lundi 19 mars 2012

Death To Pigs / Live At Karachi





Enfant attardé, jeune adolescent et même plus tard à l’âge adulte (mais refusant toujours de grandir), je croyais fermement que lorsque un membre important d’un groupe décidait de quitter le navire ou venait à disparaître plus ou moins tragiquement, le groupe en question  devenait forcément moins bon, moins estimable et donc moins digne d’intérêt et de vénération. A la poubelle pour ainsi dire.
Quelques sociologues experts en musique et en comportements fanatiques auraient sûrement désigné cette façon de penser du nom de syndrome de Bon Scott tant il est vrai que la mort de Ronald Belford Scott en 1980 a très nettement coupé en deux la carrière d’AC/DC. Mais j’ai d’autres exemples, pas toujours très reluisants il est vrai : Paul Di Anno expulsé d’Iron Maiden par le bassiste plénipotentiaire Steve Harris fin 1981 en raison de son alcoolisme forcené, John McGeoch qui se fait virer des Banshees en octobre 1982 (et pour les mêmes raison que Paul Di Anno), Simon Gallup lui aussi viré des Cure en 1982 après l’enregistrement et la tournée consécutive à Pornography, Ben Gunn remplacé par Wayne Hussey en 1983 au sein des Sisters Of Mercy, Rozz Williams qui disparait de Christian Death en 1985, Cliff Burton qui meurt dans un accident de tour bus le 26 septembre 1986, Fabrice Barthelon qui quitte les Ludwig Von 88 en 1987, Mac McNelly qui abandonne The Jesus Lizard en 1997, Xavier Keiser Théret qui se fait balourder d’Overmars pendant l’été 2009, etc. Et puis il y a également quelques solides contre-exemples : qui en a encore quelque chose à foutre en 2012 que dans Napalm Death il n’y ait plus aucun des membres d’origine et ce depuis plus de vingt ans ? Personne.
Lorsque est parvenue la nouvelle du départ du guitariste de Death To Pigs – qui se consacre désormais pleinement à La Race, à Judas Donneger et sûrement à deux ou trois autre trucs dont je n’ai même pas idée – j’ai donc logiquement pensé que s’en était fini de Death To Pigs. Ce qui était, disons le tout de suite, une profonde erreur de jugement. D’abord, que je sache, le guitariste en partance, quelle qu’ait été son importance et sa longévité au sein du groupe, n’était pas le premier à occuper ce poste. Ensuite son remplaçant n’est pas n’importe qui – ce qui encore une fois n’enlève rien à personne. Et c’est exactement là que tout se joue. Fatalement.
Live At Karachi démontre brillamment que Death To Pigs n’est décidemment pas non plus n’importe quel groupe mais peut être bien l’une des meilleures formations punk noise et post punk du moment. Car, et c’est passionnant, la musique et le son du groupe ont logiquement évolué vers quelque chose de plus touffu voire d’un peu plus lourd (les rythmiques se sont souvent ralenties et alourdies elles aussi, la basse est parfois devenue irrésistiblement groovy – l’influence des premiers PiL est plus que palpable à de nombreux moments), tout cela ayant pour résultat de faire doucement mais sûrement muter Death To Pigs en un monstre tentaculaire et insidieux ; d’un autre côté on reconnait encore et toujours le groupe et sa musique – en d’autres termes, s’il fallait parler d’évolution on dirait que celle-ci s’inscrit dans une certaine continuité, une formulation qui je l’avoue ressemble horriblement à un programme politique lénifiant qui inciterait plutôt à la désobéissance civile et aux émeutes qu’autre chose.
Sauf que là on parle de Death To Pigs : l’émeute, l’urgence, la colère, le délire, le cauchemar et la psychose sont précisément dans la musique. Alors retrouver le groupe en aussi bonne forme et aussi inspiré tout en constatant qu’il a eu l’envie, l’intelligence et les possibilités d’aller voir ailleurs est pour l’instant la meilleure et seule bonne nouvelle de cette toute dernière année d’existence d’une humanité en sursis. Live At Karachi a donc à la fois un caractère obsessionnel et fulgurant, hystérique et hypnotique, malade et revigorant. Et Death To Pigs signe là son meilleur enregistrement. Tout simplement.

Live At Karachi a été édité à 300 exemplaires en format LP + CD (une première pour le groupe) sur 213 records, le propre label du guitariste nouveau venu qui est par ailleurs l’âme damnée de The Austrasian Goat.