mardi 23 août 2011

Prurient / Bermuda Drain






Il fallait bien que cela arrive un jour, que Dominick Fernow alias Prurient sorte un disque sur un label un peu plus gros que d’habitude ou tout du moins sur un label ayant une meilleure visibilité que ceux auxquels Prurient est abonné depuis de très nombreuses années – on n’oublie pas bien sûr Hospital Productions, son propre label à lui tout seul. Revoilà donc Prurient de retour sur Hydra Head, après un silence tout relatif : Bermuda Drain est le premier réel long format du groupe depuis bien longtemps – 2008 disent les mauvaises langues – alors que dans l’intervalle Prurient s’est « contenté » de publier des cargaisons entières de splits (un 7’ avec Wolf Eyes par exemple), de singles horrifiques, de vinyles ultra cheapos ou de cassettes aux origines aussi obscures que leurs tirages étaient limités. Ajoutons que Dominick Fernow est un grand malade mais un malade monophasé : si on n’a pas tellement évoqué Prurient ni chroniqué ses disques – mis à part l’album And Still, Wanting – c’est parce qu’ils se ressemblent un peu tous, Prurient pouvant être considéré comme l’héritier millénariste de Throbbing Gristle et de Whitehouse.
Il est donc très étonnant de constater que Prurient change sèchement d’orientation musicale avec Bermuda Drain. Les esprits chagrins ne manqueront pas de relever la coïncidence troublante entre la signature de Fernow sur Hydra Head et l’aspect désormais bien plus dégagé, acceptable et lissé de sa musique. Déjà, la qualité de l’enregistrement quitte les territoires du lo-fi, c’est presque fini la disto pas chère, le feedback du pauvre et les synthés vintages qui grincent ou – plus exactement – si on retrouve tous ces éléments qui jusqu’ici faisaient le caractère et l’identité de Prurient, on les redécouvre pas très subtilement enrobés dans une couche de propre à la limite du dragéifié. Pourtant ce disque a été enregistré comme la plupart de ces prédécesseurs dans le studio d’Hospital Productions et avec l’aide de Kris Lapke qui a déjà collaboré de nombreuses fois avec Prurient (sur les Albums Black Vase, Arrowhead, etc). Evidemment, la musique que Prurient fait toujours (un tout petit peu) mal et si on ne connait pas les travaux précédents du groupe on pourrait tout simplement trouver les neuf titres de Bermuda Drain aussi cauchemardesques que bruyamment merdiques.
Il s’agit donc bien d’un changement d’optique mais l’aspect le plus marquant de celui-ci réside dans la teneur des compositions… et c’est parti pour une énumération aussi fastidieuse que dégoutante : les synthétiseurs très Blade Runner et la narration proprette de Saturday, May 15th – pourtant annoncé par un hurlement ultrasaturé et symptomatique de Dominick Fernow –, la ryhtmique EBM de A Meal Can Be Made (Prurient ressemble alors à un croisement entre DAF et Front 242), la joliesse spectrale de Bermuda Drain, la cinématographie indus de Watch Silently (qui heureusement fini un peu mieux qu’il n’avait commencé), le ridicule apprêté de Palm Three Corpse (encore pire que sur Bermuda Drain, surtout lorsque le chant passe en mode braillé), à nouveau de l’EBM semi terroriste avec There Are Still Secrets, le retour de Vangelis sur Let’s Make A Slave, une (vraiment très vague) imitation de Coil sur Myth Of Sex et encore une narration, cette fois-ci sur fond de grandiloquence ridicule, avec Sugar Cane Chapel.
Alors oui, on soupçonne bien à l’écoute de Bermuda Drain que Dominick Fernow avait la volonté de faire et de dire quelque chose d’autre, quelque chose assurément de très profond et qui sans doute lui tenait à cœur. Mais on n’arrive absolument pas à savoir ou même à deviner quoi. Bermuda Drain est une sorte de puits sans fond, de vide abyssal, de néant amorphe d’où rien, et surtout pas un quelconque intérêt, ne pourrait ressortir. Jusqu’ici Dominick Fernow/Prurient était un chouette petit musicien à gimmicks rétrogrades – comprenez qu’il imitait non sans talent quelques musiques extrémistes nées il y a entre trente et vingt années – mais, maintenant que sa musique ne s’apparente plus à une irruption de vomi et de merde explosive et de tous les instants, il ne nous reste plus qu’à tirer la chasse et à tout oublier.