vendredi 28 juin 2013

Report : Xavier Saiki, Lionel Marchetti & Jérôme Noetinger et Deborah Kant au Festival Expérience(s) - 22/06/2013





C’est un peu la malédiction du troisième jour… Après un 21 juin pas loin d’être mémorable – et blindé question public – le Festival Expérience(s) a connu un creux certain pour sa troisième et dernière soirée. Au lendemain de la fête de la musique (sic), bien peu ont osé ressortir de chez eux pour se frotter à une programmation encore plus éclectique mais aussi l’une des plus exigeantes et difficiles de toute cette cinquième édition du festival (au moins sur ses deux premiers tiers).
Avouons aussi que, du côté de la rédaction pourtant prête à tout de 666rpm, même le doute s’est immiscé bien profondément dans le crâne endolori du chroniqueur, tout ça grâce à ses vieilles copines gueule de bois et grosse fatigue. Mais quand on aime on ne compte pas, alors retour au Périscope histoire de s’achever encore un peu plus…




Question découverte, la soirée a bien commencé avec XAVIER SAIKI. On me pardonnera peut-être de n’avoir jamais entendu auparavant le nom de ce garçon, guitariste de son état, ni de n’absolument rien connaitre de sa musique. Une totale ignorance que j’aurais pu promptement balayer d’un coup de baguette magique mais je n’en ai rien fait. A quoi bon ?
Ce soir Xavier Saiki propose un solo de guitare plutôt intrigant : il joue assis avec sa guitare à plat sur ses genoux et il a posé dessus un ou deux ressorts, juste au niveau des micros de caisse. Le reste est question de frottements, de pincements, d’attaques percussive, d’échos et de manipulations ainsi que du bon usage d’un ampli Fender Twin Reverb, inusable machine à sons s’il en est.
Autant dire que l’on n’entend pas de la musique au sens le plus basique mais aussi le plus réducteur du terme mais des constructions sonores éphémères qui éclatent en cascades ou se cassent brutalement la gueule jusqu’à s’effacer. Une musique – pourtant – qui ressemble aux bruits multiples et démultipliés de la nature : fermez les yeux et vous ne saurez pas que Xavier Saiki joue avec une guitare électrique, un peu comme lorsqu’on se balade dans un endroit reculé et que des grincements, craquements et autres souffles de vie vous assaillent, brusquement, venus de nulle part.




Suit le duo LIONEL MARCHETTI / JÉRÔME NOETINGER, un duo que l’on ne devrait plus présenter. Cela fait des années que ces deux là jouent ensemble et pratiquent une musique improvisée élaborée à partir d’un système de magnétophones à bandes et de bricolages insensés, en fait on peut affirmer que Lionel Marchetti et Jérôme Noetinger réalisent en direct une sorte de musique électro-acoustique sauvage et non figée.
Jouant avec les effets de diffusion sonore en plusieurs points, les deux musiciens accumulent ainsi tout un travail passionnant sur les sons tout en le saupoudrant de quelques plaisanteries raffinées et derrière le sérieux apparent de la démarche et de la contenance des deux hommes il y a en fait un puits sans fond de trouvailles ingénieuses et de délires sonores. La concentration et la non attitude des deux musiciens laissent toute la place possible à une musique de l’instant qui ne peut que s’écouter et ne se regarde donc pas (ou alors pas beaucoup) : il ne peut pas y avoir de parasites entre elle et l’auditeur et je me sens alors un peu stupide avec mon appareil photo, tentant de capter ce qui ne peut pas l’être.




Le groupe le moins expérimental – et au passage franchement rock – de la soirée est en fait la principale raison de ma venue : les DEBORAH KANT jouent en dernier devant un public clairsemé parce qu’une partie de celui-ci, qui s’est selon toute vraisemblance essentiellement déplacée pour Xavier Saiki et/ou le duo Marchetti/Noetinger, s’est empressée de repartir tout de suite après. Les survivants – environ une trentaine de personnes – ne vont pourtant pas regretter leur choix.
J’ai déjà vu plusieurs fois Deborah Kant en concert mais toujours au même endroit, c’est-à-dire sur la petite scène du Sonic. Au Périscope le groupe semble avoir presque trop de place mais a gardé sa configuration habituelle (inamovible ?) avec le guitariste/chanteur tout à gauche puis le batteur, le bassiste et enfin le deuxième guitariste sur la droite. Par contre, ce qui change pour ce concert, c’est la nature même du son de Deborah Kant, très ample mais flottant, presque caoutchouteux. Le rock noisy du groupe se teinte alors de couleurs inédites, encore plus psyché, d’autant plus que l’on a toujours l’impression que les Deborah Kant ne jouent jamais deux fois de suite une de leur composition exactement de la même façon.




Le groupe est à la fois un peu maladroit – approximatif diraient certains mais le terme d’ « approximatif » me semble dénué de toute la considération malgré tout bienveillante que recèle celui de « maladroit » – mais il est également impérieux et impérial lorsqu’il prend à bras le corps les envolées soniques qui constellent son répertoire. En écoutant et en regardant les quatre garçons de Deborah Kant je redécouvre un vrai groupe, un groupe de rock bruyant mais mélodique, qui transpire de l’humain à travers tous les pores de sa musique. Qu’importe les maladresses et les hésitations, Deborah Kant défie avec ardeur les lois de la pesanteur en projetant sa musique dans de nouvelles directions et, surtout, de nouvelles dimensions.
Le maigre public ne s’y trompe pas parce qu’il réserve une ovation au groupe ; dommage donc qu’il n’y ait pas eu plus de monde pour assister à ce petit miracle de lévitation mais, en même temps, aurait-il eu lieu exactement de la même façon devant une salle pleine à craquer comme l’était le Périscope le vendredi 21 au soir ? Peut être bien que non. Et les moments les plus rares sont ceux que l’on chérit toujours le plus.

[les photos de cette troisième et dernière soirée du Festival Expériences sont ici]