dimanche 11 août 2013

Et maintenant : rien




C’est l’été, il fait chaud, il fait soif et toute l’équipe rédactionnelle de 666rpm vous souhaite, bande de lecteurs, un mois d’août caniculaire et mortellement ennuyeux.

Ici on va profiter de quelques vacances bien méritées pour réécouter des vieux disques et même encore plus : l’aventure Heavy Mental s’arrête, sans regret.

Quelques excuses s’imposent tout de même pour les groupes ou labels qui ces dernières semaines ont envoyé des disques promos et qui espéraient sans doute une chronique mais aucun remboursement ne sera accordé aux personnes lésées. Life is a bitch.

Heavy Mental c’était mieux avant.

samedi 10 août 2013

Jessica93 / Poison b/w Saint James Infirmary Blues




Poison est l’un des titres phares de l’album Who Cares de Jessica93 et a bénéficié d’une publication avancée sous la forme d’un single. Un vrai single, comme avant et avec un inédit sur sa face B. Il pourrait sembler assez vain de reparler en détails de Poison mais pourtant on va en rajouter une couche : entrainé par une boite-à-rythmes implacable et une ligne de basse qui donne le frisson (ces glissés au moment du refrain…), Poison est un vrai tube et une vraie machine à danser. Une composition qui ne serait rien sans la guitare en mode scie circulaire coincée comme il le faut un peu au fond du mix et sans ce chant à la fois désabusé et convainquant, loin de toutes les pleurnicheries auxquelles on pourrait s’attendre avec une musique qui lorgne immanquablement et avec succès du côté sombre des 80’s. Everything Becomes So Bright nous chante lugubrement JESSICA93, comme pour nous signifier que toute vérité que l’on se prend dans la gueule fait d’abord beaucoup de mal avant de faire éventuellement un peu de bien. Le genre de message simpliste auquel j’adhère complètement : je suis un parfait idéaliste.
La face B de Who Cares est donc un inédit et il s’agit d’une reprise de Saint James Infirmary Blues, un standard de la musique populaire américaine dont l’auteur est resté inconnu mais une chanson immortalisée par des gens tels que Cab Calloway (avec l’aide de Betty Boop dans le rôle de Blanche Neige, ça se passe à 4’10), Louis Armstrong et Abner Jay mais également repris par The Standells. Une chanson dont je n’ai jamais pu m’empêcher de penser qu’elle avait servie d’inspiration à tous ces standards du jazz influencé par le gospel et le blues – le Summertime que les deux frères Ira et George Gershin composèrent aux alentours de 1935 par exemple. Saint James Infirmary Blues est une chanson indéniablement spectrale et mélancolique, donc un écrin parfait pour Jessica93 qui en livre une interprétation névrosée mais éclairée et bourrée de reverb, collant plus que jamais avec le She May Search This Wide World Over/She’ll Never Find A Sweet Man Like Me des paroles et nous offrant surtout quelques parties de guitare à se rouler par terre. Du grand macabre.

[Poison b/w Saint James Infirmary Blues est publié par Analog Profusion records, un label dont je n’ai même pas réussi à retrouver la trace sur internet – donc démerdez-vous pour trouver ce single de rêve]

vendredi 9 août 2013

Witxes / A Fabric of Beliefs


Reparlons un peu de (((WITXES))). Il est assez stupéfiant de constater que pour son deuxième album intitulé A Fabric of Beliefs, ce one-man-band basé à Lyon a bénéficié de l’aide et de l’expérience d’une maison de disques aussi prestigieuse que Denovali*. Ce n’est pas qu’ici on soit hyper fanatique de ce label arty-dark un peu prétentieux mais on reconnait volontiers que Denovali a su se forger une réelle identité et fait presque toujours preuve d’une cohérence certaine dans ses choix de productions. Résultat, le catalogue de Denovali est l’un des plus prestigieux en matière de musiques sombres, expérimentales mais aussi metal/hardcore tendance le cœur en bandoulière**.
Mais si Maxime Vavasseur/Witxes se retrouve sur Denovali, ce n’est pas non plus tout à fait le fruit du hasard : Sorcery / Geography, son premier album publié en 2012, était et reste encore aujourd’hui une réussite indéniable. Un disque qui a tapé dans l’oreille et ému énormément d’amoureux des musiques à la fois sensibles et exigeantes. Il parait donc presque normal que Witxes ait parcouru autant de chemin en si peu de temps.




On avait eu une approche très sensorielle et émotionnelle de Sorcery / Geography et il en sera exactement de même pour A Fabric of Beliefs, à quelques détails près. Car on reconnait sans hésitation que ce nouvel album va beaucoup plus loin que son prédécesseur sans toutefois dévier des principales lignes conductrices de celui-ci. Les effets générés par A Fabric of Beliefs s’en retrouvent donc démultipliés : aux mêmes causes les mêmes effets, la logique est respectée.
A Fabric of Beliefs est juste plus ambitieux, explore de nouvelles idées qui ne dénaturent pas la richesse et l’identité du projet Witxes mais au contraire mettent toujours plus en avant sa singularité. La seule chose qu’A Fabric of Beliefs a peut-être un peu perdue par rapport à Sorcery / Geography est une certaine spontanéité. Le langage du corps. Mais ce nouvel album compense largement par la sophistication poussée de ses ambiances, la richesse à la fois très construite et organique de ses compositions, les lumières qu’il laisse échapper et une tenue générale toujours plus cosmographique. A Fabric of Beliefs définit un univers propre à base d’éléments très divers, un univers au sens réel c’est-à-dire avec toute la dialectique chaos organisationnel/organisation du chaos que cela suppose.
Aussi on pardonnera à Maxime/Witxes ces quelques redites comme celle consistant à nous refaire le coup du chant à la (presque) fin de qu’A Fabric of Beliefs : le bien nommé The Words est une chanson superbement magique, toute en émotion. Une chanson qui fait un peu regretter que Wixtes ne se lance pas dans un album entier de folk songs sublimées par un chant aux confins de l’irréel mais peut-être en aura-t-il un jour envie. Ces quelques remarques sont bien évidemment purement secondaires et ne doivent surtout pas éclipser le fait que qu’A Fabric of Beliefs s’impose d’ores et déjà comme l’un des disques les plus beaux et les plus forts de cette année.

* Denovali ne s’est pas contenté de publier A Fabric of Beliefs puisque le label a également réédité en vinyle et CD le premier album de Witxes, Sorcery / Geography ; à noter que la version vinyle d’A Fabric of Beliefs se présente sous la forme d’un double LP : la quatrième face est entièrement occupée par un titre exclusif, Un Tissu De Mensonge qui est une longue improvisation de dix-huit minutes enregistrée en compagnie de quelques invités et dont on peut écouter un court extrait sur la page Soundcloud de Witxes
** parmi les meilleurs groupes ou musiciens publiés par Denovali on citera Thisquietarmy, Aun, Celeste, Crëvecœur, Thomas Köner, Nadja…

jeudi 8 août 2013

Retox / YPLL




Comme tu le sais peut-être déjà, cher lecteur, RETOX est le super-groupe monté par Justin Pearsons pour pallier au ralentissement d’activité voire à la mise en sommeil prolongé de The Locust, le projet principal du monsieur depuis environ une quinzaine d’années. Une sorte de cure de jouvence et un retour aux sources puisque Retox est avant tout le tenant d’un hardcore survitaminé, décomplexé et débarrassé de tout artifice inutile : Pearsons n’y fait que chanter et le line-up de Retox ressemble à n’importe quel line-up de groupe de hardcore de base (chant/guitare/basse/batterie). Les quatre membres de Retox se sont même amusés à poser sur le perron d’une maison, imitant une célèbre photo de Minor Threat prise quelque trente années auparavant par Glenn E. Friedman.
Et les comparaisons ne s’arrêtent pas là : YPLL, deuxième enregistrement officiel de Retox après un Ugly Animals encore plus lapidaire, enchaine douze compositions en à peine une vingtaine de minutes – hardcore, toujours. Sauf que nous sommes en 2013 et que les membres de Retox, tout en bénéficiant de l’accumulation d’un savoir-faire historique, ont à leur portée toute cette technologie musicale moderne qui aiguise dangereusement les angles et durcit encore plus leur son, à défaut de leur permettre de ne pas répéter trop bêtement et trop studieusement le passé. Certains plans de guitare peuvent faire penser à du Dead Kennedys/East Bay Ray pur jus (le pseudo solo gorgé de reverb de Mature Science) et ailleurs on notera tel riff emprunté ou tel break déjà entendu mille fois mais, globalement, YPLL est bien ce disque réjouissant et rafraichissant.
Rafraichissant ? Mais oui : même si YPLL est parait-il l’abréviation de « Years Of Potential Life Lost », un titre qui dénote de ce sens du sarcasme toujours très présent chez Pearson et même si l’album contient par ailleurs des titres aussi édifiants que Don’t Fall In Love With Yourself , The Art Of Really, Really Sucking ou Biological Process Of Politics, voilà un disque qui, pour l’auditeur en mal de violence et d’agression musicales, se place uniquement sur le plan du divertissement. Un disque à l’énergie savamment ripolinée, où l’abus électricité n’entraine pas de court-circuit hystérique, où chaque chose est systématiquement à sa place (sauf le chant mis un peu trop en avant dans le mix) et qui révèle un savoir-faire certain. Peut-être paradoxalement, YPLL est un disque vraiment « cool », en ce sens qu’il procure une bonne petite dose de plaisir stéréotypé et d’adrénaline hormonée. Le disque d’une jeunesse à laquelle on essaie de se raccrocher, malgré tout. Et ça tombe bien puisque l’été est enfin arrivé.

[YPLL est publié en vinyle et CD par Three One G et Epitaph – la version LP comprend le CD en bonus]




[cette chronique à lire avec l’air blasé du type qui a déjà tout vu et tout entendu, vous pouvez également la découvrir dans le #17 de Noise mag, disponible depuis quelques jours déjà]

mercredi 7 août 2013

Brame / La Nuit, Les Charrues...




Je me souviens de Tenaille, le précédent album de Brame, un disque qui m’avait pris par surprise comme un chien enragé et un peu débile vous saute à la gorge ou vous attrape par les couilles pour ne plus lâcher prise. Et ça fait mal. Les deux BRAME (José à la guitare baryton et aux grésillements divers et Serge à la voix, au mégaphone et préposé à la marmite à chaux vive) sont de retour avec La Nuit, Les Charrues…, un nouvel album tout aussi auto-produit et encore une fois doté d’une illustration superbe et emballé avec un luxe artisanal qui rendrait presque à l’objet CD tous ses titres de noblesse.
La musique de Brame n’a pas réellement changé depuis Tenaille, on y retrouve toujours ces bidouilles faites mains, ces percussions pédestres et minimales, ces fields recordings parasitaires, cette guitare qui cisaille allègrement les oreilles, cet harmonica maléfique et ce chant de forçat qui vous hurle sa douleur dans la tête et tant pis si vous êtes déjà sourd, Brame hurlera toujours plus fort. Ce qui a changé c’est le resserrement, l’épaississement de la sauce si on veut : Brame, tout en prenant son temps, le temps imposé par une moiteur intolérable, semble se disperser un peu moins, ne plus jouer autant qu’auparavant sur les longues distances… Mais ce n’est qu’une illusion, assurément encore un mirage provoqué par la chaleur et la soif ; car on a bien sûr vérifié et les sept titres de La Nuit, Les Charrues… ne sont pas moins longs que ceux de Tenaille. Ce qui change, c’est la façon de remplir ces espaces implacables, d’y coller toute la dureté et toute l’âpreté dont on est capable pour faire exploser la viande de l’intérieur, comme une charogne gonfle du bide sous le soleil avant de faire gicler tout son pus dans les airs et d’infester les alentours d’une odeur aussi pestilentielle que persistante.
Brame ne laisse donc pas trop le choix et ne fait pas de cadeau, quitte à prendre le risque de devenir épuisant et la musique de ce duo a beau être d’un minimalisme aride à faire pleurer et remuer les cadavres enterrés depuis des années, elle prend également énormément de place, bouffe le peu d’air respirable qui reste encore, étouffe toute résistance et dessine sur nos peaux craquelées des signes annonciateurs d’une mort certaine. Dead Man c’était vraiment de la rigolade pour enfants. 

[La Nuit, Les Charrues… est disponible uniquement auprès du groupe – le mieux c’est de contacter celui-ci directement, comme d’habitude c’est Maurice qui répondra à toutes les demandes et questions, mailto: maurice.brame@gmail.com*]

* j’en ai d’ailleurs une de question : il y aurait un lien entre Brame et Guimo – une chronique de l’album Lotophage à lire ici – mais je n’ai toujours pas compris lequel…

mardi 6 août 2013

Hey Colossus / Cuckoo Live Life Like Cuckoo




Si j’ai bien tout compté – ce qui n’est absolument pas certain – Cuckoo Live Life Like Cuckoo est le huitième album de HEY COLOSSUS*. Une longue liste à laquelle il faut ajouter le même nombre de mini albums, maxis, splits ou singles. En moins de dix ans ces anglais ont construit une œuvre plus qu’imposante et singulière. Singulière parce que Hey Colossus ne s’est jamais définitivement enfermé dans un genre précis, faisant évoluer son doom metal mâtiné de noise-rock (et inversement) au gré d’albums toujours plus teintés d’expérimentations et de bizarreries. Hey Colossus a toujours été un groupe des plus barrés – pour s’en convaincre, il faut absolument écouter les albums Project : Death (2006) et Happy Birthday (2007) qui représentent en quelque sorte le summum de la première période du groupe – mais a eu l’intelligence ou plutôt l’inconscience de toujours se remettre en question. Le changement s’est surtout opéré à partir à partir de l’album Eurogrumble Volume 1 (publié sous le nom de Hey Colossus And The Van Halen Time Capsule) puis s’est intensifié jusqu’à atteindre un niveau d’excellence – excellence dans le mal, bien sûr – avec l’insurpassable RRR, disque de tous les excès et de toutes les folies.
On imaginait assez mal Hey Colossus faire machine arrière et revenir à plus de concision mais, tout au contraire, on se demandait aussi comment le groupe pourrait aller encore plus loin après un tel disque. Pourtant, d’une certaine façon, les anglais parviennent encore et toujours à surprendre avec Cuckoo Live Life Like Cuckoo. Un disque totalement schizophrène puisque comprenant nombre de plages chargées d’un metal noise lourd et méchamment vicieux tout en prenant un plaisir certain à brouiller les pistes : ainsi Hot Grave est-il presque complètement parasité par des synthétiseurs au kitsch envahissant tandis que English Flesh  bénéficie lui d’un groove maléfiquement motorik. On a déjà dit que Hey Colossus avait peur de rien et Cuckoo Live Life Like Cuckoo le confirme une fois encore.
En guise de tête de gondole, le chant principal fait tout pour être irritant – c’est amusant mais sur les titres les plus rentre-dedans du disque il me fait plus que penser à celui de Marc Desmarets/Desmare/Du Marais (etc.) c’est-à-dire le chanteur des excellentissimes La Muerte – puis chant comme musique s’engagent sur des terrains plus mouvants et plus psychotiques (Oktave Dokkter au passage doté d’une grosse ligne de basse des cavernes) avant de partir complètement dans des délires sans fin (les quelques dix minutes de How To Tell Time With Jesus qui virent à l’hypnose kraut façon Can, un peu dans la lignée du précédent 12’ Witchfinder General Hospital b/w The Butcher). Comme son chanteur, Hey Colossus n’hésite pas à passer d’un registre à l’autre, avec une aisance confondante et un à-propos certain, ce qui permet au groupe de toujours conserver la même passion dévorante et la même folie contagieuse.
Mais le plus beau reste la deuxième face de Cuckoo Live Life Like Cuckoo : confondant de niaiserie apparente, Pit And Hope est un slow qui ferait presque penser au Planet Caravan de Black Sabbath mais profite de ses neuf minutes pour dégénérer en une longue déambulation d’ivrogne/junkie : le chant est complètement faux mais pas vraiment à côté de la plaque, Pit And Hope s’apparentant à une redescente d’acide, sorte de chill-out redoutable de crasse mais finalement presque rédempteur. Un grand final pour un grand disque.

[Cuckoo Live Life Like Cuckoo est publié en vinyle et en CD par Mie Music, Hey Colossus délaissant ainsi le label Riot Season qui avait pourtant accompagné le groupe sur ses trois albums précédents]

* la chronique de RRR affirmait déjà que ce disque était la huitième référence de Hey Colossus : je ne sais donc définitivement pas compter…