jeudi 28 février 2013

Peter Brötzmann Chicago Tentet / Walk, Love, Sleep




Le PETER BRÖTZMANN CHICAGO TENTET existe depuis une bonne douzaine d’années maintenant – Stone/Water, premier témoignage discographique du groupe chez Okka Disk, date de l’an 2000 – et, comme son nom l’indique, inclut une formation principalement issue de la très active scène free (et) jazz de Chicago : Ken Vandermark aux saxophones ténor et baryton et à la clarinette basse, l’inusable Joe McPhee à la trompette de poche et à l’alto, Jeb Bishop au trombone, Fred Lonberg-Holm au violoncelle, Kent Kessler à la contrebasse et Michaël Zerang à la batterie. Pour atteindre le tentet Peter Brötzmann s’est également entouré des suédois Mats Gustafsson aux saxophones ténor et baryton et Per-Åke Holmlander au tuba, du norvégien Paal Nilssen-Love à la batterie et, enfin, de l’allemand Johannes Bauer au trombone.
Une formation qui présente un casting de rêve et intergénérationnel avec quelques uns des meilleurs musiciens de l’Amérique et de l’Europe du nord. Un type de line-up qui rappellera également les grosses formations ou les big band de free jazz européen de la fin des années 60 et débuts des années 70 : le groupe avec lequel Peter Brötzmann enregistra le célèbre Machine Gun en 1968 et auquel il dut provisoirement renoncer pour une formation en trio parce que faire tourner huit musiciens de free jazz n’était pas une chose facile et économiquement viable à cette époque là ; le Globe Unity Orchestra d’Alexander von Schlippenbach, l’ICP Orchestra ou l’octet de Manfred Schoof sont également à prendre en considération* (Brötzmann a participé à toutes ces aventures).
Mais revenons à ce Walk, Love, Sleep sous-titré Peter Brötzmann Chicago Tentet In Wuppertal / Café Ada 2011, un double CD bourré jusqu’à la gueule d’un free jazz tonitruant et jubilatoire et enregistré en concert : le groupe réuni autour de Peter Brötzmann est plus soudé que jamais et les solos improvisés et souvent simultanés s’enchainent pour créer une véritable tornade sans fin. Il y a quand même trois saxophonistes, un trompettiste, deux trombonistes, un tuba, un violoncelliste, un contrebassiste et deux batteurs qui jouent ici et Walk, Love, Sleep est d’une intensité rare, époustouflante et jamais démentie. Les nombreux (beaux) passages permettant à certains de reprendre leur souffle n’ont pas ce défaut de créer des trous d’airs dans la dynamique du disque ; il y a toujours quelque chose à entendre sur Walk, Love, Sleep, des choses passionnantes et seule la difficulté du mix d’une prise de son live (le violoncelle de Fred Lonberg-Holm en souffre un peu, malheureusement) peut être un frein à ce foisonnement de nuances et de couleurs.
Walk, Love, Sleep privilégie donc les déferlements d’explosions et est assez éloigné de certains enregistrements plus cérébraux du Chicago Tentet – on pense entre autres au triple CD Three Nights In Oslo comportant des choses très (trop ?) composées – et surtout il permet d’entendre un Ken Vandermark sortant quelque peu de la psychorigidité dans laquelle il s’enferme trop volontiers ou de réentendre Joe McPhee, un musicien qui comme Brötzmann a traversé les époques avec une abnégation sans faille à sa musique et dont la trompette de poche lance dans les airs des cris déchirants d’intensité.
Encore une fois Peter Brötzmann – presque 73 printemps au moment où ces lignes sont rédigées – et ses petits camarades restent les garants d’un free jazz qui n’a rien perdu de sa verve, de sa lumière, de son intérêt et de sa passion. Une musique restée hors-normes malgré toutes ses codifications tout simplement parce qu’elle est devenue aussi atemporelle que garante d’authenticité **.

* du Globe Unity Orchestra on conseille le CD Globe Unity 67 & 70 chez Atavistic ; de Manfred Schoof on conseille le génial European Echos chez Atavistic également ; en ce qui concerne l’ICP Orchestra (ou Instant Composers Pool), un groupe réunissant ou ayant réuni en son sein des gens comme Ab Baars, Han Bennink, Misha Mengelberg, Tristan Honsinger, Steve Lacy ou Ernst Reijseger, il faut tout écouter ou presque – ce groupe est une merveille
** Walk, Love, Sleep – Peter Brötzmann Chicago Tentet In Wuppertal / Café Ada 2011 est publié sous la forme d’un double CD par Smalltown Superjazz