lundi 31 octobre 2011

Report : The Good Damn à L'Epicerie Moderne (26/10/2011)





Voilà une histoire qui a commencé comme une bonne petite blague alors que par pure provocation j’avais lâché cette pitrerie un brin fielleuse précisant que si je devais me rendre à l’Epicerie Moderne pour assister au concert de The Good Damn, j’en repartirais immédiatement après, sans attendre que le petit groupe faisant office de tête d’affiche ait même commencé à jouer. Lorsque l’invitation en forme de « tu n’as que de la gueule sale con et t’es même pas cap’ » est tombée, je me suis soudain presque senti pris au piège de mon propre jeu mais, après tout, oui… pourquoi pas ?
Je me rappelle assez amèrement avoir raté il y a un peu plus d’une année – pour des raisons totalement inavouables ici et alors que j’avais pourtant la ferme intention de m’y rendre – la release party de I Can Walk With My Broken Leg, le premier album (autoproduit) de The Good Damn. Alors, voilà… je ne voulais vraiment pas rater le groupe une nouvelle fois et je n’ai pas été très long à mettre en place un plan d’action résolument diabolique et millimétré : trouver impérativement quelqu’un pour surveiller les gosses parce que leur mère avait également quelque chose de prévu ce soir-là, envisager très sérieusement de me rendre tout seul comme un grand en voiture à l’Epicerie Moderne – parce qu’il me faudrait en repartir de bonne heure – et donc perdre du temps sur des sites internet me proposant des itinéraires tous plus balèzes les uns que les autres pour me rendre de la maison à Feyzin – oui je déteste conduire et en plus je suis encore un jeune conducteur, avec un A rouge au cul.




J’ai tellement bien préparé mon voyage jusqu’à l’autre bout du monde de l’agglomération lyonnaise que je suis logiquement arrivé terriblement en avance, avant même l’ouverture des portes. Ce qui m’a permis de me garer sans encombre et en marche arrière sur le parking de l’Epicerie Moderne, parking de toute façon encore plutôt désert à cette heure-ci. Je ne risquais donc pas d’accrocher une autre voiture et un instant j’ai même cru que j’avais enfin annihilé cette psychorigidité maléfique qui me paralyse totalement à chaque fois que je dois effectuer une manœuvre imbécile avec le veau qui me sert de voiture.
Il me restait alors une heure à perdre, j’en ai profité pour retirer mon invitation* au guichet, j’ai papoté un peu avec les quelques trop rares connaissances déjà présentes puisqu’il n’y avait pas encore foule, le public n’étant pas encore arrivé (normal, lui il connait la route pour venir), j’ai consommé un peu d’alcool au bar alors que c’est vraiment très mal de boire lorsqu’on conduit et que l’on est un adulte responsable et aux toilettes j’ai comme par hasard croisé une affiche subtilement apposée juste au dessus des urinoirs, une affiche qui me confirmait définitivement que la bonne place de Chokebore est bien aux chiottes. La salle de concert proprement dite a enfin ouvert ses portes et il n’y avait plus qu’à attendre encore un peu, adossé à la scène, que tout commence.




[…]

Je sais que désormais The Good Damn** sont quatre puisque le line-up a été élargi avec l’arrivée de Xavier (ex-bassiste des regrettés Doppler) qui joue également du clavier. Une nouvelle recrue de choix… Je rêvasse un peu plus en inspectant distraitement la scène, constate qu’il y a trois micros pour le chant ou qu’un drap/écran a été tendu de façon irrégulière derrière la batterie. Je suis vraiment très content d’être là, de plus en plus même, et l’impatience me gagne presque. Je ne vais pas être déçu.
The Good Damn débarque enfin dans la pénombre alors que résonne le bruit que produit une pelle qui entame le sol pour creuser : on imagine très bien un fossoyeur alcoolique ou un cowboy en voie de clochardisation échappé d’un film de Sergio Leone et c’est d’ailleurs la même introduction que sur I Can Walk With My Broken Leg. Puis surgissent les notes et les chœurs de Redemption. Une entrée en matière préenregistrée et qui génère ce moment de grâce et de flottement irréel, cette attente juste avant que le concert débute réellement et finalement le tremblement qui parcourt l’échine alors que le groupe se met à jouer comme un seul homme. Comme une grosse onde de choc immédiatement suivie d’un frisson épidermique qui ne va tarder à se traduire en plaisir intense.




Le son vous saute à la gueule, massif et puissant, une vague imposante et une dynamique de feu, alors que le plaisir des yeux est lui aussi total : The Good Damn joue avec un éclairage réglé volontairement bas, quelques fumigènes mais pas trop et parfois des éclairs intenses de lumière qui viennent sporadiquement illuminer la scène de contrastes aveuglants, dessinant de drôles de motifs distordus sur l’écran et surtout ajoutant toujours plus d’énergie sur scène – mais bien souvent les quatre musiciens de The Good Damn n’étaient que des ombres assez mystérieuses apparaissant à contre-jour, des ombres magnant des flux invisibles mais impérieux, tels des magiciens magnétiques.
Difficile maintenant de mesurer techniquement tout l’apport d’un quatrième membre supplémentaire ; si on n’entendait pas toujours distinctement les lignes de basse de celui-ci on ne pouvait par contre qu’être persuadé qu’il était bien pour quelque chose dans cette épaisseur nouvelle des compositions de The Good Damn, lesquelles n’en manquaient pourtant pas au départ (il s’agissait même d’une des spécificités les plus flagrantes de The Good Damn et de I Can Walk With My Broken Leg : générer sans bassiste ce son si dense, incarné et si chaud). Le groupe a ainsi joué quelques uns des meilleurs titres de son album dans des versions transfigurées et rehaussées (The Hill, Self Made Man) mais il a également interprété nombre d’excellents inédits et donc toutes nouvelles compositions, toujours dans une veine swamp/noise blues décadent et mystique. Surtout le groupe paraissait soudé en une seule entité dans un fracas ahurissant de beauté convulsive et sublimée.

[...]

Je suis ressorti de la salle comme dans une sorte de rêve mais constatant avec horreur que les fans de Chokebore avaient fini par arriver en force. Je suis reparti aussitôt, prenant trop précipitamment avec mon bovin automobile la mauvaise route et mettant un petit moment avant de me rendre compte que j’allais en direction de Vienne au lieu de retourner sur Lyon. J’ai grillé au moins un feu rouge, raté l’entrée du périphérique et je suis logiquement arrivé en retard pour récupérer les gosses. Je me suis fais un peu tirer par les oreilles, merde.
La suite du concert vous pourrez toujours la lire chez l’ami Dark Globe dont l’amour fanatique pour Chokebore est au moins proportionnel à ma mauvaise foi et ma détestation pour ce groupe largement surestimé – mais dont j’avais pourtant vu une bonne prestation au Pezner, il y a vraiment très longtemps. Vous pouvez également regarder l’une des nombreuses vidéos du concert qui déjà fourmillent sur le net. Enfin vous pouvez admirer les photos qu'à prises Ra² (The Good Damn ici et Chokebore ) et qui seront toujours mieux que les miennes.

* et merci beaucoup, vraiment
** pour tous les abonnés à Facebook c’est par ici que ça se passe

dimanche 30 octobre 2011

Alone With King Kong / The Hardest Step





C’est dimanche et on s’emmerde. Alors on remet dans la machine à musique le premier album d’Alone With King Kong pour bien vérifier que l’on ne s’était pas trop planté la première fois à l’écoute de Three Hats On One Head, le premier EP du jeune homme, déjà publié chez Chez Kito Kat. C’est que la pop – on l’a déjà dit maintes fois mais on aime bien le répéter, question de prestige à la con et de fausse réputation d’inoxydable – ce n’est pas du tout le truc de 666rpm et de son incontournable service Hygiène Et Ethique Musicale, mis à part une petite poignée de groupes essentiels tels que les Smiths (et oui…) et quelques vieilleries sixties américaines (Byrds, Electric Prunes) ou britanniques aux premiers rangs desquelles figurent les irremplaçables Kinks et bien sûr les Beatles.
Et c‘est une nouvelle fois précisément sous cet angle là – celui des Fab Four – que The Hardest Step a réussi à gagner ses galons par ici : No Place For Indians, sublime balade, composition d’une grande finesse, dotée d’arrangements précis et racés, possède assez de qualités pour être confronté au meilleur du meilleur – y compris au niveau de cette petite mélancolie indicible qui s’évapore subrepticement à chaque coin de phrase musicale. Bravo. Le reste de l’album s’affranchit pourtant presque totalement de l’influence liverpuldienne et s’épanouit dans une pop plus charpentée pleine de phrasé et sautillante, guillerette et parfois un peu trop précisément évidente. Il n’y a aucune trace de faiblesse chez Alone With King Kong mais il y a aussi un peu trop d’huile dans les rouages. Lorsque le songwriting est à la hauteur de la mise en forme on frise le double effet kiss cool – The Hardest Step, enregistré avec les copains de Twin Pricks, est l’autre hit intergalactique du disque – mais lorsqu’il n’arrive pas à prendre le pas sur la réalisation proprement dite, on sent quelques ficelles, certes bien placées.
Cela est sûrement du au fait que derrière Alone With King Kong il n’y a qu’un seul homme, méthodique et peut être même monomaniaque, qu’il joue de tous les instruments (voix, guitare, basse, claviers, batterie, trombone ou glockenspiel) et qu’il ne se fait aider que par une section de cuivres (tuba, cor, trompette), d’un batteur, d’une harpiste d’une violoniste et d’une violoncelliste. Quoi qu’il en soit The Hardest Step finit toujours par vous avoir par surprise, sur les deux compositions déjà mentionnées mais aussi sur les excellents Fucked Up – je n’ai jamais pu résister à des handclaps bien placés – et All We Deserve (Is To Die). Le reste peut être d’une efficacité redoutable (Down In The Basement Again) ou précisément intimisme (Two Hearts, One Ribcage).

vendredi 28 octobre 2011

Les Louise Mitchels / Trop Bon Trop Con





Un nouveau disque des Louise Mitchels ! Le groupe annonce dans le livret que Trop Bon Trop Con est déjà son cinquième enregistrement. Je veux bien le croire mais ce dont je me souviens surtout, c’est de Es Hat Uns Spass Gemacht, son prédécesseur. Trop Bon Trop Con est directement dans la lignée de celui-ci, même musique, même formation guitare/basse/batterie, même humour gras mais à froid qui finit toujours par déborder*, même soin dans la présentation.
Le fan de base ne sera donc pas dépaysé, le nouveau venu ne pourra être que séduit. Les Louise Mitchels c’est du rock complètement instrumental d’apparence très technique, très austère et très mélodique. On ne peut qu’acquiescer au fait que ces trois jeunes gens jouent comme des brutes et savent s’en donner les moyens. Or, bien que le tricotage soit de rigueur, il n’y a pas d’effusions démonstratives et de frigidité mathématique à déplorer ici. Fort heureusement.
La basse sert de turbocompresseur au trio et les Louise Mitchels c’est un peu comme une démonstration de force et de conviction qui ne veut pas s’en donner l’air. De la rigueur au service du plaisir. Musicalement on oscille dans un bordel subtilement bien rangé de mélanges qui ne se correspondent pas forcément mais fonctionnent pourtant parfaitement bien ensemble. La musique est instrumentale on l’a dit, mais aussi et surtout noise, punk, elle possède un petit côté surf, passe d’un plan au ralenti à une accélération puissante sans sourciller et ne s’interdit toujours pas quelques clins d’œil au metal – comme Wesh Le Hardos qui démarre par un riff de Slayer et se termine comme le Seek And Destroy de Metallica.
Trop Bon Trop Con comporte six titres enregistrés en deux prises directes, une par face. Le minimum syndical (parait-il) et sûrement le refus de perdre inutilement du temps et de l’argent en studio pour torcher un son ne pouvant que courir derrière une fausse idée de perfection. Mais la perfection les Louise Mitchels l’ont peut être bien atteinte en s’enregistrant dans ces conditions live, en captant toute l’énergie et la conviction dont le groupe est capable.

Trop Bon Trop Con a été publié en vinyle (12’ et 45rpm) sur le propre label des Louise Mitchels, Et Mon Cul C'Est Du Tofu ?, avec plein d’aide d’autres labels et amis (La Distroy, Attila Tralala, No Way Asso, Tocsin, D.T.Y. et Grand Master Steak). Il est en outre disponible en téléchargement intégral et libre. L’artwork vaut son pesant d’or, n’hésitez donc pas à cliquer ci-dessus pour agrandir et admirer le recto de la pochette. Et, tout comme le livret l’indique, « This didn’t happen with the help of state money for art, neither with help of hipster journalists » – ça tombe très bien, il n’y a pas de journaliste chez 666rpm et je vous aime bien malgré tout les gars. Et merci pour la (vraie) photo de chevaux prise dans un zoo**.

* avec un speech d’introduction en début de face A qui vous rappellera vos disques d’enfant
** et j’imagine qu’une photo d’animal à chaque fois différente a été glissée dans chaque exemplaire de Trop Bon Trop Con

jeudi 27 octobre 2011

Pre / Third Album







Après l’album tassé sur un 12’ qui tourne en 45rpm, voici l’album qui tiendrait miraculeusement sur une rondelle de 7 pouces… comme son nom ne l’indique pas, ce nouveau disque de Pre est en fait un EP de cinq titres seulement. Et, pour faire court, il n’y a strictement rien de nouveau ici. Pre excellait dans l’imitation – en plus rock’n’roll – de Melt Banana et c’est toujours le cas. Ces anglais et leur chanteuse japonaise en petite culotte ont tout carotté à leurs illustres ancêtres nippons, à commencer par le chant féminin ultra aigu et ultra hystérique, les rythmiques au taquet, les guitares qui cisaillent (et dans lesquelles on trouve parfois une autre influence antédiluvienne : Arab On radar). Skingraft est toujours le label grâce auquel Pre a encore une fois obtenu l’immense privilège et le droit de publier ses enregistrements et il faut bien admettre que cette ex maison de prestige n’est plus bonne qu’à ça : produire – rarement – des disques qui ressassent de façon honorablement conforme mais sans génie ni aucun frisson toute une partie de son passé révolu.
Les cinq titres de Third Album, sans se départir totalement du côté poppy-pute habituel de Pre, délivre toutefois une musique bien plus tendue et agressive que celle du précédent Hope Freaks. Presque taillée au cordeau, même. Pas trop de chœurs fédérateurs mais toujours du peepshow à la limite du grand-guignol et de la bienséance arty – oui parce qu’avoir l’air dépravé et complètement branque tout en restant propre sur soi est un art à part entière et les cinq Pre y excellent toujours autant. Mais là, il y a quelque chose de plus… une nervosité autrement plus directe et plus resserrée que l’élastique des petites culottes de la chanteuse. White Castle avec ses enchainements à la batterie bien frappadingues de même que ses trois demi-frères Dweller, Cold et Love Peace & Hair Grease sont à compter parmi les toutes meilleures compositions de Pre. Voilà, c’est dit, Pre a correctement assuré son service minimum avec au moins (mais cette fois-ci un peu plus) un bon titre par disque. Pour finir, et pour faire plaisir aux gens qui ne peuvent pas faire autrement que de porter des lunettes, signalons que c’est leur maître à tous, Steve Albini, qui a enregistré Third Album, chez lui à Chicago.

[…]

Mais attends… en fait ce disque n’est pas tout à fait fini. Mark Fischer et Skingraft nous avaient déjà fait le coup pour le  Dustin’ Off The Sphynx de Aids Wolf : sur la version CD de Third Album il y a huit titres en plus – le label vend même une version 7’ + CD du disque pour satisfaire à la fois les fétichistes et les complétistes. Et ces huit titres, portant la longueur de Third Album à 23 minutes, sont très loin d’être des fonds de tiroir affublés d’un son innommable (même si la plupart d'entre eux étaient déjà disponibles sur des vieux singles et autres splits de Pre, je laisse aux archéologues le soin de déterminer quel titre figurait sur tel ou tel disque). Un certain Westminster Brown – en fait c’est lui qui avait déjà enregistré Epic Fits, le premier album de Pre – est le responsable de ces sessions supplémentaires et donc de la qualité de l’enregistrement… et il écrase le morveux de Chicago en un tour de main : jamais Pre n’avait aussi bien sonné, méchamment et durement.
Et puis – magie de l’enregistrement ? – le côté fun disparait presque complètement et Pre signe là et pour la seconde fois sur ce disque quelques-unes de ses meilleures compositions : Dead Peny (sur lequel on n’aura pas manqué de remarquer la présence d’un orgue et des plans de guitare plus étoffés et donc inhabituels pour Pre), Swollen, Silver Skull, Loughing ou Big Dique – un clin d’œil à Aids Wolf ? – et sa fausse fin. Même Treasure Trail, Duncan Banus et Goof, que l’on pourrait tous qualifier de basiquement typiques de Pre, attirent l’attention. On se demande pourquoi ces huit titres n’ont pas bénéficié d’une vraie sortie à part entière, genre une compilation de singles en bonne et due forme, ils auraient pu constituer un chouette 12’ et on doit bien admettre que grâce à eux Third Album n’est pas que le meilleur disque de Pre, il est aussi un bon disque, tout court.

mercredi 26 octobre 2011

Winter Family / Red Sugar





Voici enfin Red Sugar, le nouvel album de Winter Family. Le duo, composé de la chanteuse/parolière Ruth Rosenthal et du multi-instrumentiste Xavier Klaine, joue une musique spectrale à la tristesse lancinante et aux échos parfois cristallins, bien loin de l’exubérance gothique et des flonflons mortuaires. Winter Family est un groupe intimiste et recroquevillé mais à la puissance d’évocation semble-t-il sans limite et aux résonnances intactes, résultat éprouvant et que l’on pourrait donc considérer comme un exploit : avec une réelle économie de moyens – une voix, le plus souvent en mode parlé, un harmonium ou un piano, rarement des percussions, parfois des chœurs, quelques cordes, quelques samples – et, surtout, sans aucun effet de manche à la théâtralité exagérée, Winter Family joue la musique la plus dramatique possible, c'est-à-dire celle qui nous parle de la vie.
Derrière, tout à fait logiquement, nait l’espoir. Même si les thèmes abordés sont très sombres – on se rappelle très bien de Auschwitz, sur l’album précédent du duo, traitant de l’enfer nazi et de la Shoah –, l’insupportable et l’indicible sont précisément évoqués dans un acte artistique protestataire mais se passant de toute confrontation et qui relève à la fois de la douleur et de la libération. Red Sugar semble toutefois moins sombre et plus apaisé que ses deux prédécesseurs – un double CD paru en 2007 chez Sub Rosa ou le LP Where Did You Go My Boy paru un peu auparavant, les deux ayant beaucoup de titres en commun – mais voilà un album tout aussi criant et tout aussi émouvant.
Question musique Xavier Klaine compose toujours des accompagnements d’une simplicité élégante et touchante : beaucoup de piano, parfois du glockenspiel – ce qui donne un côté boite à musique pour enfants – et de l’harmonium. Même les quelques musiciens invités ne sont pas là pour trop étoffer ce qui doit rester aussi dépouillé et nu que possible. Ruth Rosenthal, elle, ne chante que rarement pour ne pas dire jamais. Elle parle, enveloppe ses litanies en compagnie d’un peu de sable crissant dans du papier de soie et elle n’hausse le ton que lorsque cela ne s’avère que strictement nécessaire. A son sujet on pense de moins en moins voire plus du tout à Diamanda Galas – quelques cris stridents tout de même sur le central Dancing In The Sun – et de plus en plus à Nico dans sa période Marble Index, pas pour le côté lysergique et désespéré, mais bien pour cette force malgré tout. La plupart du temps les paroles sont en anglais mais également en hébreu. On regrette que cette langue, rocailleuse et à la musicalité mystérieuse, ne soit pas un peu plus utilisée, tant elle génère des couleurs inédites ou tout du moins beaucoup trop rarement entendues. Un très beau disque.

Red Sugar est disponible en double vinyle – pochette gatefold – chez Alt Vinyl records. La version CD est publiée par Sub Rosa et Ici D'Ailleurs.

mardi 25 octobre 2011

Årabrot / Solar Anus





Solar Anus, cinquième album d’Årabrot, peut être bien le quinzième enregistrement tous supports confondus en moins de dix années de la part des norvégiens, démarre par le morceau titre, comme une longue menace, sans aucune équivoque ni aucun répit. Nous sommes prévenus, nous pauvres profanes, si nous n’obéissons pas il va nous en cuire. Huit minutes de torture à froid, de laminage auditif et d’absence totale de compassion. La fête du slip sauf que le slip est en cuir, clouté, et que la pointe des clous est dirigée vers l’intérieur.
Årabrot était déjà allé très loin avec ses deux précédents albums, un The Brother Seed spectaculaire en 2009 puis un Revenge tentaculaire et presque génial en 2010, parus tous les deux sur Fysisk Format, coup sur coup, marquant l’accélération remarquable d’un groupe alors en plein essor créatif. Malheureusement Solar Anus marquerait lui plutôt un coup d’arrêt dans la progression d’Årabrot, surtout après les quatre faces du démentiel Revenge. La lourdeur, la lenteur, le sadisme du premier titre de Solar Anus n’y changeront rien. On n’y croit pas vraiment. Ou plutôt on y croit beaucoup moins. Comme si Årabrot s’était laissé gagner par le côté le plus trivial de ses influences metal. Du metal il y en a toujours eu énormément dans la musique des norvégiens mais là on sent comme quelques relents de caricature. Et pas des moindres. Le côté Noxagt sous influence noise a beaucoup perdu. Le côté Entombed imitant les Melvins a pris le dessus (Nubile, le presque atroce Auto Da Fe, l’affreux plagiaire Odine).
Si on devait résumer les huit titres de Solar Anus, on dirait que le côté torturé et salement malsain a été partiellement gommé au profit d’une trop grande simplification des compositions, d’une insistance dans la répétition des mêmes motifs, des mêmes riffs, jusqu’à l’étourdissement, la perte de connaissance. Or on ne peut que constater qu’Årabrot est bien plus doué pour la fraiseuse électrique à tête chercheuse – même tournant au ralenti dans les crânes – que pour le laminage des vertèbres au marteau-pilon. On regrette les quelques diversions chaotiques que le groupe savait si bien mettre en œuvre. On regrette ce lyrisme de noirceur plombée qui montrait parfois le bout de son nez, pour mieux nous mordre ensuite.
A la place, Årabrot – semble t-il réduit à seulement deux membres : le chanteur/guitariste et compositeur en chef Kjetil Nernes et le batteur Vidar Evensen – a décidé d’aller à l’essentiel mais y a trop perdu en carnation. Il n’y a plus de basse* (mais du gras ajouté parce que le guitariste a du doubler son amplification par un ampli basse), absence à peine compensée par les bidouillages – lesquels étaient très importants sans être non plus envahissants sur Revenge. Mine de rien, il n’est pas donné à tout le monde de jouer une musique lourde et oppressante sans la magie écrasante d’une quatre cordes en bonne et due forme. Et Årabrot n’y est pas totalement parvenu, surtout sur toute la seconde moitié du disque qui est d’une faiblesse généralisée assez consternante. Solar Anus n’est certes pas un mauvais album – il est même très supérieur à 95 % des disques publiés ces derniers temps – mais il est juste extrêmement décevant et beaucoup moins imaginatif que ses prédécesseurs. Tant pis.

* alors que lors d’un récent concert, les Årabrot étaient bien quatre sur scène, avec une bassiste (Åse Røyset, elle joue aussi dans Deathcrush) et en bonus l’habituel Stian Skagen aux machines et synthétiseurs

lundi 24 octobre 2011

Headwar / Attacking Mars 17/10/09






Voilà qui est on ne peut plus explicite : Headwar Attacking Mars 17/10/09. Ce CD retranscrit en effet le concert donné en ce jour funeste par les amiénois à Marseille, plus précisément à L’Embobineuse, une salle dont le fonctionnement et l’excellente programmation rappelle – je parle pour les lyonnais, les plus vieux comme les plus jeunes – à la fois l’ancien Pezner et le futur ex Grrrnd Zero. Ah oui… je ne vais pas pouvoir m’en empêcher, un fois de plus, mais l’avenir de certaines salles et de certains lieux à Lyon s’annonce tellement incertain que cela fait vraiment mal au cœur.
Mais revenons-en à Headwar. Le groupe est un vrai phénomène en concert mais il est également capable de publier des enregistrements studio plus maîtrisés, plus étoffés et plus affinés – tel l’excellent Hopital Torture Punition IV. Pour celles et ceux qui préfèrent tout de même la version apocalyptique as fuck et en concert d’Headwar, Attacking Mars est l’une des meilleures solutions à apporter à leurs oreilles et à leur soif de chaos. Car ce énième enregistrement live du groupe montre un Headwar au mieux de sa forme, c'est-à-dire lors d’une prestation époustouflante et complètement hors limites. Ces dernières années les quatre musiciens sont parvenus, ce qui est plutôt devenu rare voire exceptionnel à notre époque chargée en redondances musicales, à générer un monstre sonique et destructeur, hurlant et psychotique, tout en réussissant à le contrôler et à le dominer parfaitement, à lui faire prendre la forme qu’ils souhaitent, à jouer avec lui, avant le blast-off complet. A l’écoute des huit titres d’Attacking Mars – dont beaucoup sont initialement tirés de deux démos d’Headwar compilées sur le LP Son Louche – on est ainsi littéralement scotché par la maîtrise naturelle du groupe, par le fait qu’il puisse en arriver là sans revendiquer quoi que ce soit, sans cette ostentation de branleurs ni objectifs ronflants et préétablis : Headwar est un vrai groupe d’enfants sauvages.
On se délecte alors de l’avalanche de hurlements, des guitares mi punk mi no wave, de la basse écrasante et de la batterie tentaculaire et tribale. Et de tous les enregistrements en concert disponibles d’Headwar, celui-ci est à ce jour et sans hésitation aucune le meilleur, peut être pas le plus fou, mais celui qui restitue le mieux la folie du groupe sur scène (ou plutôt par terre puisque Headwar joue toujours au milieu des salles concerts, entouré au plus près par le public). Le son et le rendu d’Attacking Mars sont particulièrement puissants et lourds et le résultat n’aurait peut être pas été aussi bon et expressif sans l’apport de Jens, le sonorisateur et âme damné de Binaire, qui a enregistré ce concert à L’Embobineuse.
Attacking Mars est en outre une production du Dernier Cri et cela signifie également qu’un soin tout particulier a été apporté à sa réalisation. Les illustrations sont du maitre Pakito Bolino, le livret se déplie en de nombreux volets et le tout a été sérigraphié bien sûr dans les ateliers du Dernier Cri, à Marseille. Si vous peinez à vous procurer l’un des 200 exemplaires de ce disque, ou si jamais il était déjà épuisé, sachez qu’il est également disponible en téléchargement libre.

dimanche 23 octobre 2011

Comme à la télé : 1991 The Year Punk Broke



C’est dimanche et on s’emmerde. Et en plus il pleut. Alors autant rester au lit et regarder une nouvelle fois 1991 : The Year Punk Broke. Comment ? Vous n’étiez pas nés en 1991 ? Ou alors vous n’aviez que 10 ans ? Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde. Je connais très bien quelqu’un qui lui aussi n’avait que 10 ans en décembre 1979 lorsque Joy Division a joué aux Bains Douches à Paris. J’en connais un autre qui était né de justesse lorsque les Stooges ont publié Fun House en 1970. Il y a des cas où on ne peut pas être et avoir été.
Réédité en DVD en ce mois de septembre 2011 par Universal – propriétaire de la marque Geffen –, 1991 : The Year Punk Broke, documentaire signé Dave Markey (qui sinon ne s’est guère illustré en tant que réalisateur) relate la tournée commune que Sonic Youth et Nirvana ont effectué ensemble au début de l’automne 1991. Rappel historique : à l’époque les Sonic Youth venaient de signer chez Geffen records, abandonnant le giron des labels indépendants, passant pour des sales traitres à la cause, se faisant insulter par les ayatollahs du bon goût et de l’éthique musicale, publiant pourtant avec Goo leur meilleur album tendance grand public ; Nirvana leur avait emboité le pas, quittant Sub Pop et s’apprêtant à publier Nevermind avec les conséquences désastreuses que l’on connait maintenant sur notre société déshumanisée. A noter que le même label vient également de rééditer Nevermind, album plus surproduit que jamais, en quatre CD s’il vous plait, mais profitez-en pour vous le procurer en vinyle puisqu’il a également été réédité sous cette forme et qu’il sonne moins pire mieux ainsi. Pour les trois CD de bonus, un coup de peer to peer devrait suffire. Et pour les geeks on peut aussi préciser qu’ils ne trouveront là rien de totalement inédit.




1991 : The Year Punk Broke joue donc à fond la carte de la nostalgie mais – phénomène mondial aidant – cette nostalgie touche plusieurs générations. Pour certains 1991 : The Year Punk Broke c’est ce témoignage d’un passé qu’ils ont vécu en vrai, cette madeleine qui fait chialer dans les chaumières tous les ex kids indés, trop vieux pour avoir été punk et/ou cold wave et qui a cet instant ne savaient pas encore qu’ils risquaient de finir emokids, la belle affaire. Pour tous les autres, et ils sont très nombreux, ce film représente un jalon de la culture rock, dans sa version soi-disant la plus « punk » et indie, un jalon comme le sont tous les groupes que l’industrie du disque n’a pas manqués d’enfermer et de ligaturer derrière les vitrines clinquantes du Rock And Roll Hall Of Fame. C’est ainsi. Sonic Youth est devenu le plus grand groupe indie de tous les temps et la récente séparation du couple Thurston Moore/Kim Gordon est vécue par les fans comme un véritable drame – puisque remettant l’existence même et l’avenir de Sonic Youth en cause (bref, je crois que je m’égare). Nirvana est devenu l’un des plus grands groupes de rock des années 1990 et son chanteur/guitariste/leader/compositeur s’est tiré une balle dans la tête, a fait l’objet d’un mauvais film de Gus Van Zant, de beaucoup de livres et n’a laissé derrière lui que le sentiment d’un grand gâchis mêlé à celui d’une surestimation notoire de son talent.
Tout ça, la célébrité et toutes les interférences qui en découlent, 1991 : The Year Punk Broke ne le montre pas mais donne au gentil spectateur l’impression de faire partie de l’histoire, d’être un privilégié, d’être dans le secret et de manier le sceptre magique qui transforme les rêves en réalité puis la réalité en gros tas de merde et enfin la merde en cauchemar. Sans doute inintentionnellement, 1991 : The Year Punk Broke a ce pouvoir de l’intimité rétroactive alors qu’à la base il ne s’agissait que d’un petit film de tournée publié en 1992 par les producteurs d’une maison de disques désireux de capitaliser sur le phénomène, vague, séisme Nirvana.
Mal filmé, mal monté, avec autant d’idées intéressantes en une heure que dans un épisode entier de Happy Days, 1991 : The Year Punk Broke montre Sonic Youth, Nirvana, Dinosaur Jr, Babes In Toyland, Gumball ou les Ramones (en fin de vie, pathétiques, sans Dee Dee, filmés de loin et heureusement complètement flous) sur scène. Toutes ces versions live sont pour la plupart excellentes mais les images sont souvent inutiles – comme dans le cas de Sonic Youth qui n’a jamais à proprement parlé été un grand groupe de scène – par contre avec Nirvana et Kurt Cobain elles nous montrent un groupe complètement rageur et parfois incontrôlable. Mais le groupe qui s’en sort le mieux c’est Dinosaur Jr qui le temps d’un The Wagon et surtout d’un Freak Scene démentiel écrase toute la concurrence. Sinon les extraits live sont entrelardés de scènes backstage et de délires divers pendant lesquels l’humour de Thurston Moore est aussi détestable que ce à quoi on pouvait s’attendre. Des gens comme Mark Arm et Matt Lukin de Mudhoney apparaissent aussi à l’écran mais malheureusement on ne les voit pas jouer avec leur groupe. Par contre cela fait toujours plaisir de revoir les Babes In Toyland.

samedi 22 octobre 2011

Grrrnd Zero toujours sur la corde raide...



[l’image est extraite du film Playtime de Jacques Tati]

Je reprends ici tel quel le texte de la news letter que le collectif de Grrrnd Zero a envoyé à ses abonnés le 18 octobre dernier. On y apprend une « bonne » nouvelle mais on y décèle aussi une amertume que je ne peux que partager.

En allant un peu plus loin dans la réflexion, on peut se demander à quoi cela sert concrètement de procéder à des réparations/aménagements dans un bâtiment sachant que Grrrnd Zero ne pourra pas y rester éternellement, devra quand même quitter les lieux fin 2012 et que les pouvoirs publics et responsables politiques ne proposent aucune solution de relogement pour après. Est-ce ce que l’on appelle une rustine en attendant que l’orage – et les élections municipales – passent ? J’en ai bien peur…

[…]

L'autre jour en allant poser un chèque de 87,81 euros pour 10h de manutention (soirée avec DJs au transbordeur...), je me disais que la musique de jeunes dans son ensemble pouvait se résumer à peu de choses : Avoir les moyens/se donner les moyens. Le reste c'est du travail. Ou du relationnel. Surtout ne jamais perdre de vue que beaucoup des gens en dehors de notre bulle n'en ont mais alors rien à secouer de nos préoccupations ; après une semaine de taf de merde, tout ce qu'ils recherchent c'est sortir entre potes pour « boire un verre » le week-end dans un lieu où on peut danser. C'est triste mais c'est comme ça. Le divertissement aide à supporter un quotidien bien glauque.

Reste une question : Que faire dans une ville comme Lyon quand on n'aime pas danser ?

Si on considère les DJs type Guetta comme des escrocs qui volent le travail d'honnêtes musiciens chômeurs ? Et surtout si on n’a pas un budget à rallonge pour la picole, voire qu'on s'en tape de la picole ? Vaste sujet plein de raccourcis faciles pour n'importe quel politicien à la veille des élections. A l'heure du bilan, on pourra toujours se demander s'il faut encore s'attendre à quelque chose comme de la reconnaissance de la part d'un maire socialiste. Nous n'avons pas la même idée du prestige.

Ce qui est beau dans le projet GZ c'est de pouvoir rassembler Coche Bomba et Fat 32 dans le même bâtiment. Un truc incontournable parce qu'improbable, qui dépasse la musique de jeunes. Reste le problème de l'espace. Même finalité toute discipline confondue : Au moins pouvoir continuer. Une chose est sûre, les gens ici sont quand même plus unis qu'au PS, dans ce vieux bâtiment pas si miteux que ça (« y'a pire » aux dires des agents techniques du Gros Lyon). Il n'y a que dans les boîtes à répèt qu'on trouve autant de diversité, à 200 euros par mois le local de 12m² tout de même. Même un assureur vous le dira : au delà des problématiques de responsabilité pénale, la musique de jeunes c'est aussi se battre pour des valeurs. Au nom des autres. Comme toujours dans le spectacle, les plus instruits sont là pour représenter. Les autres font bien comme ils peuvent. Mais surtout aujourd'hui, et ce malgré de profonds désaccords esthétiques entre les partisans du barré-3 accords et les défenseurs de la dodécaphonie atonale, tout le monde est concerné.

Et pas question de trier pour embarquer dans un futur bâtiment, d'abord sur quels critères ? En opposant les projets « en voie de professionnalisation » à ceux qui resteront des « amateurs » ?
Ce serait ça la culture à Lyon? Faire de la musique comme un loisir après le boulot ou postuler pour la couverture de Zyva ?

L'information importante, c'est qu'aujourd'hui le Gros Lyon nous accorde un sursis de quelque mois et quelques pansements que nous n'avons pas pu assumer ces 5 dernières années. Quelques travaux pour être un peu plus en sécurité. Le bâtiment va durer encore un peu, peut-être jusqu'à fin 2012 pour les divers locaux de travail ou répètes. Sauf qu'on s'en va après, et qu'aucun relogement n'est prévu pour la suite. Du moins rien qui corresponde à ce type d'activité dans son ensemble. Rien nulle part. Comme s'il ne restait aucun bâtiment pour ça. C'est tout ce qu'on peut attendre d'une municipalité socialiste dans une ville de droite ? Alors faut croire que toutes les ruines sont déjà vendues depuis longtemps. Ou pas. On verra. Ca nous laisse au moins un peu de temps et de confort pour préparer la suite.

vendredi 21 octobre 2011

Tom Bodlin / Palais Des Enfants






Je vais le dire tout de suite, comme ça ce sera fait, mais il y a quelque chose d’extrêmement rageant à propos de Palais Des Enfants, le deuxième album* de Tom Bodlin : ce garçon extrêmement talentueux a longtemps cherché un label pour sortir son disque, a frappé à de très nombreuses portes et a fini par se replier sur la solution de l’autoproduction. Des one man band prétentieux, péteurs et sans aucune idée intéressante qui sortent des disques sans originalité sur des labels sans clairvoyance aucune, on en entend parler tous les jours ou presque – or Tom Bodlin est absolument tout le contraire, il possède une fibre spéciale, son disque est une très belle réussite et c’est une pitié, une honte, un véritable scandale qu’absolument personne ne lui ait tendu la main.
Mais Palais Des Enfants est quand même sorti. Un CD gravé à seulement 200 exemplaires, un digipak presque entièrement conçu, élaboré et numéroté** par les petites mains de Tom Bodlin lui-même. L’objet est personnel et attachant, très beau avec sa sérigraphie effectuée par Pan!. L’amour du travail bien fait*** mais dans le bon sens du terme, celui qui se voit et qui donne envie pour la suite.
Tom Bodlin joue donc du saxophone. Il en a même plusieurs et même parfois des très gros comme ce baryton avec lequel il explose d’ordinaire le noise blues de Café Flesh, son autre groupe, particulièrement apprécié également. Il joue aussi du saxhorn alto – un peu comme un saxophone, parce que son tube est conique, mais avec des pistons –, du mélodica, de l’harmonica, des percussions et quelques autres trucs qu’il serait sans doute trop long à énumérer… et bien sûr il chante.
Les compositions sont à base de boucles que Tom Bodlin superpose, entrecroise, sépare, rajoute, mélange, etc. Un vrai cirque. Et une vraie vision aussi, quelque part entre le cabaret blues d’un autre Tom (Waits), les délires d’une fanfare lunaire pour chiens d’aveugle, quelques valses de dingues et une poésie toute rutilante, celle qui vous donne envie de boire un autre godet/pleurer dedans/chanter un bon coup pour s’en remettre/recommencer parce que c’est trop bon. La volubilité est très souvent de mise, on l’aura compris, envahissante et communicative, mais il y a aussi des titres comme ce 31 Rue De L’Avenir qui révèle une douce mélancolie – de celle avec laquelle on accepte de se laisser faire – et que l’on retrouve de façon plus évasive sur I Want To Kill You Before I Die. Palais Des Enfants est plein de (bonnes) surprises comme ces rythmiques vocales, ce tribalisme fanfaron, quelques citations déguisées ça ou là (il y a même du James Bond sur Cat), une profondeur malgré les apparences d’une déconnade assumée.
Et surtout on peut dire que Tom Bodlin s’en sort très bien avec son dispositif : le problème lorsqu’on se sert d’une pédale sampler c’est de risquer de construire ses compositions un peu toujours de la même façon et de risquer également l’essoufflement. Palais Des Enfants échappe à la monotonie parce que, précisément, chaque titre reste court et avec suffisamment de gimmicks et de trouvailles pour demeurer haletant et que, d’un titre à l’autre, les couleurs changent, les reflets bougent et les cuivres semblent sonner différemment. Bravo.

* le tout premier, Sea Train, n’est disponible qu’en téléchargement libre sur le site de Furne records
** j’ai eu le #68, merci beaucoup…
*** notre homme est même luthier à Nantes dans la vraie vie

jeudi 20 octobre 2011

Mesa Of The Lost Women / I Remember How Free We Were






Mesa Of The Lost Women* est un duo composé de Yves Botz à la guitare et à la voix ainsi que de Christophe Sorro à la batterie et aux effets. Le premier a fricoté avec Soixante Etages et du côté des Dustbreeders, tout comme le second, si mes souvenirs sont bons. I Remember How Free We Were est un album souvenir, semble-t-il la toute première publication de Mesa Of The Lost Women, et est édité par le label parisien Premier Sang (Sister Iiodine). Surtout I Remember How Free We Were regroupe deux enregistrements différents captés en concert. Enfin, lorsqu’on dit « enregistrement » il s’agit plutôt du repiquage de la bande-son de deux vidéos des dits concerts. La première a été tournée en juillet 2005 à Metz par Guillaume Marietta – oui, le petit gars de The Feeling Of Love, d’ailleurs à l’affiche ce jour là il y avait également A.H. Kraken, son ancien groupe. La seconde a été captée deux ans plus tard, en octobre 2007, au Caveau des Trinitaires, toujours à Metz. Le son de ce LP est donc aussi pourri, primitif, brut et granuleux que ce que laissent supposer les caractéristiques techniques de son enregistrement mais, en même temps, le résultat est du genre parfait car on aurait beaucoup trop de mal à imaginer une telle musique captée proprement avec rien qui dépasse ou qui bave.
Sur la première face, Bunker, les Mesa Of The Lost Women sont trois parce que le duo est accompagné d’un percussionniste supplémentaire (Thierry Dells). Le free rock du groupe, comme s’il avait besoin de ça, devient encore plus tribal et incantatoire mais ce qui vous saute littéralement à la gueule ce sont les assauts de Yves Botz à la guitare, lequel tire à vue sur tout ce qui bouge à la fuzz, à la distorsion et à la wah-wah tel un Ron Asheton qui serait resté bloqué sur un acide pendant les sessions d’enregistrement de L.A. Blues (de l’insurpassable album Fun House des Stooges, bien sûr). Les deux percussionnistes/batteurs se font plaisir, à nous aussi d’ailleurs, mais cette débauche de larsens et de saturation sont le bonheur suprême de la première face de ce LP.
On retourne le disque… et les Mesa Of The Lost Women sont à nouveau trois puisque Junko (de Hijokaidan) s’est invitée à la fête. Elle aussi a beaucoup trainé – et enregistré – avec Dustbreeders. Caveau n’a rien à envier à Bunker question déferlante sonore mais il faut rajouter l’effroi en plus puisque Junko, comme à son habitude, hurle (presque) tout du long comme si elle était en train de se faire torturer à mort. Même sans avoir l’image, juste en entendant ses cris, on ressent tout le dégoût fasciné que provoquent ses performances hors limite. Finalement la face Bunker était plutôt reposante.

* il y a une référence cinématographique derrière le nom de ce groupe… allez, je t’aide un peu

mercredi 19 octobre 2011

Hella / Tripper





Hella est de retour… près de quatre années après There’s No 666 In Outter Space. Un album controversé qui – c’est le moins que l’on puisse dire – aura divisé les foules. Les raisons en étaient simples mais rappelons-les malgré tout : sur There’s No 666 In Outter Space Hella jouait avec un line-up élargi à cinq c'est-à-dire avec une guitare additionnelle, une basse et surtout du chant, souvent jugé calamiteux – encore pire que celui de Cedric Bixler-Zavala, c’est tout dire. Fait assez rare dans l’histoire de la musique, le duo guitare/batterie de choc s’agrandissait alors et expurgeait toute une partie de son passé pour proposer autre chose, pas en complet décalage, non, mais suffisamment différente pour faire hurler les puristes. Mais même celles et ceux qui parmi les anciens fans du groupe avaient apprécié There’s No 666 In Outter Space et son space rock gentiment noise et bancalement admissible ne pouvaient également que reconnaitre que cet album était bien en deçà des précédents disques de Hella – chacun a son préféré, à 666rpm on aime plus particulièrement les tout débuts du groupe, l’album Hold Your Horse Is, le split partagé avec Dilute chez Sickroom records et le EP Bitches Ain't Shit But Good People (avec un titre chanté, déjà).
Avec Tripper Hella est de retour à la formule duo – donc uniquement Spencer Seim à la guitare et Zack Hill à la batterie – et semble-t-il prêt à en découdre avec ses vieux démons. Le groupe est quand même une référence sacrée en matière de math rock foutraque et désaxé et a ouvert maintes brèches dans lesquelles se sont engouffrés nombres de suiveurs, certains dépassant largement leur modèle. C’est que du temps a passé, on en a vus et surtout entendus beaucoup d’autres et ce retour aux affaires d’Hella est entaché, disons le franchement, d’une certaine complaisance due uniquement au glorieux passé du duo. Affirmons aussi qu’il va falloir qu’Hella en mette un sacré coup pour tenir la concurrence à distance et faire taire tous les petits jeunots qui marchent désormais sur les platebandes du groupe.
Or sur Tripper – publié par Sargent House – le miracle n’a pas lieu. Les résurrections c’est uniquement bon pour les obscurantistes religieux et avec ce sixième album Hella se retrouve le culte par terre. Rien de mauvais, rien de repoussant et rien de rédhibitoire mais que du banal, du rantanplan mélodique, des roulements incessants en mode automatique, du déjà entendu mais en beaucoup (beaucoup) moins bien et du gentiment foldingue. On a réécouté Tripper plusieurs fois et on persiste : ce disque est sympathique. Sympathique cela veut dire qu’on l’oublie dès qu’il est terminé, qu’il est aucunement excitant et – pire – qu’il ne donne pas vraiment envie de retourner voir un jour Hella en concert.
Cherchant ce qui a pu ainsi atténuer la flamme intérieure d’un groupe qui pourtant ne manquait ni de mordant ni de folie, on finit par comprendre que ce qui tue Hella sur Tripper c’est le sérieux clairement affiché. Beaucoup trop de sérieux. Spencer Seim et Zack Hill sont des musiciens très impressionnants mais, fort heureusement, ils jouaient aussi comme des patates. C’est l’exubérance, le côté chien fou et le punk as fuck qui faisaient tout leur truc. En mettre de partout c’est bien, mais à la seule condition de le faire comme des porcs, exactement ce à quoi arrivaient les deux Hella. A l’écoute de Tripper, surtout le dernier tiers du disque qui frise l’hypoglycémie caractérisée, on sait que Seim et Hill se prennent au sérieux, sont persuadés d’être des dieux alors qu’ils ne sont que des tâcherons qui besognent leurs instruments comme des abrutis de « vrais » musiciens. Or, en matière de folie musicale, il n’y a rien de pire qu’un musicien qui se croit arrivé sur un sommet, aveuglé par son « exploit » alors qu’il vient d’emprunter une voie qui ne peut que le mener que de plus en plus loin mais nulle part précisément, à la recherche d’un idéal d’instrumentiste qui n’existe pas, éternellement et en vain. Et il n’y a rien de plus barbant qu’un album aussi bêtement prétentieux que Tripper.

mardi 18 octobre 2011

Soixante Etages / Repli-K 07



Quelle surprise de voir Soixante Etages réapparaître fin 2010 avec un nouveau disque sous le bras… Repli-K 07 est le septième album du collectif qui en profite pour revendiquer 29 années d’existence. Aujourd’hui Soixante Etages est réduit au duo composé par Dominique Répécaud (guitares et bidouilles en tous genres, membre historique) et Bruno Fleurence (Accordéons, Trompettes, percussions, objets, etc., il a intégré le groupe pour son album ASBL en 2002), duo augmenté des participations de Heidi Brouzeng (voix, clarinette) et de Hervé Gudin (guitare) ainsi que du fidèle François Dietz à l’enregistrement et au mixage.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Depuis sa première cassette en 1986, Soixante Etages a vu passer dans ses rangs – en tant que membres permanents ou simples membres invités – des noms aussi importants dans le monde des musiques expérimentales que ceux de Jean-François Nodot (cofondateur du collectif en 1982 avec Dominique Répécaud), Daniel Koskowitz, Jacques Debout, Marie-Noëlle Brun, Olivier Paquotte, Yves Botz, Daunik Lazro, Michel Henritzi, Jérôme Noetinger, Laurent Daillau, Lionel Marchetti, Mathieu Champagne… j’en oublie très certainement mais on trouve dans Soixante Etages nombre de musiciens tournant autour du Centre Culturel André Malraux de Vandœuvre-Lès-Nancy et de son festival Musique Action (dont Dominique Répécaud est le directeur). On pourrait ajouter à cette énumération le groupe Etage 34 qui était une émanation directe de Soixante Etages composée de Dominique Répécaud, Daniel Koskowitz et Olivier Paquotte ainsi que le collectif Idiome 1238 réunissant quelques uns des noms cités ci-dessus mais également Fabrice Charles, Michel Doneda, Lê Quan Ninh et Jean Pallandre. Voilà pour les présentations mais on peut consulter sur le site du label 33revpermi* les différentes incarnations de Soixante Etages et tout l’historique du groupe.




La musique de Soixante Etages a toujours été changeante pour ne pas dire mouvante. Aucun disque du groupe ne ressemble à son prédécesseur et Soixante Etages a dans le passé exploré plusieurs pistes – parfois de façon contingente – telles que le rock in opposition, l’improvisation libre, le free form freak out le plus débridé, toutes les possibilités dissonantes de la guitare bruitiste… Si chaque disque du groupe a son identité propre – laquelle, on l’aura compris, est aussi diversifiée grâce aux apports des musiciens invités lors de l’enregistrement – on peut toutefois déterminer une patte commune : les voix déjà, souvent narratives (sur Repli-K 07 Heidi Brouzeng manie aussi bien l’allemand, l’anglais que le français et emprunte des textes écrits par Emily Dickinson ou Robert Walser), les guitares en combustion permanente et, plus généralement, cette façon de triturer les sons et d’en tirer des explosions soniques frissonnantes.
Car Soixante Etages a, d’une certaine manière, toujours été un groupe de rock… seulement voilà un groupe de rock qui ne se satisfait pas de chansons, de structures, de riffs et de compositions, aux sens classiques des termes. Toute tentative de mise en forme trop factuelle est même prise pour une atteinte à la créativité du groupe et seule la recherche sonore semble compter plus que tout.
Repli-K 07 est un disque étonnant de poésie sonore, de naïveté brute, de sons distordus, d’allers-et-retours dans des impasses (l’important c’est d’arriver à en sortir) et de reprises – The Blank Invasion Of Schizofonics de Pascale Comelade et Party Of Special Thing To Do** de Captain Beefheart. Blues, Repli-K 07 l’est certainement, dans le sens où voilà un album qui part toujours de traviole, ne se contentant pas de rendre un hommage à une musique antique – tout comme le blues des origines, celui d’un Blind Willie Johnson par exemple, reprenait des langages plus anciens encore pour en faire naître de nouveaux – et faisant sienne les perversions psychotiques et visionnaires du Capitaine Cœur De Bœuf. Lequel est à nouveau cité – en dehors de la référence évidente contenue dans le titre même de l’album – dans le titre de la dernière plage (Le Masque De La Truite) et dans les pages du livret : « Dino et Bruno sont dans un bateau. Le blues tombe à l’eau. Ils y plongent, avec leur masque de truite ».
Du capharnaüm de guitares, trompettes, notes d’accordéon, manipulations sonores et narration nait ainsi un hommage bancal – ou moins aussi bancal que celui qui l’a inspiré. Les intentions paraissent claires – Don Van Vliet/Captain Beefheart est mort le 17 décembre 2010, alors que s’achevait l’enregistrement, étalé sur quatre années, de Repli-K 07 – mais le résultat est imprévisible voire inattendu : Le Masque De La Truite convoque bruits de salle des machines et harmonica asthmatique : ce battement dans le fond pourrait bien être celui d’une vieille horloge égrenant à rebours les minutes qui s’envolent pour de bon.

* au passage tous les disques cités dans cette chronique sont disponibles auprès de 33revpermi – de Soixante Etages on ne saurait trop vous conseiller les albums Headproof Cauldrons For Wanglers (1990) et De Sa Bouche De Loup (1997).
** rien n’est précisé dans le livret mais le chant sur cette version de Soixante Etages aurait pu être le sample d’une piste originale enregistrée par Don Van Vliet, non ? à moins que ce ne soit encore Bruno Fleurence qui donne ainsi de la voix tout comme il l’avait déjà fait sur 6, l’album précédent de Soixante Etages, lors d’une reprise dûment charcutée du The End des Doors