jeudi 18 juillet 2013

Live Skull / Bringing Home The Bait


Il n’y a rien de mieux que les amis, surtout lorsqu’on sait que l’on peut toujours compter sur eux.

Il y a (à peu près) vingt-cinq années de cela, un de mes amis m’avait donné une liste de disques, apprenant qu’en attendant de retourner en cours pour à nouveau rien foutre de toute une année j’allais faire un tour à Londres pour assister à un ou deux concerts et acheter des disques introuvables en France et surtout à des prix défiant toute concurrence. Sur cette liste il y avait tellement de groupes que je ne connaissais pas ou vraiment trop peu que j’en suis devenu presque jaloux. Un vrai con. Au milieu de cette liste figurait le nom de Live Skull mais comme mon vieux pote de toujours ne se rappelait plus du nom exact de l’album qu’il voulait, il avait juste écrit à côté « pochette cervelle ».
Cette pochette cervelle – autrement dit l’album Bringing Home The Bait, premier album de Live Skull et publié en 1985 par Homestead records – je l’ai effectivement dégotté pour une toute petite demi-£ivre sterling dans un magasin de disques d’occasion installé au sous-sol d’un magasin de sports. Je l’ai ramené quelques jours plus tard en France mais j’ai surtout eu l’idée de l’écouter : jamais je ne l’ai redonné à cet ami qui sans le savoir m’avait fait connaitre l’un de mes disques préférés de tous les temps.



Desire records vient de procéder à la réédition de Bringing Home The Bait et il était temps. En espérant aussi et surtout que cette réédition remettra LIVE SKULL à sa juste place sur la carte des groupes new-yorkais post no-wave qui ont compté. Parce que Live Skull, dans le top des amateurs des groupes de rock noisy ou terroriste voire bruitiste et originaires de la Grosse Pomme, est systématiquement placé après les encore jeunes Sonic Youth et après les Swans des débuts. Une véritable injustice.
Certes la carrière chaotique de Live Skull n’a pas aidé le groupe à passer à la postérité mais le groupe de Tom Paine (guitare et chant), de Marnie Greenholtz (basse et chant) et de Marc C. (guitare et chant) était le plus mélodique des trois. Pas aussi hippie réfoulé que Sonic Youth et pas aussi amateur de viande froide que les Swans. Un groupe jouant une musique plus acceptable pour le commun des mortels que celles de leurs collègues d’alors mais qui aujourd’hui sonne toujours aussi bien. Des compositions ciselées, des guitares influencé par la no-wave et ceux qui se sont gavés sur son cadavre (Glenn Branca) mais également des guitares aux résonnances très gothiques. On parle de ce gothique pur, dur et méchant tel que Lydia Lunch l’avait pratiqué sur ses meilleurs albums (13 : 13, In Limbo, Honyemoon In Red et, quelques années plus tard, Shotgun Wedding).
Pour les experts, Bringing Home The Bait reste – au choix – un album séminal et un disque culte. Il s’agit surtout d’un enregistrement tout à fait dans l’air du temps, à une époque où les aventuriers du rock délaissaient toujours plus les idiomes post punk pour progressivement inventer ce que l’on appellera bien plus tard le rock noisy (noise ?) avec son quota de postures à la fois déglinguées et arty. Live Skull est tout simplement le groupe le plus passionnant du lot parce qu’il se situe exactement à la croisée de ces deux embranchements.
Bringing Home The Bait version 2013 existe en CD avec en bonus une grosse poignée d’inédits et/ou de titres live avec un applaudimètre strictement réglé sur vingt personnes maximum. Absolument rien de déshonorant à signaler voire du très bon. Desire records a également procédé à une réédition vinyle de couleur grise et limitée à 300 exemplaires. Desire ne s’est pas non plus contenté de Bringing Home The Bait puisque le label a aussi réédité le tout premier mini-album sans titre de Live Skull initialement publié un an plus tôt (1984) par Massive records. On ne sait pas encore si Desire rééditera dans la foulée tous les autres enregistrements de Live Skull, y compris ceux après le départ de Marnie Greenholtz mais avec l’incomparable Thalia Zedek au chant. On espère vivement que oui.

Epilogue : quelques mois après mon voyage à Londres, j’hébergeais ce même ami dans mon minuscule appartement lyonnais. Par le plus grand des hasards il se retrouva à chercher une cigarette qui avait roulé au sol jusque sous le lit. C’est là qu’il trouva mon exemplaire de Bringing Home The Bait que j’avais préféré cacher et à mon retour chez moi il me montra d’un air teigneux le disque, comme s’il allait le casser en deux. Puis il m’avoua qu’il m’avait fait le même coup avec un pirate de Sisters Of Mercy qu’il ne m’avait jamais redonné non plus. Ce qui en soi était une très bonne chose : j’avais largement gagné au change avec Live Skull. Et j’ai toujours mon vieux LP de Bringing Home The Bait.