samedi 18 juin 2011

Construction Souterraine #1


J’ai toujours eu tendance à trouver suspect cette volonté de regrouper autant de groupes que pouvait en contenir une ville ou un misérable bout de terre sous l’appellation de « scène » : on en arrive forcément à des raccourcis trompeurs et l’œcuménisme, c’est quand même une notion tout juste bonne pour les curés de gauche.
Dans le cas de la compilation Construction Souterraine # 1 (sous-titrée Comme L’Eau Forte Sur Le Fer), la démarche ne me parait somme toute pas réellement différente mais il y a aussi et surtout ce texte de présentation signé par les garçons des deux labels responsables de cette parution et auprès de qui vous pouvez vous la procurer (il s’agit de Fireworks recordings et de La Face Cachée), un texte qui nous donne les informations exactes et vitales concernant l’existence du projet. Intitulé Une Ville, Une Scène, il s’agit en effet d’un véritable manifeste contre l’ensevelissement et l’étouffement généralisé orchestrés par la culture officielle et les politiques culturelles, qu’elles soient locales ou autres. J’aime particulièrement ces deux passages : « comme l’eau forte sur le fer, à faire des trous dans les fondations de cet intouchable édifice que représente la culture dominante » et « Metz est une ville comme les autres, en cela que ses habitants en sont dépossédés ».
Ah oui… c’est parce que Construction Souterraine compile uniquement des groupes messins (« Metz Noire » disent-ils aussi) mais n’importe qui pourrait se retrouver dans ce texte, que l’on habite à Lyon, Montpellier, Lille, Bordeaux ou Nantes : diffuser l’art – et plus particulièrement ici la musique – en faisant fi du formatage et des contraintes « idéologiques » et matérielles imposées par la culture de masse (que le texte oppose avec subtilité et intelligence à la « culture populaire ») est une chose bien difficile et courageuse de nos jours. Choisir en toute bonne conscience la méthode do it yourself et les relais des réseaux alternatifs et parallèles ne pourra jamais devenir un luxe ni une posture, bien que certaines et certains aient déjà essayé d’endosser cette façon de faire uniquement pour des raisons égotiques et le referont certainement encore. Plus que jamais, c’est la nécessité et le combat qui imposent le DIY quasi systématiquement ; il n’y a en effet aucune autre solution si on veut vivre son indépendance tout en partageant sa passion. Et je ne vous dirai même pas ce que je pense de ces « évènements culturels » qui sont financés sur le budget « évènements » des municipalités et dont on mesure l’« utilité » comme on mesure les embouteillages lors des départs en vacances, en comptant le nombre de participants présents, sans se soucier s’ils ont pu voir, entendre, apprendre ou même penser quelque chose.





















Construction Souterraine #1 - Comme L’Eau Forte Sur Le Fer propose donc dix groupes de Metz. Tous les titres gravés ici sont réputés inédits. Sur la première face on découvre Jack Cat & The Devils dont le garage rock’n’roll est des plus convaincants. Das Bunch et son How To Keep His Dignity In The Middle Of The Mess ? l’est tout autant, mais dans un registre bien plus punk et nerveux. Suit Nothing At All de The Feeling Of Love – si on s’est intéressé à Construction Souterraine #1 c’est d’abord à cause de ce groupe. Nothing At All a apparemment été enregistré dans sa chambre par le seul guitariste/chanteur de The Feeling Of Love, comme aux débuts du groupe, et de fait le son est aussi méga lo-fi que méga jouissif. Par contre St John Silver et son Nuclear Power Generator Of Beauty (pourtant doté d’un titre confortablement débile comme je les aime) se montre assommant après seulement quelques mesures – le seul avantage du pub rock c’est qu’on peut boire de la bière en même temps. En fin de face, Thee Verduns charment toujours autant avec leur cabaret bancal et désaxé porté par une contrebasse rachitique mais vibrante et un chant (féminin et masculin) aussi maladroit qu’émouvant.
On continue avec la face B. Les Wad-Billies souffrent du même syndrome que St John Silver sauf qu’on se situe plus du côté du rockab alterno que du pub rock seventies. Puis débarque Le Singe Blanc avec son inédit à lui, Gru… Un inédit ? Vraiment ? Pourtant on croit reconnaitre cette composition mais une rapide vérification de la discographie du groupe permet de se rendre compte que peut être que non, en fait… l’identité du Singe Blanc est tellement perceptible et reconnaissable entre mille (même si ce Gru est loin d’être le meilleur titre du groupe) qu’on s’est fait avoir. Merci pour les grimaces. Le Cœur Noir et son Darkness sont vraiment encore un peu tendre mais on s’y fait : je suis toujours attablé au comptoir du même pub que tout à l’heure mais je crois bien que je vais enfin me décoller un peu pour voir ce qui se passe sur scène (sauf que le chant en français a tendance à réfrigérer mes ardeurs de connard). Bien que jouant du gros rock’n’roll qui tâche avec un chanteur shooté à la reverb qui se prend pour le fils illégitime de Jeffrey Lee Pierce et de Jon Spencer, The Swamp relève honorablement le défi – je crois qu’en fait j’ai toujours aimé la musique de vieux. Reste Kkang, one man band qui sent le souffre et se lance dans un pastiche melvinsien (sans imitation du chant de Buzzo, dommage) qui doit bien faire rire les copains mais seulement eux.
Ajoutons que Construction Souterraine est un objet absolument magnifique : vinyle blanc (pour les cinquante premiers exemplaires), pochette soignée et documentée, surpochette sérigraphiée avec art, belle illustration et donc on a bien remarqué le #1 en bas à gauche, annonciateur d’une suite, un jour, peut être…