mercredi 17 octobre 2012

Report : Gaffer Fest 2012, premier jour




Gaffer records a souvent été évoqué ici, aussi bien au sujet de ses nombreuses productions discographiques* qu’au sujet de son activité d’organisation de concerts. Gaffer est ainsi un « label » dans tous les sens du terme, c'est-à-dire : édition de disques de musiques expérimentales, improvisées ou noise mais aussi l’assurance d’un niveau certain ou tout du moins la garantie d’un intérêt toujours renouvelé et répondant à notre soif inextinguible de découvrir de nouvelles musiques, de nouveaux groupes**. Un label qualité, donc, et la preuve est définitivement faite qu’il peut parfois y avoir quelques avantages à habiter du côté de Lyon.
Et bien recommençons encore une fois avec les éloges dégoulinantes puisque la troisième édition du désormais incontournable Gaffer Fest s’est déroulée du 11 au 13 octobre dernier (et pour la deuxième année consécutive au Périscope). Une édition aussi riche que variée avec en prime quelques concerts réellement spectaculaires et inoubliables.




La première soirée de cette troisième édition du Gaffer Fest est placée sous le signe des guitares. Groupe de revenants ayant décidé qu’il était peut-être dommage de splitter après l’enregistrement de Nursery Rhymes For Old Men, un très bon album posthume publié en guise de souvenir et laissé à l’errance pour l’éternité, les SCHOOLBISDRIVER ont malgré tout remis ça une dernière fois. Une dernière tournée pour se faire plaisir, pour rejouer ces fameux titres, pour faire le tour de tous les relais et châteaux et autres étapes gastronomiques qu’ils rencontreront sur leur chemin.
Mais la programmation est serrée : quatre groupes de prévus par soir cela implique que les premiers à jouer commencent à l’heure et cette heure là (21 heures pétantes) est précisément celle à laquelle le lyonnais moyen en est encore à roter sa soupe ou son apéritif du soir tout en se demandant s’il va sortir ou non. C’est donc devant une salle clairsemée que Schoolbusdriver enchaine les titres de son album cénotaphe, jouant tout en bloc avec une conviction qui fait plaisir à voir et à entendre.
Le chanteur se place souvent derrière un pupitre, on croit deviner que sur celui-ci il y a les textes de ses chansons et qu’il a consciencieusement mis deux ans à oublier mais cela ne l’empêche pas d’avoir de la présence ; il y a indéniablement du bonhomme, et, lorsqu’il se libère pour gambader sur la scène, le noise rock brut de Schoolbusdriver devient explosif. Les gars vous revenez quand vous voulez, même si vous devez vous séparer une seconde fois, je vous assure qu’il y a plein de trucs hyper gras et hyper caloriques à bâfrer par ici.




Le Périscope est désormais un peu plus rempli. Le lyonnais moyen – toujours lui – est venu assister au premier concert (officiel) de TOTALE ECLIPSE, un all-star band typiquement local comprenant dans ses rangs Nico Poisson (Ned, Chapel 59, Sathönay) à la guitare et au chant viril, Seb Radix (Kabu Ki Buddah, lui-même et sûrement quelques autres trucs encore) à la basse et au chant aigu ainsi que Franck Gaffer/Sheik Anorak (le héro du festival) à la batterie et aux chœurs.
Totale Eclipse reprend les choses là où The Rubiks, précédent groupe de Nico et Seb, les avaient laissées avant de splitter ; c’est-à-dire qu’on retrouve ces jeunes gens confortablement installés en compagnie de Fugazi, des Chinese Stars et de The Descendents – par exemple – sur les transats de La Croisière S’Amuse et en train de siroter goulument un cocktail au litchi et à la banane.
On ne doute pas un seul instant que Totale Eclipse est le meilleur groupe de punk progressif du monde mais il faut bien dire aussi que c’est sûrement le seul dans sa catégorie. L’alliance entre dextérité technique des instrumentistes, sens de la mélodie parfait, jeu de scène irréprochable, harmonies vocales aux petits oignons, humour de collégiens boutonneux, prestance physique de première ordre et compositions über kalität fait des miracles. Bravo messieurs, vous êtes tout simplement en route vers la gloire.




En ce qui me concerne, STAER était le groupe le plus attendu de la soirée. Le trio norvégien avait fait très forte impression lors de son premier passage lyonnais en avril dernier dans la cave de Buffet Froid et, qui plus est, son premier album sans titre est l’une des meilleures découvertes de l’année en cours. Staer ne va pas démériter et malgré un set un peu court – toujours ces foutus impératifs d’horaires à respecter – le groupe va assener au public qui aura su résister (!) des assauts sans concession, entre imposants mouvements de blocs bruitistes et déflagrations post industrielles. La beauté absolue dans le chaos.
Une conversation post concert très intéressante avec un alien débridé et un esthète musical me rappellera à propos de Staer le bon souvenir de Skullflower, celui d’après l’album Third Gatekeeper ; lorsque le groupe de Matthew Bower continuait à marteler sa noise industrielle tout en libérant des radiations psychédéliquement anxiogènes de plus en plus poussées. Staer est effectivement dans cette filiation là, avec en plus ce côté norvégien à la Noxagt, celui qui ne fait pas de quartier.




Après le chaos et la dévastation de Staer je ne donnais pas cher de la peau de YOWIE. Un groupe de résilients à bout de nerds et issus de l’écurie Skingraft, ayant publié un  premier album il y a huit ans déjà et revenant cette année par surprise avec un nouveau disque, Damning With Faint Praise, toujours chez Skingraft. Après avoir vu Yowie sur scène j’ai enfin compris pourquoi j’avais eu tant de mal il y a des années à avaler les couleuvres de Cryptology (en dehors du fait que ce premier album est loin d’avoir un son fantastique) : il me manquait l’image.
Yowie c’est donc un guitariste qui joue sur un instrument avec des cordes rajoutées et surtout placées là où elles ne devraient pas l’être, un autre guitariste (également membre de Grand Ulena) jouant lui sur une guitare faite maison et dont le bois a parait-il été récupéré d’une table manufacturée à échelle industrielle par un célèbre marchand suédois de meubles en kit pratiquant l’espionnage de son petit personnel mais aussi de sa clientèle et, enfin, un batteur en chaussettes et au sourire ravageur.
Chacun est branché directement sur son ampli, pas de rack incommensurable de pédales d’effets ; donc Yowie ne développe qu’un seul et unique son mais quel son ! Sur scène les trois musiciens donnent au public une grande leçon de dextérité décontractée, de pataphysique musicale, de déconnade permanente, de débilité furieuse… impossible de résister, impossible de ne pas sourire voire même de rire aux éclats pendant ce concert, assurément la plus grosse poilade de l’année. Que du bonheur – you can’t understand us ! – et la démonstration qu’il se passe à nouveau des choses bien intéressantes pour les amateurs de cartoonoise skingraftienne sous amphètes.

[quelques photos du concert]

* parmi les plus récentes : Akode - Sa(n)dnes(s) ; Loup - The Opening ; Marteau Rouge - Noir ; Colin Webster, Mark Holub & Sheik Anorak Trio - Langages – Live At Vortex (on reparle de tous ces disques dès que possible)
** dernière découverte en date et pas des moindres : le premier album sans titre de Staer