samedi 23 juillet 2011

Enablers / Blown Realms And Stalled Explosions





Que le cap de Patton, premier titre ouvrant Blown Realms And Stalled Explosions, quatrième album d’Enablers, est difficile à franchir… On y reconnait pourtant le groupe de San Francisco, les spoken words autrefois mi appuyés mi rêveurs de Pete Simonelli, les guitares jumelles de Kevin Thompson et de Joe Goldring, ce post rock aérien mais nerveux, ces atmosphères à la fois troubles et lumineuses… Seulement voilà, il y a du nouveau et cela s’entend : même si on n’était pas au courant avant d’écouter Blown Realms And Stalled Explosions, on ne peut que se rendre compte que Joe Byrnes, batteur magnifique et plein de sensibilité, est parti. Son remplaçant ? Doug Scharin, ex-Codeine et surtout – en ce qui me concerne – ex-June Of 44. Doug Scharin non plus ne manque pas de toucher et de personnalité mais son jeu est si différent de celui de Byrnes qu’il va entrainer Blown Realms And Stalled Explosions sur des terrains encore jamais foulés par Enablers. Et ce pas seulement parce qu’il va insuffler une énergie différente au groupe mais aussi et surtout, suppose-t-on, par effet de contagion.
Mais revenons-en à Patton : voilà un titre enlevé, énervé presque, la voix de Simonelli y est traitée avec un effet qui la rend à la fois légèrement lointaine et (malheureusement) minérale, les guitares ne s’encombrent pas de délicatesse et on a droit en prime à quelques notes de synthé, jouées avec un Wurlitzer. Simonelli semble en faire dix fois trop, cette montée à la fin du titre parait bien trop forcée mais, après tout, pourquoi pas ? Cliff – malgré un ignoble solo de guitare introductif –, les excellents Career-Minded Individual et Morandi: Natura Morta #86 ainsi que No, Not Gently qui clôture impérialement cette première face nous font par contre exactement penser tout le contraire : oui Scharin développe un jeu dynamique qui souvent manque d’à-propos mais on retrouve les Enablers que l’on aime, ceux, poètes et arty, adeptes d’un blues noisy et funambule coincé entre les éternels Slint et un Oxbow plus tardif. Surtout, Simonelli – effet le plus flagrant de cette contagion dont nous parlions tout à l’heure – chante finalement de plus en plus, n’hésitant pas à franchir, comme sur No, Not Gently, la frontière entre retenue et excitation.
On pense alors que les Enablers ont enfin réussi à synthétiser sur un enregistrement la dynamique de leurs concerts. Seulement voilà, on appréciait aussi le groupe pour le côté presque feutré mais toujours incandescent en sous-main de ses disques et nous voilà à faire face à une démonstration de force qui, si elle n’a rien de déplaisante, n’est pas totalement convaincante non plus. Ainsi The Reader, en début de seconde face, affiche une platitude principalement due à la frappe (très reconnaissable) de Doug Scharin : on aimait ça lorsqu’il s’agissait des anciens groupes du batteur (quoi que l’effet en fût devenu insupportable sur les disques de Out of Worship – duo de Scharin avec Joe Goldring, justement) mais ici cela ne colle décidément pas. On passe rapidement sur Hard Love Seat, titre instrumental sympathique et un rien matheux, comme ceux que Kevin Thompson et Joe Goldring jouaient avec leur side project Touched By A Janitor. Par contre l’indie rock noisy de Rue Girardon fait plus que déconcerter : décidemment le déluge sonore sied fort mal à Enablers. On a bien conscience de l’effort consenti sur l’ensemble du titre mais le groupe était capable de tellement mieux avant… Or ce n’est pas fini : sur Visitacion Valley Simonelli passe presque définitivement le cap du chant et si on en a souvent rêvé, c’est surtout l’idée, le fantasme, qui nous séduisait car on préfèrera toujours un invalide qui joue de son handicap à celui qui s’aide d’une canne pour avoir l’air de ce qu’il ne peut pas être. Or Simonelli fait exactement penser à ça, à un poète qui ne veut plus se contenter de se rêver en chanteur ou à un mauvais acteur qui s’embourbe dans l’art lyrique. A Poem For Heroes, en dernier ressort, remet les pendules à l’heure. Enablers – Simonelli compris – y retrouvent leur fragilité et ce sentiment de tension que le groupe pensait pouvoir désormais remplacer par un surcroit d’énergie et des effets de manches bien trop « rock » pour que le charme continue d’opérer. Et bien c’est raté.

[le CD de Blown Realms And Stalled Explosions est dispo sur Exile On Mainstream, le vinyle sur Lancashire And Somerset]