samedi 2 avril 2011

Otto / self titled























07 mars 2011. C’est la date tamponnée sur mon exemplaire de la démo – on préfèrera parler ici d’album – d’Otto : le groupe s’amuse ainsi à marquer tous les envois qu’il effectue lui-même. L’objet est magnifique d’ailleurs, fait entièrement à la main. Cartonnage rugueux, CDr qui imite les stries d’un microsillon, image imprimée sur du papier calque, on dirait une diapositive et je soupçonne le groupe de personnaliser également l’illustration qu’il colle à chaque fois sur son disque. Avec le mien : une voiture roulant de nuit à toute vitesse mais bientôt rattrapée par une soucoupe volante – total trip comics (cosmic ?). Au verso on remarque uniquement un autre tampon indiquant Otto Production, ce qui s’impose lorsqu’on se démerde pour publier son disque soi-même. Ces gens ont un humour l’air de rien, discrètement rigolo, qui rend ce disque sympathique avant même de l’avoir écouté.
Or le terme sympathique est très mal choisi pour évoquer Otto et sa musique. Le groupe puise directement, avec talent et à-propos, du côté de la moiteur australienne – Birthday Party peut être (Too Many Dancers et sa ligne de basse) mais surtout Nick Cave et ses Bad Seeds (My Arms, de la pure mauvaise graine) – ainsi que dans les sables mouvants et autres histoires entre chien et loup du sud américain, celui que Jeffrey Lee Pierce nous avait si bien raconté sur les quatre premiers disques du Gun Club. Le décor est planté, avec de telles références aussi évidentes que lisibles on sait à quoi s’en tenir, on connait la grammaire et le vocabulaire, on connait la syntaxe, on apprécie l’incarnation et la ferveur d’une musique que quoi qu’il arrive on ne peut qu’apprécier et on en vient même à se remémorer The Drone, à l’époque où le groupe de Gareth Liddiard et de Rui Pereira (qui a malheureusement quitté The Drone en 2005) rallumait de la même façon le feu d’une musique sauvage en soufflant sur les braises encore toute chaudes d’un passé jamais oublié. Le long frisson qui vous accompagne tout au long de cet album d’Otto ne vous quitte pas. Depuis Man Ray jusqu’à Monkeys & Junkies il ne fera que s’amplifier, prenant de rares détours, filant tout droit sur l’asphalte, passant du lyrisme implacable et saturé (The Jail ou An Elk Is Not A Moose) au fauvisme désertique (Alligator Wine). Que la route est longue, surtout avec des extra-terrestres qui vous filent au train.
Alligator Wine, justement : plus que les autres et ne serait-ce que par le chant, ses intonations, ce titre rappelle un Nick Cave aussi christique que cramé avec une outrance dont au départ on ne sait que faire. Ah oui, il est vrai que Nick Cave ne chante plus ainsi depuis de nombreuses années… Et pourtant, en presque six minutes aussi magnifiques que terribles, Otto nous présente une espèce de synthèse entre le premier album des Bad Seeds, très urbain, avec tous ses bruitages (ceux qu’orchestrait Blixa Bargeld avec sa Fender bleue toute cabossée), et le deuxième, The Firstborn Is Dead, hanté par le blues et la naissance du rock’n’roll, le disque sur lequel Cave a tout piqué à Jeffrey Lee Pierce avant de commencer à capitaliser sur une légende naissante de chanteur maudit dont il ne se débarrassera que pour celle de crooner destroy, abandonnant petit à petit puis définitivement chaleur et damnation et s’accommodant d’un nouveau confort trop littéraire. Avec Otto on reste en plein dans cette exaltation primale et moite des sentiments exacerbés sur fond de fracas d’un blues chauffé à blanc. En fait Alligator Wine est une reprise d'un vieux standard de Sreamin' Jay Hawkins et on ose ici affirmer que, question reprise, Nick Cave n'aurait pas fait mieux qu'Otto en la matière.
Alors est ce que c’est gênant, cette comparaison avec quelque chose qui a déjà été fait (mais n’existe plus vraiment sous cette forme) ? Oui et non. Si on aime tant le disque d’Otto, on met aussi un peu de temps avant de se rendre compte que ce n’est pas seulement parce que le groupe met tout son talent à imiter. Car on l’aime à la folie ce disque, sur huit titres il n’y en a pas un seul qui déplaise, il n’y en a pas un seul qui déçoive ou qui se montre faiblard par rapport aux autres. On comprend que notre adhésion est due à toute l’outrance que met le groupe pour se frayer un chemin. Elle est nécessaire cette outrance, cette exagération que l’on rejette dans tant d’autres cas. Et si elle passe c’est parce qu’elle ne semble jamais feinte malgré le fait, parfois un peu gênant, que le chant en fait des tonnes – ce qu’on lui pardonnerait également avec un accent un peu plus maîtrisé, faiblesse d’accent que l’on oublie d’ailleurs dès que le chant passe dans un registre effleurant Tom Waits du bout des doigts. Mais ce sont bien là des broutilles, des détails dont on est bien sûrs, tout confiants que l’on est, qu’Otto se débarrassera très facilement avec le temps. Il ne faut pas grand-chose et avec cet album le groupe nous offre déjà un grand disque comme on les aime. Un groupe à suivre de très près, à aller voir en concert s’il se décide à sortir un jour de chez lui (Toulouse) et à contacter pour lui dire combien on l’aime.