mardi 11 octobre 2011

Report : Gaffer Fest, day 2 - Dehors Pythagore!, FAT32 et MoHa!






Gaffer Fest, deuxième soir.  C’est les oreilles raisonnablement en choux-fleurs que je retourne gaillardement au Périscope, salle gentiment coincée dans l’un des quartiers les plus désincarnés de Lyon – en résumé : d’un coté il y a les voies ferrées et la gare de Perrache, de l’autre la voie express sur berge et enfin la gigantesque prison de Saint Paul désormais désaffectée mais dont on murmure qu’elle sera un jour ou l’autre reconvertie (à bon escient) en cité étudiante. La déprime totale mais un quartier entre deux eaux au sens littéral du terme, quartier assez symptomatique de ce que deviennent les villes européennes plus ou moins grandes entre réaménagements douteux, opérations immobilières de prestige, gentrification conquérante, installations et constructions high-tech (le nouveau siège de la région Rhône-Alpes n’est pas très loin et fait très mal aux yeux, de même que le « port » fluvial débouchant sur la Saône). A croire que les politiques sont vraiment persuadés que leurs concitoyens sont d’accord et contents à partir du moment où les centres villes sont équipés de pistes cyclables et de faux jardins zen tout propres en bois doré et béton alvéolé à chaque coin de rue, le tout entouré par des nœuds autoroutiers à péage – forcément.
C’est donc dans ce quartier de Perrache que se trouve le Périscope et c’est donc là que va se retrouver une foule conséquente – plus d’une centaine d’entrées au compteur – pour assister à un concert réunissant Dehors Pythagore!, FAT32 et MoHa!. C’est la grosse régalade qui continue…




Dehors Pythagore! est le projet solo de Gilles Laval. Il avait d’ailleurs participé à la première édition du Gaffer Fest or depuis je n’avais jamais revu le musicien en concert, gardant pour moi le souvenir d’un moment très riche et très intense. Il aura donc fallu la deuxième édition du festival pour que Gilles Laval ressorte de son trou mais, surprise, ce soir il n’est pas tout seul puisque accompagné d’une chanteuse/bidouilleuse – les plus perspicaces auront reconnu Hama Yoko que l’on a pu voir et entendre (par exemple) en juin 2010 au Sonic en première partie de Aki Onda.
L’association des deux musiciens est très enrichissante et passionnante. Yoko chante, murmure, onomatopète, vocifère et modifie sa voix selon son bon vouloir à l’aide d’un dispositif qui lui permet également de générer des sons autres (mention spéciale pour l’utilisation du flash d’appareil photo). A côté d’elle Gilles Laval est un vrai magicien, dans le sens noble du terme, expert de la guitare – l’avoir vu jouer avec Parkinson Square puis Chef Menteur m’en a persuadé depuis bien longtemps déjà – et alternant toutes sortes de techniques : il est l’un des rares à savoir utiliser un e-bow (et même deux à la fois) sans en profiter pour sortir de sa guitare les mêmes son que tout le monde, il utilise aussi différentes pédales d’effet ou des objets/outillages perturbateurs et jouera bien plus « classiquement » vers la fin du concert une sorte de blues intersidéral de toute beauté.
Les fantômes de l’improvisation libre et parfois aussi du drone ont largement hanté cet étonnant concert de Dehors Pythagore! mais pas seulement : le duo sait très bien diffuser vibrations et émotions, loin de s’adonner à la routine des musiques cérébrales trop sérieuses et qui ne peuvent – forcément – que s’écouter les bras croisés en regardant par terre. Un très beau moment, donc… en espérant ne pas avoir à attendre à nouveau deux années pour revoir Gilles Laval/Dehors Pythagore! en concert.  




C’est au tour des FAT32. Les deux petits gars sont bien remontés, leur premier album est enfin sorti chez Web of Mimicry (sauf qu’ils ne l’ont pas avec eux pour ce concert, ça c’est malin…) et de retour d’une énième tournée triomphale en support des Secret Chiefs 3. OK, là ils vont jouer devant leur public, vont multiplier les blagues potaches et transformer le Périscope en cour de récréation/bac à sable. Tous les morceaux que le groupe interprète et démantibule depuis des années et que l’on peut retrouver sur l’album sont rejoués ce soir une énième fois – mais FAT32 travaille dur en ce moment sur un tout nouveau set parce qu’il faut bien aussi passer à autre chose – donc on peut dire que le duo est en terrain conquis, avantage dont il ne se prive pas.
Seulement, on a beau connaitre par cœur les morceaux de FAT32, on a beau s’attendre à leur dialogue hip-hop, à leur partie de tennis électronique ou aux citations/collages de vieux standards tellement éculés et rabâchés qu’ils ne susciteraient d’ordinaire que de l’écœurement (A Whiter Shade Of Pale par exemple), on se laisse encore avoir par l’entrain de ces deux là, ce côté cirque à toutes heures et la formidable capacité de persuasion que leur donne une maîtrise instrumentale complètement folle. A la prochaine les gars.




Retour de MoHa! – c’est la troisième fois que les norvégiens passent par ici – et une certaine attente de ma part. Après avoir été littéralement emballé par un premier concert puis un tantinet déçu par le deuxième passage de MoHa! à Grrrnd Zero/Rail Théâtre, il me fallait bien remettre de l’ordre dans tout ça. Le concert au Périscope fut court mais intense. Très intense. Exit les passages introductifs ou servant de transition, passages entre magma collant et alliage métallique réfrigéré, aérant le propos à défaut de le servir correctement. MoHa! a interprété ce soir un set dans le plus pur style de son dernier disque en date, l’excellent split partagé avec Horacia Pollard chez Gaffer records.
Difficile toujours de cerner la musique de ces deux là, laquelle ressemblerait peut être à une grenade à fragmentation en train d’exploser sur le mode du mouvement perpétuel et dont tous les éclats métalliques viendraient éternellement vous ouvrir de nouvelles blessures comme autant de stimulations organiques, blessures ne se refermant jamais mais restant étonnamment exemptes de chairs déchirées, d’épanchements de sang ou d’os brisés. Tout est net, précis, chirurgical, cybernétique et d’un sadisme qui oblige à la pétrification rituelle des corps. Les éclairs lumineux lancés par les lampes surpuissantes et autres stroboscopes placés derrière le groupe en deviennent presque superflus : les grimaces qu’ils génèrent, tordant les visages, sont comme autant de masques fabriqués d’une cire bouillante qui vous lisse la peau comme le ferait un acide mortel.