable du groupe ?
C’était un peu cela même si ce n’était pas une stratégie. Nous avons fait des concerts à chaque fois avec une troisième personne différente. Comme cela marchait, on appelé le groupe Third Person et on a continué. Les deux dernières tournées étaient avec un seul troisième membre : le saxophoniste japonais Kazutoki Umezi mais nous ne sommes plus très actifs en ce moment parce que partagés entre trois continents. Third Person permettait de toujours garder un élément de surprise, confronter nos attentes en jouant avec quelqu’un de différent à chaque fois, confronter notre rapport entre Samm et moi avec les attentes d’un autre musicien.

Vous avez peu d’enregistrements en solo, avez-vous mis du temps à vous assumer en tant que musicien ?
Non, c’est parce que je peine à enregistrer et à sortir beaucoup de disques parce que je préfère sortir des choses que j’aime beaucoup, la qualité plutôt que la quantité. J’ai commencé à jouer en solo parce que j’avais peur de le faire et que cela m’attirait. Je crois qu’il faut garder un élément de risque, j’aime beaucoup la vulnérabilité dans l’expression artistique.
Le risque artistique est l’une des plus belles choses de la vie. Quand tout est sûr, le résultat est plat : c’est l’industrie de la musique. On ne prend pas de risques quand on veut réussir commercialement même si il y a des exceptions. Je me considère comme un combattant pour l’improvisation. Même si j’ai fait des choses composées, l’improvisation figure dans toutes mes activités musicales. Le mot « improvisation » implique le risque comme colonne vertébrale de la musique. Je n’arrive jamais au bout. Lorsque j’arrive, je m’arrête.






















Qu’en est-il des Sculpteurs De Vinyles et de votre travail avec Otomo Yoshihide ?
Franchement il faut dire que c’est un projet moins conçu par un musicien que par un entrepreneur. Je ne sais pas si c’est pour cette raison que je trouve le résultat moins intéressant que ce qu’il aurait du être. Une carotte est souvent pendue devant les artistes et c’est difficile de dire non. Ce n’est pas un projet nul, pas du tout. Mais on a payé un billet d’avion à Otomo pour qu’il vienne jouer à Marseille, y rencontrer s’il le désirait Tom Cora et Catherine Jauniaux [une merveilleuse musicienne elle aussi et la femme de Tom Cora] puisque c’est là qu’ils habitent, et il était aussi obligé de jouer avec des jeunes scratcheurs du quartier. Belle idée mais ce n’était pas son idée. En plus maintenant c’est très à la mode de travailler dans les quartiers pour obtenir des subventions. Les associations règlent leur vision artistique selon d’où viennent les subventions et je sens que cette tendance a joué très fort dans ce projet par exemple. Je trouve que c’est encore une forme d’impérialisme redéguisé parce que c’est toujours « on va aller dans les quartiers et donner la culture » plutôt que de laisser la culture de là-bas se développer à sa façon tout en lui en donnant les moyens. Continuer à croire que l’on peut donner la culture c’est quelque chose de très français. Le côté positif de la chose est bien sûr que l’on considère que tout le monde mérite la culture mais toutes ces actions de distribution culturelle dans les quartiers, cela fait politiquement correct. Je m’interroge parce que je vois beaucoup de compromis artistiques en train de se faire autour de cette histoire. Mais parce que je suis étranger et que je n’habite pas ici depuis longtemps, j’hésite à dire tout cela : ma vision n’est certainement pas complète. Je peux me tromper très facilement et si quelqu’un me dit « non, ce n’est pas comme cela », je l’écouterai.

Vous allez jouer le 18 juin avec Roof. Comment est né ce groupe ?
Quand mes très belles années de collaboration avec The Ex ont pris fin – pas pour toujours peut être – d’une manière très amicale, chacun de notre côté, Luc le bassiste et moi avons eu envie de faire quelque chose d’autre ensemble. J’ai proposé de jouer avec Phil Minton et Luc a proposé Michael Vachter. Voilà comment cela a commencé. Cela faisait des années que j’avais envie de travailler avec Phil Minton – qui est un « vocaliste » très impressionnant – dans un projet qui nous appartienne vraiment car nous nous étions rencontrés dans un groupe où nous étions tous les deux sidemen, ce qui avait fini par être un peu frustrant mais l’envie nous en était donc restée.

Comme pour le reste de votre travail l’improvisation garde-t-elle une grande importance dans la musique de Roof ?
Oui. On fait des morceaux selon la façon que Luc et moi avons établie pendant les quatre années avec The Ex. On compose des structures qui frappent, qui sont efficaces et on utilise les talents de tout le monde dans le groupe, chacun est ce qu’il est au lieu de se conformer à une idée de Roof alors que Roof n’a pas été conçu avec une idée de ce que cela devait être.

Ce qui frappe lorsqu’on écoute Roof c’est que la musique a beaucoup d’unité alors que vous êtes tous des musiciens d’horizons très divers…
Moi aussi cela m’étonne ! (rires) Avec Luc, nous n’avons jamais pensé à des musiciens jouant de tel ou tel instrument mais toujours à des personnalités. Nous avions juste confiance en quelque chose que l’on ne connaissait pas encore mais on avait quand même confiance : on en revient à la part de risque dans la musique.

Quels sont vos projets à venir ?
Ce projet sur le théâtre qui est déjà en route. C’est un bon exemple de projet très politique puisqu’il s’agit d’une pièce de Bertold Brecht, Saint Jean Des Abattoirs, qui a été montée en 1929 à Chicago pendant le crack financier et qui a beaucoup à voir avec aujourd’hui : la mondialisation, le pouvoir de l’argent, le pouvoir du marché. La pièce est remontée de façon à montrer le parallèle avec aujourd’hui [et rien n’a changé en 2011…].
J’ai composé beaucoup de musiques sur le texte de Bertold Brecht, texte qui sera chanté par les comédiens et il y aura aussi beaucoup de musique improvisée avec des interventions sur scène de Luc, Michael Vachter et Zeena Parkins.






















Ci-dessous une discographie très sélective et non exhaustive de Tom Cora :

Eugene Chadbourne – 2000 Statues and the English Channel (Parachute records – 1979)
Curlew – self titled (Landslide records – 1981)
John Zorn – Archery (Parachute records – 1982, réédition Tzadik en 1997)
Skeleton Crew (avec Fred Frith) – Learn To Talk (Rift/ReR – 1983)
Tom Cora – Live At The Western Front (No Man’s Land – 1987)
Third Person – The Bends (KFW – 1991)
The Ex & Tom Cora – Scrabbling At The Lock (Ex records – 1991, réédité en LP en 2009)
Tom Cora – Gumption In Limbo (Sound Aspects – 1991 et malheureusement complètement épuisé)
The Ex & Tom Cora – And The Weathermen Shrug Their Shoulders (Ex records – 1993)
Roof – The Untraceable Cigar (Red Note records – 1996)
Roof – Trace (Red Note – 1999, posthume)
Hallelujah, Anyway – Remembering Tom Cora
(Tzadik – 1999, compilation et tribute)
Tom Cora – It’s A Brand New New, Live At The Knitting Factory (KFW – 2000, posthume)

[pour une discographie réellement exhaustive cliquez ici et mettez vos lunettes]

vendredi 18 mars 2011

Cannibales & Vahinés (de Toulouse)






















Non mais tu la vois cette affiche de concert ? Tu le vois ce nom de groupe raturé ? C’était la mauvaise nouvelle du jour, les Kabu Ki Buddah ayant annulé leur venue au tout dernier moment – comme, semble t-il, plusieurs de leurs dates à venir juste après, on souhaite un prompt rétablissement au membre du groupe (légèrement) malade. Bien que ce soient des choses qui arrivent, la soirée s’est malgré tout retrouvée amputée d’un attrait non négligeable et surement aussi d’une bonne partie de son public et des fameux effets collatéraux des premières parties locales à forte attractivité qui vont avec.
Pourtant, I Disagree, l’association organisatrice du jour, n’aurait jamais du avoir besoin d’un tel subterfuge pour rameuter du monde : ce soir la tête d’affiche s’appelle Cannibales & Vahinés, soit l’une des nombreuses nouvelles activités musicales de G.W. Sok, plus connu pour être l’ancien chanteur et l’un des membres fondateurs de The Ex. Malheureusement, les choses sont rarement telles qu’on les souhaite ou telles qu’on les imagine et la fréquentation du Sonic se révèlera finalement décevante. Pas catastrophique mais nettement insuffisante pour une ville qui, à chaque fois qu’elle accueille The Ex en concert, score pourtant toujours une belle audience. Visiblement, le choix du jour semble s’être plutôt porté sur les fadasses Cheveu (mais accompagnés des géniaux The Good Damn) qui jouaient dans une autre salle de la ville.















Mais il y avait tout de même une première partie à ce concert : le groupe en question s’appelle Claude Biscuit… Disons que même en sachant que ce soir c’était leur premier concert et les membres de Claude Biscuit ayant beau être des jeunes chiens fous, je ne vais pas pouvoir m’empêcher de faire mon vieux con ratatiné ni éviter de penser que ce spectacle gothique-alterno avec trois marioles déguisés (deux garçons et une fille) chantant comme des aphasiques, jouant comme des handicapés, faisant semblant de taper à la machine – non sonorisée la machine, Lester Bangs sort de ce corps – ou mimant le jeu d’une guitare avec des bouts de pain, fut particulièrement éprouvant, fatiguant et consternant. Je leur souhaite malgré tout bonne chance dans ce monde de brutes réactionnaires et de fin du monde imminente : ils crèveront comme tout le monde.
Revenons-en donc à Cannibales & Vahinés. A propos de ce groupe je n’avais strictement rien voulu savoir, de peur d’être un peu déçu*. Je m’en faisais juste l’idée de trois mecs plutôt jeunes ayant ramassé G.W. Sok sur le bas côté d’une route par je ne sais quel coup du hasard. Quelle surprise alors de voir débarquer sur scène des vieux briscards, genre des mecs qui ont autant d’heures de vol avec leurs instruments – ce qu’ils ne vont pas tarder à prouver d’enthousiasmante façon – que je cumule d’hectolitres de houblon fermenté ingurgités en trois décennies d’activisme forcené.
Cannibales & Vahinés featuring G.W. Sok c’est donc la rencontre d’un groupe et d’un chanteur poète qui, après une résidence d’artistes et un passage lors de l’édition 2010 du festival Mimi, ont décidé de faire un petit bout de chemin ensemble**. The Ex, l’ancien groupe de G.W. Sok, a démontré autant sur disque que sur scène qu’il avait su sinon se renouveler du moins se régénérer et repartir à zéro avec un nouveau chanteur. L’inverse est tout aussi vrai : Jos Kley – le vrai nom de G.W. Sok – a fait de même, et plus encore.















Non sans une certaine malice, le chanteur se présente avec le groupe comment étant « Cannibales & Vahinés, de Toulouse », ce qui bien sûr fait rire toute la salle aux éclats. En démarrant sur des airs faussement jazzy et désaxés (un peu comme peut le faire Enablers avec Pete Simonelli), les trois Cannibales & Vahinés offrent un bel écrin au chanteur, à sa voix, ses textes, ses mots. Commençant par lire sur des feuilles disposées sur un pupitre devant lui et qu’il égrainera au fur et à mesure du concert, G.W. Sok prend son temps pour poser ses effets mais rapidement il continuera avec ce flot vocal si particulier – et influencé par celui de Mark E Smith de The Fall – qui a longtemps été la marque de fabrique de son ancien groupe et il arrivera presque par moments à un chant aux formes plus mélodiques que finalement on ne lui connaissait guère.
De leur côté les trois musiciens passent du registre gratouillis atmosphériques et chatoyants à une vraie nervosité noisy teintée de free, on retrouve ainsi avec plaisir – dans les parties sèches et saccadées de guitare, dans le jeu de batterie presque polyrythmique – la fureur musicale du The Ex d’antan. Les quatre hommes jouent désormais véritablement ensemble, il n’est pas question d’une simple performance de diseur de mots accompagné d’un backing band mais d’un vrai groupe.
Toujours aussi attaché à la portée de ses textes, G.W. Sok reviendra sur la fin du concert à plus de retenue vocale, désormais et à nouveau dans une optique plus récitative et de spoken word, mais ne redescendra pas d’un cran question intensité et présence scénique – le bonhomme est très, très, impressionnant, ses textes résonnent au delà de toute compréhension, dans une totale implication et incarnation physique du verbe. Une dernière occasion de goûter aux coassements du saxophone (baryton ou soprano), d’entendre les grincements de la guitare et surtout d’admirer ce batteur hallucinant de souplesse et de liberté. Deux titres en guise de rappel, réclamés par un public conquis et un concert aussi réussi, au delà de toutes les espérances***.

[quelques photos du concert de Cannibales & Vahinés ici]

* mis à part une démo quatre titres plutôt réussie qui tourne en ce moment sur le net
** par exemple le 19 mars à la Cave A Musique de Macon et le 4 juin dans le cadre du Festival Musique Action de Vandœuvre-lès-Nancy qui fort heureusement renait cette année
*** il ne restait plus qu’à se faire payer la tournée du patron, à dormir quatre heures et à se lever tant bien que mal pour emmener la marmaille à l’école