jeudi 13 octobre 2011

Report : Aluk Todolo et Stephen O'Malley à Buffet Froid




 

Buffet Froid c’est ce nouveau disquaire, installé depuis cet été dans les anciens locaux de la librairie Grand Guignol au 81 Montée de la Grand Côte, dans le bas des pentes de la Croix Rousse à Lyon. Un disquaire qui m’impressionne toujours un peu car malgré le petit nombre de références proposées en rayon (c’est normal lorsqu’on débute), je n’en connais pas la moitié des trois quarts. Sûrement un bon signe puisqu’en même temps tous ces disques inconnus me font curieusement très envie – appelez ça  le syndrome du records geek si vous le voulez.
Comme à l’époque de Grand Guignol (et même avant) la cave de Buffet Froid accueille des concerts. Et ce soir, plus précisément, un concert évènement avec Stephen O’Malley (on ne le présente plus mais quand même : il a joué ou joue encore dans Sunn O))), Khanate, Burning Witch, KTL... et j’en oublie sûrement) et les obscurantistes d’Aluk Todolo qui reviennent pour la troisième fois en un peu plus d’un an. Ce concert s’inscrit dans le programme de délocalisation imposée plus connu sous le nom de « Grrrnd Zero Hors Les Murs » ou bien de « Grrrnd Zero Fait Du Camping Sauvage Chez Les Autres » depuis que ce haut lieu de l’activisme lyonnais est menacé d’expulsion. Ironie du sort, le même soir, Le Sonic accueille lui aussi un autre concert estampillé Grrrnd Zero avec Pierre Bastien. On imagine ce que cela aurait pu donner si ces deux programmations avaient pu être réunies comme avant, dans les locaux du collectif.



Bref. La cave de Buffet Froid étant d’une capacité limitée – cinquante places seulement – et le nom de Stephen O’Malley disposant d’une certaine aura, l’organisateur du jour a donc mis en place tout un système de préventes et de réservations. C’était bien la première fois de ma vie que j’achetais une place pour un concert Grrrnd Zero avant le jour même. Je ne me rappelle d’ailleurs même plus de la dernière fois où j’ai acheté une prévente et engraissé un site marchand de spectacles ou un magasin de disques (?) disposant d’un comptoir billetterie. Mais comme il était hors de question que je rate une nouvelle fois Aluk Todolo après avoir séché sur les deux précédentes venues du groupe, il a bien fallu malgré tout en passer par là. Et le jour même le concert était affiché… complet.
La cave de Buffet Froid est éclairée d’une seule ampoule blafarde mais celle-ci a été suspendue par un long fil électrique qui la maintient à 30 ou 40 centimètres seulement du sol. Cela donne une lumière très étrange et sale, projetant des ombres inhabituelles, et faisant ressortir les pierres de la voute. Un endroit idéal et une ambiance parfaite pour la musique d’Aluk Todolo. Le trio (de gauche à droite : basse/batterie/guitare) ne décevra pas tout au long d’un concert d’une heure et pendant lequel il a soigneusement mis en place son metal rituel et shamanique, teinté de kraut répétitif, bourré de modulation de feedback, aux vibrations incantatoires et sauvages malgré une totale absence de chant, pour lui faire prendre son envol et tutoyer les hautes sphères. Le début du concert était bon, le milieu excellent et la fin nous a transportés – nous, public – dans une sorte de transe terrifiante d’impétuosité déchainée. Signe qui ne trompe pas, les gens se rapprochaient petit à petit du groupe, doucement, se resserraient autour de lui, comme attirés/hypnotisés par un fluide invisible mais irrésistible.




Une fois ressorti à l’air libre, j’en étais à me dire que peu m’importait désormais le concert de Stephen O’Malley. Et plus j’attendais entre les deux concerts et plus je me sentais aller à une certaine torpeur post traumatique tout en me remémorant certains riffs entêtants et rythmes hypnotiques d’Aluk Todolo. Après un temps qui a semblé une éternité O’Malley a enfin terminer de finaliser son installation, est remonté de la cave pour inviter le public à l’y rejoindre et là, une fois redescendus, nous avons pu découvrir une montagne d’amplis menaçants et un étalage de pédales d’effet. Le tout dans une obscurité palpable.
Car le concert de Stephen O’Malley va se dérouler avec en guise d’éclairage uniquement la lumière des amplis, des diodes des pédales et celle du e-bow que le musicien utilisera en deuxième partie de set. Il n’y aura guère que lorsqu’une main inconnue et mal inspirée appuiera malencontreusement sur un bouton et que la lumière jaillira brutalement dans la cave que l’on verra correctement tout ce qui s’y passe, on y verra surtout un O’Malley un peu agacé et tout prêt de s’arrêter de jouer.
Décrire la matière sonore et transcendée qui a constitué ce concert de Stephen O’Malley est, à posteriori, une tâche bien difficile. Il est sans doute plus aisé de parler des effets ressentis à ce moment là, durant quarante minutes, dans cette cave enterrée à la Croix Rousse. La façon dont le sol de béton s’est mis à trembler, faisant jaillir d’incroyables vibrations qui se mélangeaient à celles tout aussi violentes de l’air en des tourbillons incessants. Une expérience, extra-musicale, des enchevêtrements de sons qui vous creusaient le corps de l’intérieur comme si O’Malley jouait avec vous tout comme il jouait de sa guitare.

Une nouvelle fois la remontée de la cave s’est accompagnée d’un sentiment d’abandon abasourdi et d’accomplissement avec vue imprenable sur un grand sentiment de vide. Il était 23h30, bien plus tard que prévu (les concerts à Buffet Froid ne doivent d’ordinaire pas dépasser 22h30 pour cause de voisinage récalcitrant), c'est-à-dire surtout trop tard pour filer jusqu’au Sonic et assister à un bout du concert de Pierre Bastien, comme initialement prévu. Et puis l’envie avait totalement disparu, par crainte de ne pas pouvoir écouter, après une telle expérience, une musique qui soit, sinon à la hauteur, du moins capable de détourner l’attention aiguisée et le cœur gonflé du flot émotionnel qu’ils venaient de subir jusqu’à l’inconnu. Retour à la maison, donc, et incapacité tranquille de pouvoir dormir, comme si sommeil et éveil se confondaient en un même état.

[quelques photos dans le noir ou presque ici]